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CADRE THEORIQUE

III. QUELLES SONT LES LIMITES DES CONCEPTS D’URBAIN ET DE RURAL ? RURAL ?

3.3 Le territoire périurbain à la limite entre rural et urbain

La frontière entre le « rural » et l’« urbain » ne repose pas seulement sur une dichotomie rural-urbain, mais également sur une dialectique rural-urbain. La frontière est matérialisée par des disparités rural-urbain selon des approches socio-spatiale, socio-économique, démographique, socio-professionnelle, physique, etc. Plusieurs approches et méthodes peuvent être utilisées pour analyser cette frontière. Des indicateurs tant quantitatifs que qualitatifs peuvent être utiles. Nous avons évoqué précédemment une approche qui relève des indicateurs quantitatifs avec l’Insee. Nous proposons à la suite quelques pistes de réflexion sur les différences entre « citadins » et « ruraux » en termes sociaux et politiques, et aussi selon les identités et les services (Aliaga, 2015). D’abord, nous analysons la complexité d’un territoire périurbain en tant que tiers espace à part entière, entre territoire rural et territoire urbain. Ensuite, nous étudions les effets du changement de la frontière rural-urbain sur la transformation sociale d’un territoire périurbain. Enfin, nous examinons les rôles de cette frontière du point de vue de l’autonomie des communes que l’on peut qualifier de péri-métropolitaines.

3.3.1 Le périurbain complexifie la frontière entre rural et urbain

La frontière entre rural et urbain, à l’échelle du quotidien, peut s’établir à partir des comportements au sein de ces catégories d’espaces. Les relations entre ces espaces sont d’abord d’ordre social. Comme l’écrit Pages-El Karoui (cité dans Arlaud et al., 2005 : 423), ce sont « les pratiques des habitants qui démontrent bien une grande souplesse dans l’appartenance aux mondes ruraux et urbains. […]. (En même temps) il est indéniable que le clivage urbain/rural est très vivace dans les mentalités notamment quand il s’agit de stigmatiser l’autre ». Ça signifie que les frontières entre le « rural » et l’« urbain » renvoient à l’identité rurale et à l’identité urbaine.23 À cet égard, la dichotomie rural-urbain peut être étudiée à travers des cadres de sociabilité et d’identité. Les limites entre « citadins » et « ruraux » s’expliquent en termes d’interconnaissances, de qualité de vie, de traditions et d’identités. Guy Di Meo (cité dans Arlaud et al., 2005 : 157) ajoute qu’« en terme d’idéologie et d’identité, l’urbain et le rural se distinguent et séparent toujours dans les représentations ordinaires de l’homme-habitat ». Selon lui, la frontière entre le rural et l’urbain se manifeste par la discontinuité et la rupture dans le paysage, l’occupation du sol, la manière d’être, de ressentir, de vivre et de se comporter en société. Pourtant, depuis quelques décennies, il faut prendre en compte la périurbanisation qui entraine une transformation du mode de vie et des pratiques sociales rurales qui ressemblent de plus en plus aux pratiques urbaines. La

60 périurbanisation éloigne de la ville-centre les frontières des espaces urbains.24 Ce changement construit un troisième type d’espace au caractère hybride rural-urbain : l’espace périurbain (Brevard cité dans Arlaud et al., 2005 : 203-204).

L’hybridation du rural et de l’urbain caractérise le territoire périurbain en termes sociaux. Isabelle Duvernoy et Sandrine Bacconnier (cité dans Arlaud et al., 2005 : 255-257) soulignent que les espaces périphériques ne se présentent pas seulement comme un espace frontière entre des urbains et des ruraux, mais aussi comme « un espace approprié, de façon formelle et informelle, par différents acteurs, se référant ou non à des identités rurales et urbaines ». Pour Isabelle Duvernoy et Sandrine Bacconnier, les territoires périphériques sont donc un lieu de confrontation et de négociation des identités urbaines et rurales. La complexité d’un territoire périurbain est également soulignée par Vincent Banos et Bruno Sabatier (2010), dans leur travail sur les espaces périurbains non bâtis en France. Ils montrent que l’hybridation de ce territoire met en jeu les pratiques en même temps que les identités. Il s’agit démontrer que, dans le territoire périurbain, coexistent dans un même espace des représentations et des usages différents et parfois antagonistes. Les questions de cohérence territoriale et de mixité sociale posées par la relation entre habitants, entre « autochtones » et nouveaux arrivants qui sont souvent des citadins migrant vers les espaces ruraux, est prise comme un exemple.

3.3.2 La nouvelle frontière entre le rural et l’urbain : un des éléments de transformation sociale

Le territoire périurbain se trouve donc au cœur de la frontière entre rural et urbain. Caractérisons à présent spatialement les pratiques sociales qui y prennent place. Selon les enquêtes réalisées par le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (CREDOC), « les résidents du périurbain perçoivent leur cadre de vie comme étant celui de la campagne » (Gauvrit et Mora, 2009 : 7). Cela veut dire qu’ils pratiquent (ou pensent pratiquer) des façons de vivre rurales dans des espaces périurbains. À ce point, l’organisation sociale est structurée selon l’idée d’une « société locale ». Dominique Crozat (2000 : 15) donne un exemple : « autant qu’un cadre spatial, le village désigne une communauté spatialisée qui entretient des relations privilégies ». Avec le périurbain, cette conception s’exprime par un mode de vie organisé autour de « l’entre soi ». Les périurbains sélectionnent les «autres» qui souhaitent s’installer dans leur commune. Cette pratique est usitée de plus en plus dans les communes périurbaines qui pratiquent des formes d’exclusivisme local.

24 Voir notre travail plus haut sur les dynamiques urbaines : la nécessité de redessiner les limites entre le rural et l’urbain.

61 Eric Charmes (2011 : 3-5 et 56-61) explique qu’avec une volonté d’exclusivité locale, les communes périurbaines contrôlent leur territoire. Il convient de souligner que la perméabilisation des limites d’un territoire périurbain dépend de ce contrôle. Une commune sera ouverte socialement si ce contrôle n’est pas appliqué strictement. Au contraire, cette limite est moins perméable sous un contrôle fort. Ces différents cas peuvent être étudiés à partir des contrôles exercés sur la «qualité» sociale du peuplement. Plusieurs critères peuvent être appliqués dans ce contrôle, par exemple les critères économiques et familiaux. Cette exclusivité locale est importante pour les citadins : particulièrement, lorsqu’ils déménagent dans des espaces ruraux, les questions de voisinage sont importantes dans le choix de la commune.

D’un autre côté, les services sont importants. Les citadins qui s’éloignent de la ville-centre veulent garder leur mode de vie urbain. Or la présence des services est associée davantage à la vie urbaine. Les communes périurbaines dépendent donc des services de la ville-centre. Cela se traduit par la migration pendulaire qui profite à la ville-centre qui possède les capitaux et les emplois et qui est également le centre culturel. À cet égard, il faut noter que l’identité rurale des communes périurbaines est perturbée par la transformation sociale des habitants qui de plus en plus sont influencés par le mode de vie urbain. Le changement de la frontière entre « rural » et « urbain » est une dimension de cette transformation sociale.

3.3.3 L’affirmation de l’autonomie des territoires périurbains

Il n’y a donc pas de véritable frontière entre les espaces urbains, ruraux et périurbains. Ces territoires ne sont pas totalement séparés et étanches, ils s’interpénètrent, tout en conservant des spécificités. L’interdépendance de ces espaces est inévitable. Selon un critère structural, la distance entre des espaces est un des facteurs fondamentaux dans les relations entre la forme et le fonctionnement. Plus les communes sont proches, plus la relation est forte. Les communes proches, mais différentes ont tendance à vouloir maintenir leur spécificité, y compris en agissant dans la sphère politique.

Dans ces relations, il faut considérer l’espace périurbain comme une forme spatiale à part entière, qui ne saurait pas être confondue avec le rural ou l’urbain. Inspiré par Martin Vanier, Eric Charmes (2011 : 205-206) affirme l’autonomisation recherchée par des communes périurbaines : « il est légitime que le périurbain s’autonomise entre le rural et l’urbain et se constitue comme un tiers espace ». Cette «autonomie» est manifestée par la volonté des communes de déterminer leur avenir. Pour protéger leur spécificité spatiale et le mode de vie qui leur sont propres, les élus de ces communes mettent en œuvre une politique à la fois défensive et coopérative.

62 Pour mieux comprendre les actions des acteurs, nous pouvons utiliser le concept de sentiment d’appartenance. Ce sentiment détermine la manière dont les acteurs travaillent les uns avec les autres comme le souligne Patrick Moquay (1996 : 60) : « le sentiment d’appartenance fonde l’existence ressentie et reconnue d’une communauté attachée à un territoire. Ce sentiment d’appartenance repose sur un ensemble d’éléments relevant de la géographie physique ou économique, et bien évidemment de phénomènes culturels, liés à des traditions, à des manières de penser ou de faire partager par la communauté. ».

Quand nous parlons des territoires périurbains, ce sentiment évolue en accompagnant la transformation des territoires ruraux en territoires urbains. Cette évolution permet aux habitants et aux acteurs d’évoluer dans leur manière de définir leur territoire. Comme « une communauté parfaitement établie et définie suppose un accord général sur ses limites et sur ce fondement » (Moquay, 1996 : 60), si nous acceptons l’existence d’un tiers espace périurbain, nous aurons un territoire défini auquel les communes périurbaines peuvent se sentir appartenir. Patrick Moquay (1996 : 60) ajoute que le floue des limites « met en évidence des sentiments d’appartenance concurrents ou entremêlés […], donc des propositions diverses d’appartenance ». Les relations entre les communes et leurs communes voisines vont se faire par le partage de ce qui fait leur qualité : les services pour les communes urbaines, l’environnement pour les communes rurales. Les communes de l’ouest lyonnais, par exemple, se revendiquent le « poumon vert » pour le Grand Lyon.

Les travaux d’Eric Charmes (2011 : 149-206), de David Giband (cité dans Arlaud et al., 2005 : 309 – 321), et de Richardson Dilworth (2005 : 5), portant sur des formations socio-spatiales morcelées dans un tiers espace de type péri-métropolitain, montrent diverses relations politiques entre territoires voisins. Ces travaux montrent que les administrations rurales et urbaines sont différentes de celles des communes périurbaines. Cela prend valeur de distanciation sociale et politique de ces espaces et montre une troisième voie au-delà du dualisme rural-urbain. Les communes péri-urbaines sont face à la turbulence de l’incessant passage entre le rural et l’urbain, et leur avenir dépend des décisions des élus et des caractéristiques qu’ils vont privilégier. On pourrait faire une métaphore en considérant qu’il y a dans les communes périurbaines une « élasticité » entre le rural et l’urbain

Dans son travail, Eric Charmes (2011) souligne que l’autonomie des communes périurbaines ne réside pas nécessairement dans l’isolement. Elle peut aussi prendre sa source dans leur capacité à réaliser un compromis avec leurs voisines pour les problèmes d’aménagement du territoire. Eric Charmes (2011 : 206) constate que «les institutions politiques autour desquelles le périurbain s’est structuré ne s’inscrivent pas seulement dans une logique défensive. Il s’agit aussi pour les

63 périurbains de prendre la parole et de s’impliquer dans les décisions qui concernent leurs environnements, hors des limites de leur commune ». Eric Charmes (2011 : 206) ajoute que les communes périphériques et leurs villes voisines rencontrent des difficultés pour arriver à un compromis quand des points de vue différents empêchent la négociation, par exemple quand les unes stigmatisent les autres comme espaces pathologiques et vice-versa.

La question de la frontière et de l’autonomie est traitée d’un point de vue différent par David Giband qui analyse le cas de Philadelphie et des comtés Quaker. Il met l'accent sur le rôle des limites entre rural et urbain perçues comme des frontières. La nouvelle dimension de cette frontière influence l’affirmation d’autonomie de chacun des territoires, urbain et rural. Mais cette frontière est perméable en raison de l’interdépendance de ces territoires. Des élus peuvent alors défendre l’idée d’un dépassement de cette frontière. C’est le cas pour des communes périurbaines qui acceptent le projet d’élargissement d’une métropole. Ceci étant, ces communes, n’acceptent que leur territoire soit considéré comme une partie du système fédéral de la gouvernance métropolitaine, qu’à condition d’avoir droit à une hétérogénéité culturelle et identitaire (Giband cité dans Arlaud et al., 2005 : 320).

L’autonomie demandée par les communes périurbaines est confirmée également par le travail de Richardson Dilworth. Il met en évidence le rôle de la séparation entre rural et urbain dans l’autonomie des communes périurbaines. Il montre que cette autonomie est effectuée dans les domaines physiques et sociaux. C’est ainsi que des communes périphériques refusent les services urbains proposés par les grandes villes. Ces communes veulent que leur territoire soit différent du territoire urbain des grandes villes voisines (Dilworth, 2005 : 5). En définitive, la frontière qui sépare le rural et l’urbain prend forme dans la manière dont les communes périurbaines affirment leur autonomie.

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DEUXIEME CHAPITRE

LA COOPERATION INTERCOMMUNALE D’UN

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