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CADRE THEORIQUE

III. QUELLES SONT LES LIMITES DES CONCEPTS D’URBAIN ET DE RURAL ? RURAL ?

3.1 Les dynamiques urbaines : la nécessité de revoir les limites entre le rural et l’urbain

« Urbanism as a Way of Life » écrit par Louis Wirth en 1938 précisait que la densité et l’hétérogénéité des populations rassemblées constituent les indicateurs qui distinguent l’urbain et le rural. Le changement de l’espace rural en espace urbain ne permet plus d’utiliser ces indicateurs. L’apparition de la périurbanisation montre bien cette difficulté (Charmes, 2007 : 7-18). « La périurbanisation se caractérise par une forte dispersion de l’habitat, une déconcentration des emplois et des mouvements pendulaires dispersés » (Schuler, 2002 cité dans Von Ungern-Sternberg et Da Cunha, 2003 : 7). C’est une des conséquences de l’extension du tissu urbain dans le domaine rural limitrophe comme le souligne Philippe Courtine (1986). L’extension de l’urbanisation dans le rural prend trois aspects : (1) la rangurbanisation, un type d’urbanisation se développant le long d’une voie routière sous la forme de construction linéaire de résidences, (2) la périurbanisation, l'expansion de petites banlieues semi rurales, et (3) la rurbanisation, l’apparition de foyers d'urbanisation en milieu rural (Courtine, 1986: 202-206). La relation entre la ville et la campagne se transforme par de nouvelles polarités périphériques (Roux et Vanier, 2008 : 7). Cela s’explique par les migrations quotidiennes centre-périphérie et la croissance des relations périphérie-périphérie. La mobilité des habitants provoque la modification des formes d’organisation spatiale. L’éclatement des espaces vécus brouille les cartes. Ce brouillage implique par conséquent de nouvelles frontières, par ailleurs toujours mouvantes. Les oppositions traditionnelles entre le rural et l’urbain ne sont plus valables (Dodier cité dans Arlaud et al., 2005 : 23).

Avec ces développements, les limites doivent être étudiées dans une nouvelle perspective. L’analyse de Marc Wiel (2010 : 10) sur la modification de l’esprit des limites territoriales le montre bien :

« La mutation urbaine évoque la distinction classique des sociologues entre « communauté » (qui implique plus des liens forts) et « société » (qui renvoie à des liens plus faibles mais souvent plus nombreux). Le passage de l’un à l’autre suppose probablement de refondre le sens des limites territoriales en redéfinissant ce qui est attendu d’un territoire partagé en commun. En absence de cette légitimation nouvelle de la notion de limite, l’étroite interpénétration des deux milieux (citadin et rural), autrefois bien distinct (surtout visuellement car depuis toujours en étroite interdépendance), présente une gradation si progressive qu’elle rend toute séparation arbitraire […]. »

C’est pourquoi la frontière entre la ville et la campagne ne peut plus vraiment être figurée dans le paysage. Les limites institutionnelles ne seraient plus appropriées pour rendre compte des limites entre le rural et l’urbain. « Ce ne sont plus les

57 caractéristiques urbaines qui définissent la ville (continuité du bâti, etc.), mais le mode de vie des populations qui détermine les zones urbaines » (Von Ungern-Sternberg et Da Cunha, 2003 : 6). Ce mode de vie s’adapte aux infrastructures et aux services. Le territoire tend à s'affirmer comme « territoire fonctionnel ».

3.2 « Rural » et « urbain » : une délimitation statistique

Tout ceci n’empêche pas les concepts d’urbain et de rural de continuer à être mobilisés, notamment par les organismes de production de données statistiques. Les concepts d’urbain et de rural peuvent être définis selon différents critères. Vincent Houillon et Laurence Thomsin (2001 : 195-196), dans leur travail sur quelques pays européens, montrent que les définitions des notions d'agglomération urbaine et d'espace rural se fondent sur divers critères : la taille de l'agrégat bâti, le seuil de population, les critères économiques et fonctionnels, le statut administratif et la région urbaine. Ils mentionnent que la France est un des pays qui n’introduit pas la notion d'urbain et de rural dans l'appellation de ses unités administratives. En France, la différenciation des notions de rural et d’urbain est fondée principalement sur une analyse statistique. Cette analyse se base sur un certain seuil d’habitants et le nombre d’emplois, accompagnés par la combinaison de plusieurs critères : le périmètre de l’institution communale, la continuité du bâti et les activités de la population.

La délimitation basée sur le critère de continuité de l'habitat a été employée dans la nomenclature statistique française depuis longtemps. En 1816, le seuil des 2000 habitants s’était imposé pour établir les tarifs fiscaux appliqués en fonction de l‘importance des lieux. La notion d’urbain se fonde également sur le choix du seuil des 2 000 habitants, critère qui a été utilisé depuis 1846, date à laquelle la population urbaine a été définie officiellement pour la première fois en France :« c’est la population totale de toutes les communes dont la population agglomérée au chef-lieu dépasse 2 000 habitants » (Potier, 2007 : 13). L’Insee a repris ce critère pour introduire le terme de l’unité urbaine en 1954 : « une unité urbaine est une commune ou un ensemble de communes présentant une zone de bâti continu (pas de coupure de plus de 200 mètres entre deux constructions) qui compte au moins 2 000 habitants. » (Brutelet Levy, 2011 : 4). Une commune est considérée comme en milieu urbain quand elle appartient à une unité urbaine. À contrario, une commune qui n’appartient pas à une unité urbaine est considérée être en milieu rural. Les communes rurales sont donc caractérisées comme étant « les communes sans zone de bâti continu de 2 000 habitants, et celles dont moins de la moitié de la population municipale est dans une zone de bâti continu. » (l’Insee, n-d). Le périmètre du rural et de l’urbain est clairement caractérisé par le nombre des habitants (2 000 habitants) et une rupture de continuité dans le bâti (pas de plus de 200 mètres).

58 Dans les années 1990, l’Insee a révisé les notions d’« urbain » et de « rural ». Elle a introduit de nouvelles nomenclatures qui ont enrichi ces notions : un Zonage en Aires Urbaines (ZAU) défini en 1996 et un Zonage en Aires Urbaines et en Aires d’Emploi de l’espace Rural (ZAUER) défini en 1997 puis précisé en 2002. Le ZAU définit la notion de la ville et délimite les zones d’influence des villes afin de caractériser la périurbanisation qui est très liée aux déplacements entre le domicile et le lieu de travail. Le critère principal pour délimiter une agglomération n’est plus fondé sur le seul seuil de population, mais sur le nombre d’emplois. L’Insee met en place également un espace à dominante urbaine appelé « l’espace urbain ». C’est un espace formé par des pôles urbains, des couronnes périurbaines et des communes multipolarisées. Comme la nomenclature de 1996 complète celle de 1954, le périmètre urbain est basé sur la notion d’unité urbaine : d’abord, les pôles urbains étaient des unités urbaines qui regroupaient plus de 5 000 emplois. Ensuite, les couronnes périurbaines rassemblaient des unités urbaines et des communes rurales. Les communes multipolarisées sont « les communes rurales et unités urbaines situées hors des aires urbaines, dont au moins 40 % de la population résidente travaille dans plusieurs aires urbaines, et qui forment avec elles un ensemble d’un seul tenant » (Courtot et Perrin, 2005 : 10). Complétant le ZAU, le ZAUER définit un espace à dominante rurale en utilisant un degré de concentration des emplois : les pôles d’emploi ruraux, les couronnes des pôles d’emploi ruraux et les autres communes de l’espace rural. Ce sont des pôles d’emploi qui jouent un rôle économique important en milieu rural et offrent 1 500 emplois (Jeanneaux et Perrier-Cornet, 2014 : 33-34).

Le périmètre urbain et le périmètre rural ont été redéfinis par l’Insee en 2010. Le changement porte surtout sur la distinction de trois catégories de pôles : (1) les grands pôles urbains (unités urbaines de plus de 10 000 emplois), (2) les moyens pôles (unités urbaines de 5 000 à moins de 10 000 emplois) et (3) les petits pôles (unités urbaines de 1 500 à moins de 5 000 emplois) (Brutel et Levy, 2011 : 4). Le seuil théorique retenu de plus de 10 000 emplois détermine le caractère urbain. L’Insee met par ailleurs en avant la caractéristique rurale du périurbain en reprenant la définition de 1954 de l’unité urbaine (Floch et Levy, 2011). Elle montre ainsi que plus de 55% de la population des couronnes périurbaines résident dans des communes « rurales ».

Ainsi l’Insee continue à utiliser les concepts d’urbain de rural. En même temps, l’Insee admet que « les frontières entre l’urbain et le rural sont de plus en plus complexes. Il est donc difficile de se baser sur une distinction urbain/rural pour déterminer les pôles » (Aliaga, 2015 : 30).

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