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CADRE THEORIQUE

II. L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE : UN TERREAU FERTILE POUR DES ENJEUX GÉOPOLITIQUES POUR DES ENJEUX GÉOPOLITIQUES

2.2 La géopolitique pour l’aménagement territorial

La géopolitique et l’aménagement d’un territoire peuvent paraitre comme des domaines contradictoires. Béatrice Giblin (2005) explique que, d’une part, comme « science des rivalités » sur le territoire, la géopolitique s’attache à des conflits entre les États, conflits qui sont souvent violents et complexes. D’autre part, l'aménagement territorial a pour fonction d'utiliser au mieux le territoire en favorisant son développement et son équilibre. Dans ces représentations, la géopolitique porte un projet politique sur un espace. À l’inverse, l'aménagement territorial se manifeste dans un domaine plus technique que politique. Alors, comment la géopolitique s'applique-t-elle à l’aménagement territorial ? Comment l’aménagement territorial prend-il en compte les rivalités d’essence politique et les rapports de forces ?

2.2.1 Le recours à la géopolitique est-il pertinent pour l’aménagement territorial ?

Le recours à la géopolitique comme moyen d’analyser et de comprendre la réalité des politiques d’aménagement concerne de nombreux travaux.13 Ces travaux analysent les conflictualités entourant l'aménagement territorial et présentent une typologie des conflits locaux qui correspond aux conflits définis par la géopolitique. D’après Philippe Subra, le caractère de la géopolitique se trouve aussi dans l’aménagement territorial parce que l’aménagement d’un territoire est devenu un enjeu politique. Philippe Subra (2008 : 239) souligne que

« Appliquer la démarche géopolitique aux conflits d’aménagement ne signifie pas l’appliquer telle quelle. Les questions d’aménagement présentent en effet un certain nombre de spécificités qu’il importe de prendre en compte et qui portent principalement sur le concept de territoire et la notion de pouvoir, sur la production des rapports de forces, sur les relations entre acteurs, enfin sur la nature et le rôle des représentations. »

Pour Philippe Subra (2008 : 239-245), la géopolitique appliquée à l’aménagement territorial doit être abordée sous l’angle des conflits de territoire et sous l’angle du territoire des acteurs. Ces deux angles permettent l’analyse des conflits et des rivalités de pouvoir au sein des politiques d’aménagement. Les acteurs ont des relations d’alliance, de rivalité, et il existe aussi des acteurs qui ne prennent pas partie. Les choix stratégiques des acteurs évoluent selon leurs intérêts pour un projet

13 Nous pouvons consulter les travaux de Dominique Mehl (1979), de Béatrice Giblin (1990), de Philippe Subra (1994, 2007, 2008, 2014), Jean-Marc Dziedzicki (1997), Patrice Melé, Corinne Larue et Muriel Rosemberg (2003)…etc.

46 ou pour un autre. Des rapports de forces permettent à chaque acteur d’influencer les autres afin qu’ils rejoignent sa position. La vision territoriale des acteurs joue un rôle important dans ces choix.

Christophe Cuenire (cité dans Ruegg et al., 1992 : 22) a une analyse similaire en constatant qu’en aménagement du territoire, les conflits sont inévitables. Selon lui, ces conflits sont provoqués par de multiples causes : la prise en compte unilatérale d’intérêts, les difficultés de communication, les contraintes politiques et économiques. Il ajoute qu’il faut bien distinguer les différents acteurs concernés par un projet d’aménagement du territoire afin de mieux cerner les causes de ces conflits. Pour comprendre l’application de la géopolitique à l’aménagement du territoire, Béatrice Giblin (2005) propose de retenir le critère de l'intérêt général. L’existence de l'intérêt général réduit les conflits puisque l'intérêt général se trouve en arrière-plan de tous les discours des projets en aménagement territorial. Mais les acteurs vont s’efforcer d’intégrer leurs propres intérêts dans ces projets et manifester ainsi leur pouvoir. Le fait de mettre en avant des intérêts différents rend difficile la prise en compte de l’intérêt général. Ainsi apparaissent des égoïsmes locaux et cela met en question la légitimité des acteurs politiques et des processus de décision (Subra, 2014 : 19).

2.2.2 La décentralisation renforce la géopolitique locale

En France, l’Etat a longtemps dominé la politique d’aménagement du territoire. Il reste très influent mais le panorama de la géopolitique a pris une nouvelle dimension suite à l’application de la décentralisation au début des années 1980. L’application de la décentralisation donne de plus en plus de place aux élus locaux. Cette modification a une influence majeure sur 1'aménagement d’un territoire. D’abord, le pouvoir décisionnaire s’exerce sous la pression de plus en plus forte des élus et des responsables locaux. Ils deviennent les « patrons » locaux des politiques d’aménagement du territoire. Par contre, l'Etat joue un rôle de moins en moins important dans l’aménagement territorial. Ensuite, la décentralisation introduit de nouvelles pratiques en aménagement : on passe d’un territoire de référence nationale à un territoire de référence locale. Ce passage entraine le renforcement de la prédominance de l’échelle locale. Le territoire de cette échelle devient un nouvel espace de régulation (Román, 2006 :3-5).14

L’aménagement territorial permet maintenant à la population d’afficher fortement sa présence dans les projets d'aménagement. Ce phénomène a pour conséquence un aménagement territorial qui apparaît plus complexe comme le souligne Béatrice

47 Giblin (2005) : « de nos jours, ce n'est plus « le » territoire qui est aménagé mais ce sont « des » territoires et par de nombreux acteurs ». Cette transformation touche également la notion d'intérêt général parce que la redéfinition des acteurs ne permet plus à l’Etat d’être un seul acteur qui intervient sur l’aménagement territorial. La pratique de l’aménagement territorial ne consiste donc plus uniquement en la seule action de 1'État au niveau national. En revanche, l’intérêt général représente les intérêts d'un territoire particulier valorisés par les acteurs locaux. Ce phénomène explique la multiplication des conflits en aménagement du territoire. À ce sujet, Patrice Melé et ses collaborateurs (cité dans Subra, 2008 : 235) nous permet de classer les conflits dans l’aménagement d’un territoire en quatre catégories : (1) oppositions ou controverses entre habitants, usagers et acteurs publics, (2) entre usagers d’un espace, (3) débats, oppositions entre acteurs publics ou parapublics, et (4) conflits sociaux et politiques analysés sous l’angle de leur dimension spatiale ou de leur relation au territoire. En résumé, les conflits se posent sur les territoires à l'échelle locale avec des acteurs qui se multiplient.

2.2.3 « Le localisme » : une nouvelle tendance de l’aménagement territorial

L’apport de la décentralisation donne de nouvelles dimensions à l’aménagement territorial qui n’est plus pratiqué de façon unilatérale par l’Etat. La conception de l’aménagement est définie par la décision prise plus au niveau local qu’au niveau national. A ce sujet, la notion d’intérêt général est mise en question comme le dit Frédéric Giraut (2008 : 58-59) :

« Pire, la focalisation sur les projets de territoires qui accompagnent les processus de décentralisation et de territorialisation des politiques publiques aurait pour fonction de légitimer l’abandon des objectifs de solidarité sociale à l’échelle nationale, autrement dit le démantèlement de l’État providence, pour lui substituer des objectifs de compétitivité et de cohésion dans la seule proximité. »

Dans un autre registre, Hélène Ibanez (2013 : 10) indique :

« La conception de l'intérêt général s'efface pour laisser place à une prise en compte de plus en plus grande des intérêts particuliers, et ce au risque d'accentuer la dimension conflictuelle des territoires. La territorialité devient alors plurielle et prend en compte tous les particularismes. Les identités se construisent de plus en plus par rapport au local. L'espace proche est associé à un sentiment d'appartenance plus fort. La territorialité devient alors plurielle. »

Ce changement se traduit par des rivalités entre des territoires manifestés par : «comment vendre la ville ?» et par des rivalités politiques locales exprimées par «qui contrôle le territoire ?» (Subra, 2007 : 78 – 100). Ces rivalités s’installent en

48 termes financiers et en termes de carrière politique pour les élus. A travers ces questions, Philippe Subra (2014 : 334) explique que c’est la raison pour laquelle «les acteurs, chacun, cherchent à acquérir ou à conserver le rôle d’un territoire». Il ne s’agit pas seulement de conflits entre plusieurs territoires, mais aussi ces acteurs cherchent, sur un même territoire, à renforcer leurs pouvoirs ou à conserver leurs positions politiques, grâce à un projet d’aménagement. La politique de l’aménagement territorial relève donc non pas seulement de problèmes financiers et techniques qui posent les questions :« comment payer ? » et « quoi faire ? », mais comprend également les problèmes politiques : «à qui le pouvoir sur le territoire ?» parce que les acteurs privilégient plutôt les opportunités d’aménagement pour leur propre territoire et leur propre politique. À cet égard, Philippe Subra (2014 : 61) souligne que la géopolitique s’incarne dans une nouvelle tendance : «le localisme», c'est-à-dire que les élus se consacrent à la défense étroite et pied à pied des intérêts d’un très petit territoire aux dépens éventuellement de l’intérêt national et régional.15

Les conflits peuvent aussi venir des stratégies d’aménagement : la concurrence entre plusieurs communes pour avoir sur leur territoire un équipement prestigieux (par exemple un planétarium, une gare…), ou pour ne pas avoir un équipement dévalorisant, encombrant ou polluant, ou voir leur territoire coupé par une autoroute, par une voie ferrée… peut créer des conflits. De plus, à l’intérieur même d’une commune les intérêts des habitants peuvent diverger, ou encore les acteurs politiques et économiques et les habitants peuvent être en profond désaccord d’objectifs concernant la qualité de vie, et, en conséquence, les aménagements de leur territoire.

2.2.4 La géopolitique à travers le regroupement des communes

La question du localisme ne concerne pas seulement un simple espace, mais elle se trouve aussi dans le regroupement de communes et dans la mobilisation pour intégrer la population : il s’agit de s’appuyer sur un intérêt commun entre les communes et la population. Tel est le cas, par exemple des mobilisations de la population et des communes contre l’aménagement de logements sociaux. La municipalité et la population ont un intérêt commun pour ne pas accueillir une nouvelle population avec les risques qui leur semblent être associés. La politique

15 La grève de la faim du député Jean Lassale contre le départ éventuel d’une entreprise de sa circonscription dans la Vallée d’Aspe dans les Pyrénées – Atlantique au printemps 2006 est prise comme l’exemple de ce cas.

49 de la planification urbaine dédiée à un objectif de la mixité sociale16 est touchée par l’obstacle qui vient de l’autonomie communale et par la pression des populations aisées qui souhaitent avant tout rester entre elles (Subra, 2014 : 272-273).

Le regroupement des communes s’explique également par l’effort des élus de prendre le contrôle des intercommunalités. Les communes se regroupent dans une intercommunalité qui regroupe des communes qui ont la même orientation (par exemple, toutes sont des communes rurales). Des conflits sont apparus à l’intérieur des regroupements à cause des intérêts divergents entre les élus et les communes, et les autres regroupements limitrophes. Ces conflits sont causés par les stratégies communales ou communautaires. La crise de la géopolitique se manifeste dans les rivalités entre les territoires de ces regroupements. « L’approche géopolitique permet donc principalement de savoir « ce qui se passe » autour des projets d’aménagement et d’équipement » (Subra, 2014 : 334). Cette approche analyse les problèmes des territoires en montrant que la décision politique est un point fondamental dans la politique d’aménagement, notamment la décision qui provoque des rivalités de pouvoir. Une décision ne peut pas être analysée uniquement par l’approche classique de l’aménagement, parce que cette approche s’explique plutôt par la dimension technique.

2.3 L’aménagement territorial donne-t-il un espace pour la démocratie

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