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2 L A REMISE EN CAUSE

Dans le document La notion d'Indirect rule (Page 177-181)

Section II P ERCEPTION ET CRITIQUE DE L ’ ŒUVRE DE L UGARD

2 L A REMISE EN CAUSE

Cette période d’admiration de Lugard et de son œuvre prit fin lors de la décolonisation, alors que certains auteurs commencèrent à s’interroger et à remettre en cause ce point de vue. Les auteurs britanniques, ainsi que Nigérians exposèrent leur point du vue sur la question.

A. L

ES HISTORIENS DU DROIT

B

RITANNIQUES

Les historiens du droit britannique remirent en question non seulement le principe de l’Indirect rule et le travail accompli par Lugard, mais ils remirent également en cause ses écrits, ainsi que ceux de sa femme et de Margery Perham pour leur manque d’objectivité.

277 DELAVIGNETTE, Robert « Lord Lugard et la Politique Africaine » Africa: Journal of the International African Institute Vol. 21 No. 3. 1951 p.177-187

1. Critique de l’Indirect rule

Nicolson, dans The administration of Nigeria, 1900-1960, pointe les erreurs de Lugard et comment celles-ci ont été dissimulées lors du développement du mythe concernant l'homme et son travail en tant qu’administrateur colonial.

Contrairement à Perham, Nicolson juge que l’unification du Nigeria n’était pas viable financièrement, dépendant du gouvernement de Grande-Bretagne ainsi que du sud du Nigeria278. De plus, il estime le terme pacification malvenu alors que durant les derniers mois du gouvernement de Lugard eut lieu le massacre d’autochtones sans défense. Rien ou presque n’avait été mis en place, pas de secrétariat, pas de routes, ni de trains, rien du point de vue des services sociaux et économiques. De même, il critique le choix de Lugard de ne pas installer sa capitale dans le grand centre, évident, de Kano, mais plutôt à Lokoja, puis à Zungeru, des sites injustifiables que ce soit du point de vue économique, commercial ou administratif, ce qui s’est révélé fort coûteux.

Ce mode d’administration sans concertation, de manière unilatérale, d’un seul homme ressemble moins à de l’administration qu’à un gouvernement autoritaire. C’était une question de pouvoir sur les hommes. C’était du militarisme, anti-intellectuel et anti-commercial.

La question de la justification de ces attaques armées est posée par Nicolson279. Il estime également que le train et le télégraphe n’étaient construits qu’à l’usage de son commandement :

De même, il dénonce les refus de Lugard de se voir imposer des administrateurs civils expérimentés transférés d’autres territoires par le Colonial Office, car il leur préférait ses officiers de l’armée :

« Since Lugard’s plan was fully formed, and too secret, too personal for a Secretariat, he was driven to nepotism to secure the appointment of his own brother, an army officer, and the appointment of a personal friend to command his army while he fought against the War Office’s attempts to exercise their constitutional, civil control. 280»

278 NICOLSON, I. F., The Administration of Nigeria, 1900–1960: men, methods and myths, Oxford: Clarendon Press, 1969, p. 124

279 NICOLSON, I. F., The Administration of Nigeria, 1900–1960: men, methods and myths, Oxford: Clarendon Press, 1969, p. 129

280 NICOLSON, I. F., The Administration of Nigeria, 1900–1960: men, methods and myths, Oxford: Clarendon Press, 1969, p. 131 : « Comme le plan de Lugard était complétement formé, et trop secret, trop personnel pour un secrétariat, il était conduit au népotisme afin d’assurer la nomination de son propre frère, un officier de l’arme, ainsi que la nomination d’un ami personnel pour commander son armée alors qu’il se battait contre les tentatives du Bureau de la Guerre d’exercer leur contrôle constitutionnel et civil. »

Nicolson identifie les agents possibles de la modernisation : les marchands des aires côtières, les marchands Européens et les marchands Hausa, trois catégories que Lugard méprise. Cependant, sans développement économique, le progrès n’est pas possible.

Nicolson évoque également le domaine de la recherche agricole. Bien que Lugard ne l’ait guère soutenu, il clama dans The dual mandate qu’il s’agissait « d’une des deux plus importantes lignes de développement » qu’il ait poursuivi durant son mandat, avec le

développement du réseau ferroviaire281.

La critique du système ne consistait pas dans le fait qu’il inhibait le sens indigène de la responsabilité, mais qu’il perpétuait une forme de gouvernement autocratique et démodé282.

Nicolson considère très négativement l’action de Lugard lors de l’unification du Nigeria :

« In less than two years Lugard had achieved a disorder in the whole structure of government which permanently deprived him of the trust and co-operation of the Colonial Office in London and of the educated Nigerian public, and press, and raised around him a growing fence of prickly antagonism 283».

Il estime donc que Lugard avait détruit le pays en deux ans, et qu’il s’était mis à dos le

Colonial Office, qui avait perçu ce que son action avait de négatif.

La théorie de l’Indirect rule différait de sa pratique284. Kenneth Roberts-Wray dit en 1960

que les plus grands bénéfices de la colonisation britannique pour les autochtones furent le droit et la justice anglaise285. Cependant, l’indépendance démontra le contraire. Il existait trop de différences entre le droit colonial et le droit britannique, la principale résidant dans la codification.

La révolte des femmes Igbos fut le début d’un combat idéologique entre les tenants de l’Indirect rule et ses sceptiques.

Comme nous l’avons vu précédemment, la politique de Lugard consistait à utiliser les institutions autochtones comme faisant partie d’un système de gouvernement autoritaire,

281 NICOLSON, I. F., The Administration of Nigeria, 1900–1960: men, methods and myths, Oxford: Clarendon Press, 1969, p. 206

282 THOMSON, A. A. et MIDDLETON, D., Lugard in Africa, Robert Hale, 1959, p. 163

283 NICOLSON, I. F., The Administration of Nigeria, 1900–1960: men, methods and myths, Oxford: Clarendon Press, 1969, p. 207 : « En moins de deux and, Lugard avait atteint un désordre dans l’ensemble de la structure gouvernementale qui le priva de manière permanente de la confiance et de la coopération du Colonial Office à Londres, du public nigérian éduqué, ainsi que de la presse, et éleva autour de lui une barrière grandissante d’antagonisme irritant. »

284 READ, James S., Patterns of Indirect rule in East Africa, Oxford University Press, 1972, p. 256

séparé du processus de développement commercial. En effet, Lugard estimait que le commerce devait être développé parallèlement à l’administration par les entreprises.

Temple, en revanche, avait développé une philosophie plus poussée d’Indirect rule, sans le contrôle, mais avec davantage de liberté et d’indépendance pour les autochtones.

Cependant, les écrits de Lugard semèrent la confusion dans les esprits sur ce qu’avait réellement été sa politique en pratique.

Si l’état de l’économie avait permis le développement du pays dans les années 1920-1930, l’attention se serait certainement davantage concentrée sur l’adaptation des institutions au monde moderne, mais dans le contexte de l’époque, ce fut davantage la préservation qui occupa les esprits. Dans ce contexte, l’administration provinciale très conservatrice du nord sembla être le modèle à suivre en comparaison de celui apparemment destructeur et aux innovations sans profit que les bureaucrates de Lagos leur imposaient. Lagos représentait pour les officiers du nord du Nigeria les démons de la mondialisation. Ils pensaient que les autorités autochtones, aidées de quelques occidentaux qui avaient une bonne compréhension de leur langue et leurs coutumes, fourniraient un travail plus économique et plus adapté aux besoins que n’importe quelle bureaucratie organisée de professionnels spécialisés aux plans trop coûteux. La bureaucratie centrale elle-même trouvait difficile d’être patiente vis-à-vis de l’inefficacité, les délais, et le côté indirect du gouvernement qui rendait impossible pour eux d’agir sans s’assurer la coopération des résidents, des districts officers, et des émirs.

Il fallut attendre que la balance économique s’inverse pour que le développement prenne le pas sur le conservatisme.

Si, pendant longtemps, l'Indirect rule fut considérée par les historiens du droit colonial britannique comme un système spécifiquement conçu par Lugard pour les besoins gouvernementaux du Nigéria du Nord, et ensuite adapté avec succès au reste de l'Afrique britannique. Gailey,286quant à lui, réfute cette thèse, en accord avec les auteurs Nigérians. Selon lui, l'Indirect rule résultait d'une incompréhension de la société africaine et avait donc créé un système étranger de lois.

Les principales critiques que Crocker fait à l’Indirect rule sont les suivantes : tout d’abord, les autorités autochtones manquent d’efficacité s’agissant de gérer les développements

286GAILEY, Harry A., Lugard and the Abeokuta uprising : The Demise of Egbas Independence, Routledge, 1982, p. vii

sociaux et économiques287. De plus, les chefs recevaient généralement un pouvoir plus important que celui qui leur était traditionnellement imparti et la dispersion du pouvoir n’était guère compatible avec les fonctions modernes d’un gouvernement. Pour y pallier, des fédérations furent créées. Former un seul Etat avec des standards communs à partir de la multitude d’autorités autochtones qui existaient dans le pays était une tâche difficile, et force est de constater que le progrès finit par avoir raison des institutions autochtones. Enfin, se posait la question des populations éduquées à l’occidentale, qui augmentaient de jour en jour, et s’intégraient difficilement dans une société restée traditionnelle. D’ailleurs, les principaux opposants à l’Indirect rule se trouvaient dans cette frange de la population.

Concernant l’éducation, il semblait nécessaire de favoriser celle des enfants de chefs, et des mesures furent adoptées à cet effet dans toutes les colonies, avec de bons résultats. En Gold Coast notamment, un pourcentage important de chefs avaient bénéficié d’une éducation. Le changement de génération emmena au pouvoir des hommes plus éduqués. Crocker estime qu’il était nécessaire à l’Indirect rule d’utiliser les hommes éduqués à l’occidentale. Il recommande également de restreindre l’autocratie des émirs et autres rois en mettant en place des moyens efficaces de faire entendre l’opinion publique.

2. Critique de Lugard

Lugard lui-même se vit remis en cause, avec l’évocation de l’hypothèse d’un « mythe » autour de sa personne.

Dans le document La notion d'Indirect rule (Page 177-181)