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CADRE THEORIQUE

I. CONCEPTIONS DES LIMITES

1.2 La limite : construction d’un territoire et d’une identité territoriale

Il importe de souligner les rapports entre la limite, l’identité et le territoire comme l’affirme Étienne Balibar (2005 : 15) : « la détermination des territoires, des frontières, des divisions administratives, et au bout du compte la façon dont on conçoit la différence de « l’intérieur » et de « l’extérieur » ne sont évidemment pas des questions secondaires par rapport aux questions de l’identité politique et de la constitution ». La mise en relation de ces trois notions nous permettra d’analyser la relation entre le Grand Lyon et les intercommunalités et communes voisines à

34 travers une question : Quelle est l’attitude des acteurs de ces entités vis-à-vis des territoires situés en dehors de leurs limites, et quel rôle jouent les représentations de leur propre identité ?

« Territoire » est utilisé par certains chercheurs afin de caractériser la nouvelle importance prise par « les relations entre acteurs locaux dans les recompositions de l’action » (Duran, Thoenig, 1996 ; Vanier, 2009 : 46). En effet, un territoire est le fruit de l’articulation de plusieurs éléments dont l’identité (Lecourt, 2003 ; Lecourt et Faburel, 2005 : 7). Plus précisément, Béatrice Colligno (cité dans Bonnemaison et al., 1997 : 2) explique que « la construction de l'identité s'inscrivait autrefois dans le cadre d'une perception globale du cosmos comme un monde de relations, dont tous les composants sont vivants et interdépendants ». Nous proposons donc de traiter les relations entre la limite, l’identité et le territoire à partir de deux angles : les rôles des limites dans la construction d’un territoire et les enjeux de la frontière comme source d’identité territoriale.

1.2.1 Limite et construction d’un territoire

La question des limites territoriales est un enjeu important : comment mesurer un territoire ? Le rôle des limites est nécessaire aussi dans la construction des territoires car celle-ci est matérialisée par des limites. À travers ses limites, l'existence d’un territoire est instaurée, ou autrement dit, un territoire concevable n'existe pas sans la présence de limites. Dans son travail, Jean-Claude Taddei (2007 : 9-11) montre que les différents types de territoires sont produits par les limites et leurs conséquences sur la construction des territoires (voir tableau 1).

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Tableau 1 : Les différents types de limites et les formes de territoires correspondantes

LES LIMITES

Limites instituées Limites

instituantes Limites spatiales Objectifs Légitimation d'un

territoire Création d'un territoire Aménagement du territoire Présence d'un

existant OUI NON/OUI NON

Processus de construction 1/établissement de la clôture définissant le territoire 1/définition des limites organisationnelles 1/définition des limites géographiques 2/définition des limites organisationnelles 2/ouverture du territoire, politique d'attractivité 2/ouverture du territoire, mise à disposition de parcelles 3/développement de relations extérieures 3/poursuite de la politique d'attractivité et développement de relations extérieures 3/fermeture du territoire lorsque les limites géographiques sont atteintes

Altérité Protection Acceptation Acceptation Type de territoires Cluster, districts

industriels, SPL, …

Technopôle, pôle de compétitivité, …

Zone d'activité, … Source : Taddei, 2007 : 10

Arnaud Lecourt considère un territoire comme une articulation de trois facettes : existentielle (entité et identité territoriale), physique (propriétés naturelles et matérielles), et organisationnelle (rôle et propriétés des agents sociaux) (Lecourt et Faburel, 2005 : 7). Nous pouvons utiliser le tableau 1 ci-dessous pour comprendre la construction d’un territoire. D’abord, juridiquement l’existence d’un territoire est donnée par les limites instituées. Elles sont produites de façon à fixer un territoire. Ces limites autorisent un territoire à exercer un pouvoir à l’intérieur de « l’espace » défini par ces limites. Ensuite, la limite spatiale présente une démarcation de l'espace terrestre qui détermine une opération physique d'aménagement d’un territoire. Enfin, les limites instituantes produisent un territoire qui correspond aux institutions publiques et aux acteurs locaux, parce que ces limites jouent un rôle dans la sélection des acteurs. Les limites instituantes enveloppent un territoire où «les acteurs seront chargés d'inventer la proximité organisationnelle à laquelle ils aspirent » (Taddei, 2007 : 7-9).

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1.2.2 Limite et construction8 de l'identité territoriale

L’identité est un des aspects indissociables d’un territoire parce qu’un territoire est porteur d'identité pour les gens qui y habitent. Roger Brunet (2001) définit un territoire comme « en général, un espace sur et dans lequel on agit, où l'on se sent chez soi, presque un prolongement de la personne ». Un territoire est, autrement dit, une manifestation d’un système construit par des acteurs (Zimmermann 2005 cité dans Lamara, 2009) : « des territoires construits par des acteurs ». La rupture entre ce système et les autres produit un processus cumulatif dans la construction d’une identité territoriale. Ici, la limite est vectrice et génératrice d’identité territoriale. Comment une limite fonde-elle l’identité territoriale ? Une approche de la frontière en tant qu’institution peut être reprise.9

La frontière se manifeste comme une source d’identité parce que la frontière produit des effets symboliques d’identité sur les territoires (Douzet et Giblin, 2013 : 16). Son rôle est important pour concevoir l'identité du territoire en créant une discontinuité. Les limites ont permis de séparer, d’arrêter, de filtrer, de contrôler et de protéger un intérieur contre des agressions de tous ordres (Alexandre et Genin, 2008 : 411). Un système strict est appliqué pour agir sur les « entrées » et les «sorties» dépendant des intérêts du territoire. Les fonctionnements de la limite sont soulignés par Denis Retaillé (cité dans Vanier, 2009 : 110) : « la frontière isole le territoire […] ».

Cet isolement forme donc une homogénéité parce qu’il existe des restrictions territoriales liées aux intérêts de ces territoires. L’exemple le plus significatif nous est fourni par Didier Bigo qui prend une frontière en tant que limite territoriale. Selon lui, une frontière « forge l’homogénéité nécessaire à l’identité nationale en créant les conditions d’un espace distinguant les étrangers des citoyens nationaux. […] Elle s’impose à tous et déterminerait la solidarité à l’aune d’un intérieur citoyen, opposé à un extérieur composé d’étrangers » (Durand, Lequesne et Ceriscope, 2011 : 3). Jean Baptiste Dubrulle, cité par Noémie Hinfray, explique que la frontière contribue à la construction d’une identité d’un territoire. Une frontière marque d’abord une symbolique liée à « l’ailleurs » et « l’altérité ». Ensuite, une frontière entraine des barrières mentales, psychologiques ou sociologiques qui permettent à une limite d’induire des cadres d’identités en distinguant un territoire de « ceux situés de l’autre côté de la frontière » (Hinfray, 2010 : 34). Considérer la

8 Nous ne nous référerons pas à la construction artificielle et politique de pays ou de territoires –souvent imposée de l’extérieur- qui ne prend pas en compte la situation géographique et sociale des lieux où elle est implantée.

9 Nous avons parlé plus haut de la différenciation entre frontière et limite. A partir de leur fonction de délimitation, nous nous permettons d’emprunter le terme de frontière pour désigner la limite.

37 limite comme construction identitaire est aussi le point de vue de Marie-Christine Fourny (cité dans Nemery, Rautenberg, et Thuriot, 2008 : 106) : « l’identité territoriale a pour objet l’individu ou le groupe dans la manière dont ils construisent leur propre identité sociale ou personnelle à partir du territoire. Elle considère les procédures de l’attachement, de la définition d’un « soi » ou d’un « nous » à travers la dimension territoriale ». En définitive, il semble bien que la limite soit un des facteurs fondamentaux dans un processus d’interprétation de «l'un» et de «l'autre».

Vladimir Kolossov (2005 : 13-27) souligne que cette interprétation est influencée par des facteurs internes qui sont liés à des restrictions territoriales, cartes mentales et valeurs partagées par l’individu et l’ensemble de son groupe territorial et social dans son ensemble. Pour interpréter le territoire de l’autre, ces facteurs sont associés aux intérêts et identités du territoire. Si le résultat du processus d’interprétation montre une confiance mutuelle, les stéréotypes négatifs disparaissent. Apparait alors une possibilité de réaliser une coopération entre les différents territoires. A l’inverse, si le résultat met en valeur la perception d’une menace externe, des relations conflictuelles apparaîtront. La limite alors protégera l’intérieur. Cela se matérialise par une diminution ou un arrêt de tout contact avec l’autre territoire indésirable ou dangereux (Kolossov, 2005 : 13-27). La conflictualité entre les territoires est donc renforcée par un effet de lieu et par la rupture identitaire « eux/ nous » que les limites apportent (Frémont et al., 1984 ; Lafaye et Thévenot, 1993 cité dans Lecourt et Faburel, 2005 : 38).

Dans les relations forme-fonctionnement des territoires, la distance est un des facteurs fondamentaux. La proximité crée des interactions plus fortes, qu’elles soient positives ou négatives. Comme nous l’avons dit plus haut, ces relations sont influencées par les représentations qu’un territoire a de l’autre. Nous traitons donc des relations d’un espace avec son environnement pris au sens large. D’un côté, il se construit une relation systémique quand la négociation entre la perception positive et négative se résout tendanciellement de manière favorable. Une relation positive se développe entre cet espace et son environnement dans des domaines d'intérêt commun. D’un autre côté, les interactions négatives produisent un « refus/ rejet ». La relation conflictuelle provoque un rejet ou un évitement d’interaction avec des « autres » caractérisés négativement. Dans ce sens, la source principale de conflictualités entre les territoires est liée à des perceptions d’atteintes à un territoire et à ses territoires voisins. Il convient donc d’étudier les effets des limites administratives à travers l’attitude des acteurs vis-à-vis du territoire situé de l'autre côté de ses limites.

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