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La théorie des domaines limités par la frustration

1.4 Quelques repères théoriques

1.4.2 La théorie des domaines limités par la frustration

La théorie des domaines limités par la frustration repose sur le concept de frustration géométrique [103].

Frustration géométrique Un système est dit frustré lorsqu’il ne peut minimiser son énergie en satisfaisant les différentes contraintes locales. La frustration peut provenir d’un désordre gelé comme dans les verres de spin ou des propriétés de l’espace lui-même. On parle alors de frustration topologique ou géométrique. Dans le cas où le système est sur un réseau, c’est la topologie de ce réseau plutôt que celle de l’espace qui peut être à l’origine de la frustration. L’exemple le plus célèbre est un système de spins d’Ising sur un réseau triangulaire (à deux dimensions) avec des interactions antiferromagnétiques entre proches voisins, voir figure 1.28a. Dans le cas des liquides surfondus, la frustration géométrique est attribuée à la compétition entre un ordre localement favorable et une contrainte globale liée aux symétries empêchant cet ordre local de se propager à l’infini. En d’autres termes, l’ordre localement préféré est différent de l’ordre cristallin.

Considérons un liquide composé de particules monodisperses et interagissant via un potentiel de paire symétrique et isotrope. La structure localement préféré est un icosa- èdre : la particule centrale est entourée de douze particules réparties aux sommets d’un icosaèdre (voir figure 1.28b). Dans cet ensemble, l’organisation locale est tétraédrique : les tétraèdres partageant une arête commune sont irréguliers et toujours au nombre de cinq. De plus, les sphères de la surface ne sont pas jointives. Si l’on calcule l’énergie d’un tel agrégat à partir du potentiel d’interaction de type Van der Waals, on trouve qu’elle est plus faible que pour les structures cristallines compactes de type cubique à faces centrées ou hexagonale compacte. Cependant, le fait de ne pouvoir paver l’espace par des tétraèdres quelconques partageant tous cinq arêtes empêche cet ordre local de se propager à l’infini dans l’espace Euclidien à trois dimensions (confère figure 1.28c).

(a) (b) (c)

Figure 1.28 – Concept de frustration géométrique. La figure a présente un système de spins d’Ising sur un réseau triangulaire à deux dimensions avec des interactions antiferroma- gnétique (±J) entre proches voisins. L’étude d’un seul triangle permet de comprendre que les trois spins ne peuvent satisfaire les différentes contraintes énergétiques simultanément, d’où l’apparition de frustration. La figure b représente un icosaèdre, formé de tétraèdres irréguliers. L’icosaèdre est la structure locale énergétiquement favorable dans le liquide surfondu. La sy- métrie d’ordre 5 de l’icosaèdre est incompatible avec la possibilité de paver l’espace Euclidien. En effet, comme l’illustre la figure c, lorsque cinq tétraèdres réguliers sont placés autour d’une arête commune, un interstice apparaît entre deux faces. D’après [97].

Espace courbe et espace Euclidien Dans le cas de l’ordre icosaédrique, un moyen de supprimer la frustration consiste à se placer dans un espace courbé positivement [97]. L’icosaèdre est alors formé de tétraèdre réguliers et peut paver complètement l’espace courbe afin de former un cristal. La frustration devient alors un paramètre ajustable avec la courbure de l’espace. De plus, en faisant varier cette courbure, il est possible de simuler des verres de fragilités différentes.

La structure ordonnée idéale non frustrée sert d’état de référence. L’idée de base est que le retour à l’espace Euclidien s’accompagne de l’apparition de défauts topologiques dans cette structure idéale puisqu’il est topologiquement impossible que toutes les par- ticules aient un environnement iscosaédrique. Ces défauts sont des disinclinaisons qui brisent l’ordre rotationnel. Elle forment un réseau désordonné de lignes séparées par des régions où l’ordre est identique à celui de l’état de référence. Ces régions relaxeront de manière coopérative pour préserver l’ordre local. La taille de ces régions croît lorsque la température diminue puisque le nombre de défauts décroît. Ces régions peuvent être qualifiées d’hétérogénéités dynamiques.

Transition thermodynamique évitée La théorie des domaines limités par la frus- tration postule que le liquide possède un ordre localement préféré différent de l’ordre cristallin. Cet ordre local minimise l’énergie libre locale à la manière de l’ordre icosa- édrique. Il devrait s’étendre lorsque la température diminue mais n’y arrive pas car le système est frustré. La cristallisation du liquide a lieu via une transition fortement du premier ordre car il est nécessaire de réorganiser les structures locales. Si la cristalli- sation est évitée, le liquide surfondu est frustré mais il est possible de construire un état de référence non frustré dans un espace courbe. Dans cet espace, l’ordre local peut paver tout l’espace et une transition thermodynamique vers un état cristallin a lieu a une température T∗ > T

g. Dans l’espace Euclidien, i.e. en présence de frustration, cette transition thermodynamique est évitée. Cependant, la proximité du point critique évité

car la frustration empêche la structure ordonnée idéale de s’étendre au-delà d’une cer-

taine distance. C’est pourquoi la température T∗ à laquelle aurait eu lieu la transition

évitée correspond à la fin du régime Arrhénien (confère figure 1.3).

Bilan La théorie des domaines limités par la frustration est dans l’esprit très différente des autres. Elle suppose que le mécanisme responsable du ralentissement visqueux est la frustration géométrique. Moins un liquide est frustré, plus il est fragile et plus la taille des hétérogénéités dynamiques est grande. Cette approche décrit bien les données expérimentales du temps de relaxation ainsi que d’autres grandeurs dynamiques [104]. Cependant, l’identification de l’ordre local préféré par des liquides ayant des molécules non sphériques est expérimentalement difficile.