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L ES PROBLEMES DE LA REGION SUD EST

Dans le document La notion d'Indirect rule (Page 129-133)

É VOLUTION DE L 'I NDIRECT RULE AU N IGERIA ET EN A FRIQUE BRITANNIQUE POST L UGARD

B. L ES PROBLEMES DE LA REGION SUD EST

Dans la région sud-est du Nigeria, l’Indirect rule ne commença à être évoquée qu’en 1923 et ne fut pas appliquée avant 1933206. En effet, dans cette région du Nigeria, rien ne prédisposait à la mise en place de ce système de gouvernement, car il y avait peu de chefs identifiables et puissants. Il fallut donc réorganiser les institutions, ce qui entraîna une dispersion de l’autorité. Les fonctions gouvernementales déléguées aux autorités autochtones étaient moindres qu’au nord et à l’ouest. Toutefois, Hailey estime que cette réorganisation renforça les liens entre le gouvernement et les administrés, bien qu’elle fût la cible d’attaques et de critiques.

En 1947, l’opinion générale était d’avis que le système avait atteint ses limites et qu’il était nécessaire de le réformer. En 1949, un nouveau projet fut soumis au conseil législatif, reposant sur des membres élus pour les institutions autochtones, disposant de plus de liberté et d’autonomie. Cette réorganisation de 1933 eut également un impact sur l’organisation juridique. Mais là encore, l’idée de baser les native courts sur les institutions autochtones se heurta à la dispersion des autorités, ce qui rendait difficile leur supervision. Une réforme est donc là aussi envisagée.

1. Une réforme administrative mal gérée

En 1925, la chute du prix de l’huile de palme, combinée à la rumeur sur la taxation des femmes commença à provoquer de la colère et de l’inquiétude. De plus, le manque d’autorité centralisée n’aidait pas à prévenir ce type de problème. L’introduction de la taxation directe en 1927 augmenta le mécontentement207.

205 MORRIS, H.F., The framework of Indirect rule in East Africa, Oxford: Clarendon Press, 1972, p. 3

206 HAILEY, William Malcom Lord, Native Administration in the British Territories in Africa dans A general survey of the system of native administration, Cambridge University Press, 1951, p. 23-27

207 MEEK, Charles Kingsley, Law and Authority in a Nigerian Tribe: a Study in Indirect Rule, Oxford University Press, 1937, p. 235

Les espoirs de progrès et de développement qui existaient au départ de Clifford et Cameron ne furent toutefois pas remplis par la suite. En effet, l’ensemble de la structure du Nigeria reposait sur son export. La crise des années 1930 coula donc le pays. Le déclin du coton en particulier, avec la fin du commerce avec les industries de Liverpool et de Manchester. En dépit de l’augmentation de sa population, Lagos subit donc un appauvrissement. Les gens commencèrent à exprimer leur colère vis-à-vis du gouvernement britannique, colère qui culmina dans la révolte des femmes de 1929 à Abeokuta, qui eut lieu en réaction à la taxation directe.

En effet, le nouveau gouverneur Graeme Thomson choisit, sur les conseils de Lugard, et en dépit des avertissements de Clifford, de modeler l’administration du sud-est du Nigeria sur celle du nord et donc d’y introduire la taxation directe. Les émeutes furent dirigées contre les

warrant chiefs et les officiels autochtones, mais les femmes firent clairement savoir que leur

combat visait également les difficultés du commerce et pensait que la loi de l’homme blanc avait détruit leur culture, sans bénéfice en retour. Le fossé entre Lagos et l’administration provinciale se creusa.

2. La révolte des femmes Aba de 1929

La révolte des femmes Aba de novembre 1929 vit des centaines de femmes Igbo manifester contre les warrant chiefs, qu'elles accusaient de réduire le pouvoir des femmes dans le gouvernement.

Cette révolte fut déclenchée par un conflit entre une femme nommée Nwanyereuya et par Mark Emereuwa, un homme qui aidait à faire un recensement des gens qui vivaient dans la ville placée sous le contrôle du warrant chief Okugo. Nwanyereuya était d'ascendance Ngaw, et avait été mariée à Oloko, ville où le recensement était en lien direct avec la taxation, et les femmes du secteur s'inquiétaient de savoir qui allait les taxer, en particulier durant la période de grande inflation de la fin des années vingt.

Le matin du 18 novembre, Emereuwa se rendit chez Nwanyereuya, et s'adressa directement à elle car son mari était mort. Il dit à la veuve de compter ses chèvres, ses moutons et ses gens. Ce qui dans l'esprit de la femme se traduisit en « Dites-moi tout ce que vous possédez afin que l'on puisse vous taxer en conséquence », ce qui la mit en colère. Elle répondit donc : « Votre mère veuve a-t-elle été comptée ? », ce qui signifiait que les femmes

ne payent pas de taxes dans la société Igbo traditionnelle208. Les deux échangèrent des paroles de colère, et la femme se rendit sur la place du village afin de discuter de l'incident avec les autres femmes qui étaient réunies afin de parler justement du problème de la taxation des femmes. Croyant qu'elles allaient être taxées, d'après les dires de Nwanyereuya, les femmes Oloko invitèrent d'autres femmes (en envoyant des feuilles de palmiers) de différents secteurs du district de Bendre, ainsi que de ceux d’Umuhaia et de Ngwa. Elles rassemblèrent près de 10 000 femmes qui protestèrent au bureau du warrant chief Okugo, demandant sa démission et un jugement209. La technique des « sitting » fut la plus employée afin de manifester leur mécontentement, elle consistait à suivre les warrant chief partout, tout le temps. Cette technique rencontra du succès, car suite à ces manifestations, la place des femmes s’améliora dans la société Igbo. A certains endroits, les warrant chiefs furent remplacés. Des femmes furent désignées afin de siéger à la native court.

D’une manière plus globale, le conflit éclata dans un contexte tendu, avec une population exaspérée par les exactions des warrant chiefs, qui avaient été nommés par les Britanniques. Or, le pouvoir annonça son plan consistant à mettre en place une taxation sur les femmes des marchés. Ces femmes avaient la responsabilité de fournir la nourriture pour la population croissante de Calabar, Owerri et d’autres villes nigérianes. Celle-ci eut donc peur que les taxes amènent à la cessation d’activité de nombreuses femmes, entraînant une crise alimentaire grave pour les villes concernées.

En novembre 1929, des centaines de femmes Igbo se réunirent au centre de la native

administration à Calabar et Owerri, ainsi que dans d’autres petites villes, pour manifester

contre les warrant chiefs ainsi que contre ce projet de taxation. Elles utilisèrent la méthode appelée « sitting on a man », qui consistait à danser et chanter toute la nuit, et par endroit elles parvinrent à obtenir la démission de certains chefs. Elles s’en prirent également aux commerces tenus par des Européens, ainsi qu’à la banque Barclays. Elles allèrent également en prison libérer des prisonniers. Elles attaquèrent aussi les native courts dirigées par des officiers coloniaux, mettant le feu à plusieurs d’entre elles. La police coloniale et les troupes furent appelées à la rescousse. Elles tirèrent sur la foule qui s’était rassemblée à Calabar et à Owerri et tuèrent plus de cinquante femmes et en blessèrent plus de cinquante autres. Durant

208BIRRELL GRAY COMMISSION; CO583/169/3, Public Records Office, Sessional Paper No. 12, p. 43

209ABA COMMISSION OF INQUIRY, Notes of Evidence Taken by the Commission of Inquiry Appointed to Inquire into the Disturbances in the Calabar and Owerri Provinces, December, 1929, p. 24-30. 4ème témoin, Nwanyeruwa

les deux mois que durèrent le conflit, plus de 25 000 femmes Igbo protestèrent contre le pouvoir britannique, qui dû renoncer à ses projets de taxation.

Cette révolte fut analysée par de nombreux auteurs, dont Lugard, qui l’évoque dans la préface du livre de Meek en 1937210:

« La méconnaissance concernant l’incidence de la taxation directe introduite en 1927, ajouté à la chute des prix des produits des autochtones, a permis de mettre le feu à un matériau hautement inflammable et a produit l’étrange phénomène de la révolte des femmes de 1929. ».

Toutefois, il estime que le gouvernement ne pouvait se permettre de retarder les réformes. Meek travaillait pour Cameron afin de développer la coopération et l’adoption d’un gouvernement local autochtone. Dans l’introduction de l’ouvrage211, il évoque également la

révolte des femmes de 1929. Il précise que, dans le rapport, il est mentionné que les émeutes étaient dues à une peur de l’extension de la taxation directe aux femmes, ainsi qu’à un appauvrissement de la population et d’autres faits combinés, tels que la haine des chefs désignés, et l’imposition du nouveau système de gouvernement, le problème principal semblant être les chefs désignés par les Britanniques.

3. Conséquences de la révolte

Après les émeutes, les Britanniques tentèrent de comprendre le fonctionnement de la société Oba. Toutefois, les Africains éduqués à l’occidentale n’avaient aucune confiance dans les anthropologues. L’éducation des jeunes provoqua un clash culturel entre les jeunes et les anciens. Il n’était pas concevable de donner tout le pouvoir aux anciens, ce qui aurait provoqué la colère des jeunes occidentalisés et les aurait confortés dans leur croyance que l’Indirect rule n’était qu’un anachronisme et un moyen d’assujettissement. S’agissant d’une forme d’auto gouvernement local, elle devait donc être une forme de gouvernement acceptable par l’ensemble du peuple. Ne pas accepter d’évoluer aurait anéanti le but de l’Indirect rule, qui était la loyauté et la solidarité. Les jeunes et les anciens devaient trouver un accord sous la supervision du gouvernement212.

210 MEEK, Charles Kingsley, Law and Authority in a Nigerian Tribe: a Study in Indirect Rule, Oxford University Press, 1937, p. 7

211 MEEK, Charles Kingsley, Law and Authority in a Nigerian Tribe: a Study in Indirect Rule, Oxford University Press, 1937, p. 15

212 CAMERON, Donald, Principles of Native Administration and their Application , Government Printer, 1931, p. 19

En 1930, les Britanniques procédèrent à une étude des groupes afin de réorganiser le gouvernement en accord avec la société Igbo. Tout d’abord, l’importance du regroupement royal (organisation familiale) ; puis, si le gouvernement et la loi commençaient dans le groupe royal, cela finissait dans le village, groupe ou commune (plus haute unité de gouvernement), la native administration devait être basée sur le groupe du village tout en promouvant une organisation plus large de type fédération volontaire de villages ; enfin, une large distribution de l’autorité dans les groupes Igbo, afin de la redonner à ceux qui l’avaient avant le contrôle, connaître le droit indigène, et éduquer selon leurs besoins.

La période dite « d’administocracy » commença à la fin de la première guerre mondiale, et se termina à la fin de la seconde dans des conditions assez similaires en dépit des politiques menées par les gouverneurs successifs de cette période, et dans une atmosphère d’insatisfaction. L’élite africaine commença à réclamer davantage de démocratie, de liberté, d’indépendance et de progrès.

Dans le document La notion d'Indirect rule (Page 129-133)