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L A TAXATION DIRECTE

Dans le document La notion d'Indirect rule (Page 108-112)

a Sud-Est

C. L A TAXATION DIRECTE

L’importance de la taxation directe aux yeux de Lugard a été évoquée dans le premier chapitre. Il est donc légitime que lors de l’unification, il ait souhaité étendre ce principe au sud du Nigeria. D’autant plus que l’une des principales raisons de l’unification était le manque d’argent au nord, qui devait être compensé par les fonds dont disposait le sud, plus riche. Toutefois, si la taxation était un procédé bien connu au nord du Nigeria, elle était inexistante au sud, et de ce fait, son introduction fut source de conflits.

1. L’introduction de la taxation

Dans son rapport annuel de 1919, Lugard présenta également la taxation telle qu’il l’avait mise en place au Nigéria lors de l’unification :

« The taxes are raised in the name of the native ruler and by his agents, but he surrenders the fixed proportion to Government, and the expenditure of the portion assigned to the Native Administration, from which fixed salaries to all native officials are paid, is subject to the advice of the Resident, and the ultimate control of the Government. The attitude of the

tribunaux… sont sous la supervision minutieuse du district staff. Leurs règles de preuves et leurs procédures ne sont pas basées sur les standards britanniques, mais leurs condamnations, lorsqu’elles sont manifestement erronées, sont sujettes à révision. Leurs prisonniers sont confinés dans leurs propres prisons autochtones, qui sont supervisées par le british staff. »

175MEEK, Charles Kingsley, Law and Authority in a Nigerian Tribe: a Study in Indirect Rule , Oxford University Press, 1937, p. 247

Resident is that of a watchful advisor not of an interfering ruler, but he is ever jealous of the rights of the peasantry and of any injustice to them.176 »

Les impôts étaient donc prélevés par les autorités locales, qui en remettaient une part fixée préalablement aux autorités Britanniques, et une autre part était destinée aux native

treasuries, dont les dépenses étaient contrôlées par les résidents.

Il n'y avait pas d'impôt régulier dans les états du sud, c'était donc beaucoup plus compliqué d'imposer la taxation directe telle que voulue par Lugard. E. D. Morel177, en 1912, le mit en garde contre une brusque introduction de l'imposition au sud du Nigeria. Mais, pour Lugard, il s'agissait d'une nécessité financière, ainsi que d'un principe lié à la souveraineté. De plus, il envisageait cela comme un rapprochement avec le peuple, qui devait être ainsi libéré. Tels furent les arguments qu'il donna au Colonial Office en 1915.

Afin d'étudier la possibilité de mettre en place une imposition, le résident Palmer fut envoyé au sud du Nigeria en 1915. A son retour, il rapporta que les officiels du sud ne pensaient pas que la taxation directe soit applicable, mais il les qualifia de « frileux ». De plus, les Allemands et les Français arrivaient à imposer la taxation dans leurs colonies frontalières à la même époque. Il recommanda donc de la mettre en place au Bénin, dans le royaume d'Oyo et en Abeokuta, ce qui correspondait à ce que Lugard attendait de lui, d'autant plus qu'il pensait que le pouvoir du chef avait diminué, du fait de la christianisation et de l'éducation des Africains.

Mais le Colonial Office refusa sa demande, car ses membres avaient été marqués par les événements survenus lors de cette même tentative en Sierra Leone. Ils considérèrent donc qu'il n'était pas possible de courir le risque de voir se reproduire une telle situation, d'autant plus qu'il n'y avait plus beaucoup de troupes au Nigeria, car elles étaient parties faire la guerre au Cameroun contre l’Allemagne.

Toutefois, en 1916, l'accord fut donné, et il devint possible de taxer les habitants du royaume d'Oyo, ce qui entraîna des protestations. Cette erreur était due à une mauvaise connaissance du milieu par Lugard qui, notamment, n'avait pas réellement saisi que l'Alafin et Ibadan étaient deux autorités bien distinctes. La nouvelle augmentation du pouvoir de l'Alafin

176LUGARD, Rapport annuel de 1919, cité dans PERHAM, Margery, Lugard; The years of authority, 1898- 1945, Collins, 1968, p. 470: « Les taxes sont levées au nom du dirigeant autochtone par ses agents, mais il rend la portion fixée au gouvernement et les dépenses de la portion assignée à l’administration autochtone à partir de laquelle sont payés aux officiels autochtones tous les salaires fixés, est sujette au conseil du résident, et le contrôle final au gouvernement. L’attitude du résident est celle d’un conseiller avisé et non d’un dirigeant interférant, mais il est toujours soucieux des droits de la paysannerie et de toute injustice qui lui serait faite. »

entraîna avec elle une hausse de la haine envers les Britanniques. La native court d'Okeho fut brûlée et son chef tué.

Il en fut de même à Iseyin où, en octobre 1916, des émeutes éclatèrent durant lesquelles le nouveau chef du district, ainsi qu'un membre de la native court furent tués. Ce n'est que grâce à l'intervention de l'Alafin que la révolte n'avait pas davantage dégénéré. Les reproches adressés par la foule portaient notamment sur la nouvelle native court, ainsi que sur le nouvel homme qui avait été nommé comme chef du district. Lugard envisagea comme punition l'exécution en public des meurtriers. Mais il ne put rien maîtriser, d'autant plus qu'il séjournait en Angleterre au moment des faits.

Toutefois, cela n'empêcha pas Lugard de poursuivre la mise en place de la taxation dans un endroit encore moins adapté, Abeokuta. Il obtint l'accord de l'Alake, et promit en échange de mettre fin au travail obligatoire. Les personnes ayant bénéficié d'une éducation occidentale s'opposèrent à cette idée.

La première collecte se déroula mal. En 1918, seuls un tiers des fonds prévus furent récoltés. Lugard estima néanmoins que la taxation était préférable aux anciens abus et que les Egbas lui seraient reconnaissants. Toutefois, la rancœur finit par prendre le dessus chez les Egbas, ils décidèrent alors d'avoir recours aux armes en réaction à cet impôt impopulaire178, d'autant plus que les anciennes taxes et le travail avaient été maintenus. Ils refusèrent donc de payer l'impôt.

2. La révolte d’Abeokuta

Un nouveau problème survint à Abeokuta en 1918, dû à une méconnaissance des coutumes des autochtones, ainsi qu'à une mauvaise administration. En 1918, Lugard estima que le moment était venu d'introduire sa taxation. La réforme sembla bien acceptée, et en mai de la même année, il se félicitait de son succès.

Boyle se rendit à Abeokuta en avril, mais personne ne l’informa de la gravité de la situation. En mai 1918, l'Alake l'informa des exactions. Il expliqua alors à son peuple que l'indépendance était finie, ce qui lui valut d'être hué par la foule. Fin mai, il eut recours à une démonstration de force.

178GAILEY, Harry A., Lugard and the Abeokuta uprising : The Demise of Egbas Independence, Routledge, 1982, p. 81

Le 2 juin eut lieu un grand rassemblement, et le 7 juin l'arrestation des chefs fut ordonnée. Le 11 juin, le lieutenant-gouverneur envoya les troupes de retour du Cameroun rétablir l’ordre. Les Owu et les Egbas détruisirent alors le train et le télégraphe. En représailles, Lugard envoya l'armée. Des personnes furent tuées et des combats éclatèrent.

Le 22 juin, les échauffourées cessèrent. On dénombra alors plus de cinq cents tués. La collecte d'impôts fut suspendue.

Cette tuerie mit Lugard dans une position difficile vis-à-vis du Colonial Office, à qui il devait rendre des comptes. Londres demanda des explications sur cet incident. Du point de vue de Lugard lui-même, les anciens administrateurs de la région étaient à blâmer. Il refusa d’envisager que la taxation puisse être à l'origine des émeutes, pour lui, la cause résidait dans le fait que les Egbas étaient des êtres vils, ainsi que dans le manque de soutien que lui témoignait le Colonial Office179.

L'investigation fut menée par le successeur de Lugard, Clifford. Une commission d'enquête fut nommée pour comprendre ce qui s'était réellement passé. Elle était dirigée par le résident James Maxwell. D'après sa conclusion, la faute revenait à l'administration qui n'avait pas su être à l'écoute des populations, notamment sur le sujet de la taxation. De plus, le système du chef de district ne convenait pas. Un nouveau chef, une nouvelle taxation : ce furent trop de nouveaux éléments, en trop peu de temps, et sans concertation des principaux intéressés. Notamment parce que les chefs avaient promis qu'une fois la nouvelle taxation passée, ils cesseraient d'avoir recours au travail d’intérêt général et qu'ils n'avaient pas tenu cette promesse, ainsi que parce que la nouvelle native court sanctionnait trop la chasse et d’autres petits délits communs du peuple. La menace d'envoyer les troupes avait allumé l’étincelle. Lugard accepta mal de reconnaître ses torts.

Abeokuta marque la plus grande erreur de l’administration de Lugard, comme il le confia lui-même à Margery Perham, dans sa biographie :

« You will blame me about Abeokuta180 »

En effet, cet événement, qui a conduit à cinq cents morts, marque le rejet de ses conceptions de gouvernement colonial par la société sud nigériane.

179GAILEY, Harry A., Lugard and the Abeokuta uprising : The Demise of Egbas Independence, Routledge, 1982, p. 92

La commission d'enquête souligna les fautes britanniques. Le Colonial Office refusa d'admettre les fautes de Lugard en dépit des informations fournies par Clifford. On assista alors au début du « mythe ».

Dans le document La notion d'Indirect rule (Page 108-112)