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CADRE THEORIQUE

I. CONCEPTIONS DES LIMITES

1.1 De quoi la limite est-elle le nom ?

Le but de ce travail est d’examiner les effets des limites administratives d’une communauté urbaine dans une approche territoriale. Il semble donc nécessaire d’analyser la définition du mot « limite ». Notre propos est organisé en deux temps. Dans un premier temps nous allons étudier les concepts de «limite» et «frontière» en tant que délimitation. Ils peuvent, dans le cas précis de la délimitation, et dans certaines conditions être considérés comme des synonymes. Nous n’oublierons cependant pas que le mot « frontière » peut, contrairement à « limite », être investi de mesures particulières et d’une valeur juridique majeure dans le cas des frontières d’Etat. Dans un second temps nous allons examiner la limite du point de vue de son

30 étymologie. En définitive, il est important de souligner la distinction des termes : «frontière» et «limite» qui sont souvent utilisés improprement comme synonymes.

1.1.1 Limite : une délimitation

La question de la limite renvoie à la capacité à mesurer et à distinguer les territoires et à les organiser. Analyser des limites territoriales, c’est aussi parler de discontinuités, de ruptures, de seuils, et de frontières. Toutes ces terminologies seraient intéressantes à approfondir pour définir le terme limite, pourtant ce travail se concentre sur les termes frontière et discontinuité dans les espaces et les territoires, comme le souligne Noémie Hinfray (2010 : 27) en s’appuyant sur Frédéric Alexandre et Marie-Christine Fourny-Kober : « le vocabulaire frontalier renvoie aux limites et discontinuités qui s’inscrivent dans l’organisation de l’espace ». Il s’agit de recouper ces trois champs voisins à travers leur fonction de délimitation. Il serait intéressant d’approfondir l’analyse pour mieux comprendre les limites en tant que délimitation : nous empruntons l’idée de Spinoza : « toute détermination est négation » (Heidegger, 1977 cité dans Vaysse, 1994 : 254). En ce qui concerne la limite, nous pouvons trouver une idée de négation dans la frontière, inclusive du dedans, et exclusive du dehors. François Moullé (2010 : 13) écrit que « la frontière est en apparence la forme la plus simple à définir car elle correspond à une entité construite et sécurisante du dedans et du dehors ». La notion de limite s'est répandue dans une sphère bipolaire. Une limite n’est quasiment jamais la simple délimitation du « dedans », elle est presque toujours aussi le point de départ du « dehors », elle est une frontière entre deux ensembles. Cette antithèse est indissociable, comme la définition de la frontière proposée par Michel Foucher (1991 : 38) :« c’est en même temps le « dedans » et le « dehors » ». Nous trouvons deux conceptions différentes dans l’analyse des limites territoriales. Nous pouvons les considérer floues comme Jean-Christophe Gay (2004 : 24) : « la limite entre le dedans et le dehors n’est pas toujours nette », ou clairement définies et nettes, comme le veut Christiane Rolland-May. Pour elle, la limite est une coupure nette entre un « dedans » et un « dehors ». Dans cette optique, la limite sépare sans ambiguïté deux entités dont les composantes sont parfaitement déterminées (Rolland-May, 2003 : 2-3). Un espace géographique constitue un exemple significatif pour Christiane Rolland-May :

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Figure 4 : La limite spatiale, interface nette et sans ambiguïté entre « le dedans » et « le dehors »

Source : Rolland-May (2003 : 4)

Pour France Farago, les limites sont marquées par les frontières ou les contours. Elle souligne que « les frontières, quelles qu’elles soient, délimitent le contour des choses » (Farago, 2011 : 7). Philippe Martin (2003 : 129) rejoint ce propos. Pour lui, comme un contour, la limite englobe un contenu. Donc le sens du mot limite se réfère à un type de limite qui est séparant. Ce contour peut être net ou flou, plus ou moins net ou plus ou moins flou, et ce pour le même espace, selon que nous l’étudions par exemple, du point de vue juridique ou des usagers.

La délimitation des limites s’exerce à tous les contours des échelles spatiales : au contour de l’État, au contour de l'administration locale, au contour entre l’espace rural et l’espace urbain, au contour entre le centre et sa périphérie etc. Cela signifie que les limites ne se distinguent pas seulement par leurs fonctions, mais également par leurs échelles. Le rôle de la délimitation des limites est différent selon les contours des territoires et des espaces : ce rôle est souvent lié aux compétences, au pouvoir, au système politique de ces territoires. Cela conduit à prendre en compte la délimitation comme « le point de départ » de la distinction territoriale entre «l’un» et « l’autre ».

1.1.2 Le sens des mots « limite » et « frontière »

La question du contour nous amène au « dedans » et « dehors » et à la différenciation entre un territoire et les autres territoires. La séparation entre « le dedans » et « le dehors » est marquée par la délimitation présentée par une frontière et/ou une limite. Les termes : « frontière » et « limite » ne peuvent pas toujours être utilisés comme synonymes, même si les propos de France Farago et d’Éloïse Libourel ci-dessus nous montrent qu’il y a toujours des contours. Prenant l’exemple du contour de l’État, la délimitation est bien présentée par une frontière comme l’explique

« Le dehors »

Espace géographique

« Le dedans »

Limite de l'espace géographique : ses propriétés

32 Bernard Reitel (2008 cité dans Alexandre et Genin, 2008 : 313) : « en tant que limite de souveraineté, la frontière d’État révèle l’existence de disparités entre des systèmes territoriaux (inscription spatiale des pouvoirs des États) ». À cet égard, le terme frontière est rarement utilisé pour les contours des collectivités territoriales qui sont appelés habituellement limites régionales, limites départementales, et limites communales. Le contenu de cette délimitation entraine donc une différence entre les mots « frontière » et « limite ».

L’étymologie du mot limite vient du Latin limes, limitis qui marque « un chemin, bordant un domaine ». Limes, c’est-à-dire entre deux bords. Donc la limite du point de vue de son origine « limes » est définie comme un chemin entre deux frontières. La limite présente un intervalle entre des contiguïtés et des voisinages. La limite désignait aussi la ligne de démarcation entre des territoires contigus (Marin cité dans Lacoste et al., 1991 : 107). La définition de la limite prend le sens concret de ce qui borde un terrain, un territoire. Dans ce cas, cette désignation est apparue aussi dans le sens de frontière comme l’affirme Lucien Febvre (1928 cité dans Imbert-Vier, 2011 : 1) : « la frontière et la limite se répondent, décrivant une ligne qui entoure, partage ou sépare ». Même si la limite et la frontière comprennent le sens de délimitation dans le domaine spatial, la limite et la frontière ne peuvent pas être utilisées réciproquement. Nous remarquons dans le glossaire réalisé par Sylviane Tabarly et Marie-Christine Doceul que « lorsque la limite est d’ordre spatial, on peut alors parler de frontière. Mais si toute frontière est une limite, toutes les limites spatiales n’ont pas forcément le statut de frontière qui est reconnu par l'appropriation des espaces et la reconnaissance juridique internationale de la limite » (Tabarly et Doceul cité dans Boulineau, 2012).

Une frontière nomme avant tout la limite d’un territoire. Pourtant une limite ne peut pas être appelée automatiquement frontière car une frontière est une défense par sa fonction militaire, une limite de souveraineté par sa fonction politique et contrôle les flux par sa fonction administrative. Jean Beaufays ajoute qu’il faut qu’il y ait une victoire ou une défaite militaire, une sécession, une réunification, par traité, arbitrage, voire par achat pour qu’une limite puisse être désignée frontière (Beaufays, 2003-2004). De ce point de vue, la définition des limites est plus générale que celle de la frontière parce que pour être une limite, il n’y a pas besoin de remplir spécialement les conditions ci-dessus.

Une ligne peut être estimée comme une limite quand elle détermine une étendue, quelque chose ayant un développement spatial, et qui la sépare d'une autre étendue, lieu de l'altérité (Rey, 1992). Le vocabulaire frontière est donc utilisé spécifiquement pour un type de limite. La frontière représente une limite au sens strict. D’après le Groupe de recherches Interfaces (2008 : 193-207), la frontière est considérée comme une forme particulière de limite. L’analyse de Claude Raffestin

33 (1986 : 3-21) conclut également que la frontière apparait comme un sous-ensemble des limites. La classe des limites contient la classe des frontières, Ces notions permettent de donner une utilisation plus libre au concept de limite qu‘au concept de frontière. Noémie Hinfray (2010 : 25) dans sa thèse écrit que « les limites s'inscrivent effectivement dans l'espace à toutes les échelles, de la clôture d'une maison à la frontière d'État, en passant par les limites de la ville ou celles d'une région ».

Les limites qui séparent deux États sont populairement reconnues comme frontières. Cette notion n’est pas due au hasard. Elle est influencée par l'étymologie du mot frontière : « frontière » qui est dérivé de « front » au sens militaire du terme qui désigne les efforts des États pour contrôler militairement leurs frontières. D’après Michel Foucher (1991 : 38), le mot « frontière » contient une idée de front: confrontation ou d’affrontement. Gabriel Wackermann (2003 : 108) pointe également « Qui dit frontière, dit affrontement réel ou potentiel, à moins que la frontière ne soit fossilisée ». Le sens de « front » est affirmé aussi par Jean-Michel Hoerner (1996 : 29) qui écrit : « la frontière prend alors tout son sens dans la mesure où deux territoires se font front ». Même si le mot frontière est proche du terme « front » et « militaire », il est possible de définir la frontière pour comprendre que dans une approche générale le terme de frontière n’enserre pas uniquement des espaces nationaux, mais toutes sortes de représentations à l’intérieur des États comme l’explique Roger Brunet qui dit qu’au nom frontière correspond un adjectif « Frontier » qui signifie « faire face ». Avec cet adjectif, les frontières ne sont pas caractérisées seulement comme des limites qui sont des lignes de confrontation, mais aussi comme des synapses et des lignes d'échanges en même temps (Brunet et Dollfus, 1991). Pour reprendre Claude Raffestin (1986 : 6), « la notion de frontière n'est pas univoque puisque, d'une manière très générale, elle peut se définir en termes de zonalité ou de linéarité […] », la frontière peut donc être présente à plusieurs niveaux : supranational et infranational. Michel Koebel (2009 : 24-44), par exemple, utilise le mot : les frontières du « local » pour désigner les limites administratives.

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