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CADRE THEORIQUE

I. CONCEPTIONS DES LIMITES

1.3 La coopération territoriale : un franchissement des limites ?

L’intercommunalité s’inscrit dans la question de la limite parce qu’une possibilité de coopération dépend de l’interprétation que fait un territoire à propos des territoires situés en dehors de ses limites, comme nous l’avons évoqué plus haut. L’analyse de la coopération intercommunale s’appuyant sur les conceptions des limites est utile pour analyser les relations entre le Grand Lyon et les collectivités territoriales voisines. Deux angles d’analyse sont retenus dans cette étude qui présente les liaisons entre l’intercommunalité et les limites administratives. L’analyse est en premier lieu centrée sur le découpage territorial. En second lieu, l’analyse privilégie les interfaces pour aborder les limites administratives des EPCI.

1.3.1 L’intercommunalité et le découpage communal

L’intercommunalité est liée à la démarche de la réorganisation territoriale française pour remédier au découpage communal (Poujade et Cabannes, 2014 : 35).10 Ce découpage est une partie de la longue histoire de la réorganisation territoriale française dont les communes sont les plus anciennes. Instituée en 1789 et dotée d’autonomie en 1884, la commune est héritière des villes et paroisses du Moyen Âge (Insee : n-d.a). Aujourd’hui, l’émiettement communal est considéré comme inadapté à l’organisation spatiale. Plusieurs initiatives sont donc proposées de manière à réduire le nombre des communes. En ce qui concerne les limites, cette réduction entraine des changements de limites communales et même la suppression de ces limites. Pour Simon Edelblutte (2000), ces changements sont « mineurs lorsqu’il s’agit d’un simple déplacement de la limite ou majeurs quand une commune disparaît ou apparaît. ».

En réalité, les politiques de modification du tissu communal n’ont pas toujours rencontré un vif succès. Les projets de fusions de communes portés par la Loi Marcellin le montrent bien (Coutor, 2006 : 127-145).11 Comme les limites jouent un rôle dans la construction d’un territoire, le découpage communal aboutit à la production de limites. Les limites communales sont calées sur des systèmes territoriaux très anciens. Ce fondement historique les rend très résistantes. Dans cette situation, l’intercommunalité est considérée comme une solution envisageable dans le découpage administratif français. Selon Jean Pelatan (cité dans

10 Correspondant aux géosystèmes existants, 44 000 communes ont été créées à la Révolution Française. En 2013, il existait 36 767 communes dont près de 32 000 ont moins de 2000 habitants.

11 Loi Marcellin est la Loi n° 71-588 du 16 juillet 1971 sur les fusions et regroupements de communes.

39 Wackermann(dir.), 1996 : 35-42), l’intercommunalité est plus acceptable pour les communes parce que la coopération intercommunale permet aux communes de s’intégrer librement sans détruire leur identité. Jean-Marie Tetart (2001 : 3) constate que « la logique de l’intercommunalité ne fait pas disparaître la commune mais conduit à de nouvelles répartitions de compétences ».

La question des limites et de l’intérêt communautaire sont au cœur des dispositifs des structures des intercommunalités car celles-ci sont fondées sur la coopération entre des territoires discontinus (Behar, 2007 : 15-20). La coopération intercommunale appelle, d’abord, ces territoires à se mettre d'accord sur une définition de l’intérêt communautaire, pour que, ensuite, ils puissent mettre en œuvre un projet de « vivre ensemble » dans un périmètre élargi. C’est un périmètre qui dépasse les limites communales. La « frontière intercommunale » est créée par l’ouverture des limites communales à l’intérieur des EPCI et est accompagnée par une fermeture à l’extérieur, au niveau des frontières avec les autres EPCI ou les communes en dehors des communes membres. L’utilisation du vocabulaire «frontière» s’appuie sur le travail d’Amor Belhedi (2003) qui propose une typologie des limites : limites internes et limites externes. D’un côté, les limites internes matérialisent l’organisation territoriale interne. D’un autre côté, les « limites externes sont imposées par un autre système et correspondent à celle du système lui-même » (Belhedi, 2003 : 7). Il est logique, à notre sens, d’utiliser le terme «frontière» pour la limite externe du système territorial d’une intercommunalité et le terme « limite » pour les limites internes de ce système.

Les rapports entre la limite et la construction du territoire sont clairs d’après ce que nous avons pu voir précédemment. La limite intervient pour la construction du territoire. Donc la création de la frontière intercommunale a pour conséquence de créer « un nouveau territoire ». Clotilde Deffigier (citée dans Coussy, 2010 : 33), affirme que l’intercommunalité permet de gérer des services et de créer de nouveaux territoires, plus proches : « des territoires vécus ». Certes, le territoire vécu correspond à un bassin de vie, d’activités et d’emploi qui ne se superpose généralement pas à l’intercommunalité définie administrativement. Mais à l’origine, la coopération intercommunale est menée par l’intérêt d’organiser la gestion des services publics correspondant aux besoins des habitants. Historiquement, les communes se regroupent pour, par exemple, apporter les réseaux d'eau et d’électricité à leurs habitants. Au départ donc le territoire d’une intercommunalité est « un territoire de services, d’équipements fournis par l’intercommunalité […] » (Albouker, 2013 : 65). C’est « la coopération intercommunale de gestion » appelée également « intercommunalité de tuyaux ». La coopération intercommunale est assimilée à la création de territoires qui sont déterminés par les réseaux, circuits et flux décidés par les groupes politiques (Raffestin et A. Turco, 1984, cité dans Hoerner, 1996 : 11). C’est toujours valable

40 aujourd’hui malgré le passage à « l’intercommunalité de projet ». Avec cette dernière, le territoire de l’intercommunalité subit une institutionnalisation qui est accompagnée par les processus de redéfinition de l’identité collective des communes membres. Martin Vanier (cité dans Le Saout et Madore, 2004 : 203-216) explique que les territoires de l’intercommunalité sont « des constructions sociales identifiées et institutionnalisées par l'instance politique, des cadres et des systèmes d’action collective qui, parce que la régulation démocratique le rend possible, sont in fine reconnus politiquement ». Les territoires de l’intercommunalité permettent aux communes membres, d’un côté, de préserver leur existence, et de l’autre, d’exercer ensemble les compétences communautaires sur leurs territoires.

1.3.2 L’intercommunalité et une approche des frontières par les interfaces

La coopération intercommunale est née d’une volonté de se regrouper pour mener un projet commun ou organiser des services sur le territoire des communes membres. Les services franchissent ainsi les limites administratives et donc les limites communales. Les limites administratives sont reconfigurées. D’une part, les limites administratives des EPCI sont repoussées et renforcées à l’extérieur. D’autre part, les limites administratives communales sont configurées comme les limites internes des EPCI. Le sujet important par rapport à la limite administrative des EPCI est donc autant celui de ses limites internes que celui de « ses frontières » parce que les limites extérieures des communs membres lui sont imposées par les bords de l’intercommunalité. Ce renouvellement peut être réalisé par le fait que « les frontières peuvent être aujourd’hui pensées non comme des limites, des barrières, mais plutôt comme des membranes, des ponts qui relient plus qu’ils ne séparent » (Offner, 2006 : 44). Prenant l’exemple des renforcements de la coopération intercommunale en Ile-de-France, Jean-Marc Offner (2006 : 45) montre que cette coopération conduit au développement de la porosité de la frontière entre Paris et les communes limitrophes. L’intercommunalité arrive également à dépasser une dichotomie entre « inclusion » et « exclusion ».

L’analyse de la nouvelle notion des limites administratives dans l’intercommunalité se fonde également sur le concept de limites comme interfaces. Jacques Lévy (cité dans Belhedi, 2013 : 8-9) explique que les effets de la frontière comprennent l’effet barrière, l’effet interface et l’effet territoire. Une frontière qui fonctionne comme une interface se manifeste comme espace d’échanges entre un « dedans » et un «dehors». Ce type de frontière crée « des zones de contact où les acteurs sociaux exploitent les différentiels (juridiques, économiques, démographiques, culturels, politiques, etc.) entre deux parties » (Monnet cité dans Roussillon, 2002 : 7). Pour le Groupe de Recherches Interfaces (2007 : 5-6), l’effet interface d’une frontière facilite une coopération entre un territoire et les territoires voisins. Cette frontière

41 permet de mettre en place des interrelations entre des systèmes spatiaux différents et d’augmenter les échanges de flux. Précisément, l’interconnexion des réseaux ferrés européens peut illustrer le franchissement d’une frontière :

discontinuité interfaces

Légende :

: une approche des frontières par la discontinuité : une approche des frontières par les interfaces

: le franchissement d’une frontière par les réseaux du transport

Figure 5 : L’interconnexion des réseaux ferrés européens dans une approche des frontières par la discontinuité et par les interfaces

Source : Groupe de Recherche Interface (2007 : 10)

Dans une approche des frontières par les interfaces, la frontière n’a pas le sens d’une barrière qui empêche les contacts entre des territoires. La frontière, dans cette approche, devient floue et franchissable. Le franchissement renvoie au concept de rhizome. Avec le concept de territoires-rhizomes (Lajarge cité dans Vanier, 2009 :195), nous considérons la continuité des territoires communaux au sein d’une intercommunalité. Gilles Deleuze et Félix Guattari (1980 : 631) ont utilisé les premiers ce principe de « rhizome » emprunté à la botanique : « il n’y a pas de points ou de positions dans un rhizome, comme on en trouve dans une structure, un arbre, une racine. Il n’y a que des lignes ». En ce qui concerne notre travail, la pensée rhizomorphe est très liée aux « lignes de déterritorialisation » (Deleuze et Guattari, 1980 : 631) à cause d’une tendance à supprimer les limites internes des EPCI, sans pour autant qu’elles aient disparu.

Le rapprochement entre les territoires municipaux membres d’une intercommunalité est produit par les réseaux qui jouent un rôle en tant qu’intégrateur. En adoptant les propos de Neil Brenner et d’Helga Leitner, Joe Painter constate qu’« il s’agit en fait de réseaux de territoires (municipaux) qui

42 représentent un rapprochement possible entre les perspectives des réseaux et des territoires » (Painter cité dans Vanier, 2009 : 59). Le territoire d’une intercommunalité est constitué par des réseaux qui circulent « dedans » ce territoire parce que l’intercommunalité est née principalement dans l’objectif de porter des services publics en réseau. Revenons à notre problématique, quel est le rôle des limites administratives dans le territoire d’une intercommunalité ?

Les territoires sont définis conventionnellement par les frontières alors que les réseaux révèlent une territorialité. Mais dans le concept de territoires-rhizomes, le territoire de l’intercommunalité est une configuration de territoires et de réseaux qui ne s’opposent pas parce que les réseaux et les territoires sont interdépendants (Swyngedouw cité dans Vanier, 2009 : 61). Dicken (cité dans Vanier, 2009 : 60) souligne que « les réseaux sont intégrés dans des territoires, les territoires sont, en même temps, intégrés dans des réseaux ». Pour répondre à notre question, nous utilisons les concepts qui montrent que les réseaux et les territoires sont deux notions complémentaires, avec d’un côté, des réseaux « dynamiques » et de l’autre, des territoires « statiques ». Les territoires sont contenus dans leurs limites, par contre les réseaux les distordent. Comme « tout est en réseau, tout est rhizomatique» (Deleuze cité dans Vanier, 2009 : 61), les réseaux constituent une interconnexion par la mise en relation d’une nouvelle branche du rhizome territorial. Cela ne correspond pas aux limites administratives. Il est donc possible que le périmètre d’une intercommunalité soit un territoire temporaire pour des réseaux parce que ceux-ci tendent à sortir des limites comme le souligne Martin Vanier : les réseaux de territoires sont l’expression même de l’interterritorialité (Vanier, 2010 : 26 et 172).

II. L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE : UN TERREAU FERTILE

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