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T YPO CHRONOLOGIE : UNE DIVERSIFICATION PROGRESSIVE

T ELL A RQA : UN SITE DE REFERENCE

6.3. L A SEQUENCE CERAMIQUE

6.3.2. T YPO CHRONOLOGIE : UNE DIVERSIFICATION PROGRESSIVE

De manière générale, le premier et principal obstacle à l’établissement d’une séquence typochronologique fiable est la dispersion du matériel en stratigraphie. La précision de l’enregistrement stratigraphique prend alors tout son sens, parce qu’elle permet une sélection stricte des contextes, évitant ainsi l’écueil du matériel résiduel souvent présent dans des proportions inconnues dans l’assemblage étudié393. Ainsi,

n’ont été considérés pour l’établissement de la typo-chronologie que, préférentiellement, les dépôts dits ‘fermés’ où le matériel était en place – sur un sol, dans une couche de destruction ou tout autre contexte clos. L’occupation du IIIe

millénaire d’Arqa présente, grâce aux couches d’incendie, un certain nombre de ces dépôts fermés, qui cependant ne couvrent qu’une partie de la séquence ; d’autres types de contextes ont dû être considérés, pour lesquels les taux de remontage céramique sont des indicateurs de degré de contemporanéité et où l’apparition des types est jugée plus significative que leur disparition394.

La classification typologique est basée sur des observations morphologiques quantifiées (rapports de mesures en différents points du vase). Au sein des deux principales catégories – formes ouvertes ou fermées – sont définies des classes, notées par des lettres, puis des types et des variantes. Ainsi, la forme G1.a est un gobelet G, type 1, variante a395. De manière générale, toutes les tailles de récipients

sont représentées. La quasi-totalité des fonds sont plats, à l’exception des vases de cuisson à fond arrondi, de quelques bols et des cruches à fond pointu des phases S et R.

Au-delà des caractéristiques morphologiques, il est apparu que les traitements de surface sont d’excellents marqueurs chronologiques (Figure 38). Ils font donc

393 La question du matériel résiduel est en effet primordiale pour l’établissement de la séquence, car il

est souvent inquantifiable, mais peut atteindre près de 50 % du total du matériel mis au jour (par exemple dans les niveaux 14 et 13 du Bronze Moyen). Il est intéressant, sur ce point, de prendre en exemple la publication du premier volume de la monographie d’Arqa (Thalmann 2006a) : y sont présentés comme typiques de la phase R des bords de grandes coupes carénées (pl. 46 : 5-11). La fouille des niveaux inférieurs a en fait montré que ces coupes carénées datent toutes de la phase T ou, de façon beaucoup plus ponctuelle, du début de la phase S. Elles sont donc antérieures de plusieurs centaines d’années, mais néanmoins présentes jusque dans les couches de phase R, où elles sont toutes résiduelles.

394 Car elle peut être établie précisément sur critères stratigraphiques et que la dispersion du matériel

résiduel ne peut se faire que dans des contextes postérieurs à l’apparition. La méthode de sélection stratigraphique des dépôts pour l’établissement de la typo-chronologie céramique est précisément décrite dans Thalmann 2006a, p. 91-95.

395 Ce système de classification est détaillé dans Thalmann 2006a, p. 107-108. Il peut être considéré

comme un peu lourd et rigide, et c’est la raison pour laquelle il n’a pas été appliqué aux assemblages antérieurs (20 à 17) dans les travaux déjà publiés (Thalmann 2016).

partie intégrante de la description des assemblages de phases, et constituent aussi des critères de distinction fonctionnelle et technique, comme indiqué plus loin.

Enfin, le découpage en phases chronologiques, issu des observations stratigraphiques, est cohérent avec l’évolution du répertoire des types céramiques. La sous-périodisation (P1, P2, P3…) peut être utilisée en complément pour affiner l’analyse. Nous présentons ici brièvement les évolutions du répertoire typologique, mais renvoyons surtout aux publications de référence.

6.3.2.1. PHASE T(BAII/ECL2)

Types morphologiques : À la base de la séquence, l’assemblage de la phase T est

peu diversifié et comprend principalement de larges coupes carénées, de grandes jarres sans anses à corps ovoïde et col court, ainsi que des marmites à col court et bord éversé (Figures 39, 40). Les cruches (généralement à corps ovoïde et col étroit) sont moins répandues ; les bols et jattes sont beaucoup plus rares396.

Traitements de surface : Il semble qu’au tout début de la phase T, quelques

exemplaires de jarres présentent une surface peignée. Néanmoins, ce type de finition disparaît rapidement et l’intégralité des vases de cette période sont lustrés verticalement. Le lustrage397 des jarres est parfois tremblotant, et les coupes carénées

présentent un lustrage rayonnant à l’intérieur et horizontal sur le bord. À la toute fin du niveau 19 apparaissent les premiers lustrages croisés, typiques de la phase S.

6.3.2.2. PHASE S(BAII-III/ECL3)

Types morphologiques : Quelques exemples de coupes carénées persistent et

coexistent avec de petits bols hémisphériques398 et des pots à anses, qui constituent

un type très caractéristique de la période (Figures 41, 42). Deux types de cruches se distinguent, les premières à fond plat et col large, les secondes à corps fuselé, fond rétréci et col étroit ; la couche 18A a également livré un ensemble de cruches à corps globulaire. Les jarres sont généralement plus élancées qu’à la phase précédente. Leurs dimensions varient entre 30 et 80 cm et quasiment toutes présentent des anses à mi- panse. Les plus gros exemplaires, les pithoi, atteignent 1,20 m de hauteur399. De

grands bassins à anses complètent l’assemblage, ainsi que des marmites globulaires à

396 Une description poussée de cet assemblage est donnée dans Thalmann 2016, p. 34-44 et pl. 1-7. 397 Terme usuellement utilisé à Arqa pour désigner en fait une opération de brunissage ou

« burnishing » (voir protocole analytique, partie 5.4.).

398 Une large proportion de ces petits bols présente des traces de suie, indiquant probablement un

usage de lampe – peut-être non exclusif.

399 Cette catégorie de très grandes jarres inclut les pithoi sans anses et la jarre à empreintes de sceau-

col court. À ces types répandus viennent s’adjoindre quelques formes plus rares de coupes, cruches et pots400.

Traitements de surface : À la phase S, les traitements de surface sont fonction de

la taille des vases. Les céramiques de petites et moyennes dimensions présentent un lustrage croisé (coupes, pots, cruches et petites jarres), tandis que les jarres et pithoi portent un peignage croisé. Le peignage interne, qui participe de la chaîne opératoire de façonnage, est très typique sur les jarres de phase S. L’unique exception à cette règle est la grande jarre à empreinte de sceau-cylindre dont la surface est lustrée en croisillons. Par ailleurs, les décors imprimés d’une ligne de points sont fréquemment observés à la base du col des pots et petites jarres à lustrage croisé.

6.3.2.3. PHASE R(BAIII/ECL4)

Types morphologiques : Le répertoire typologique continue de s’élargir à la phase

R (Figures 43, 44). Les tasses à une anse sont héritées des pots à anse de phase S, et coexistent avec des bols à anse horizontale (plus rares). Les cruches peuvent présenter un large col en entonnoir, un col court étroit ou un profil plus élancé à col long et fond pointu. La lampe à quatre becs constitue un nouveau type de cette période. Des pots simples de diverses dimensions sont observés, et les grands bassins à anses persistent aux côtés de cratères nouvellement apparus et décorés d’un cordon imprimé sur l’épaule. Les jarres sont plus trapues que précédemment, à col court, avec ou sans anses. Les pithoi semblent toujours faire partie de l’assemblage mais le taux important de fragmentation du matériel, et donc le peu de formes complètes reconstituées, limite leur description401.

Traitements de surface : La répartition des traitements de surface selon les

dimensions des vases, déjà observée à la phase précédente, se maintient. Ainsi, les vases de petites et moyennes dimensions sont tous lustrés verticalement, avec plus ou moins de soin – quelques exemples de lustrage croisé perdurent toutefois au début de la période. Au contraire, les jarres, pithoi et bassins sont peignés : peignage croisé en phase R ancienne, avant l’introduction du peignage horizontal en cours de phase. Lorsque des décors sont imprimés à la base des cols de jarre de stockage, ce sont plutôt des motifs d’épis.

400 Voir la présentation détaillée dans Thalmann 2016, p. 44-65 et pl. 8-22.

401 Certains éléments de l’assemblage sont déjà publiés dans Thalmann 2006a (p. 111-116 et pl. 46-53),

et une description plus actualisée du répertoire de phase R est proposée dans Thalmann 2016 (p. 65- 71 et pl. 23-28).

6.3.2.4. PHASE P(BAIV/ECL5-6)

Types morphologiques : C’est à la phase P que les types morphologiques sont les

plus diversifiés (Figures 45, 46). Les tasses à une anse sont de dimensions inférieures à celles de phase R et sont très caractéristiques de cet assemblage. Elles coexistent avec des gobelets, coupes et bols un peu moins fréquents, tandis que les lampes à quatre becs perdurent. Les cruches présentent des embouchures simples ou trilobées et des cols étroits à larges ; les hauteurs s’échelonnent entre 15 à 40 cm. Les supports biconiques sont également typiques de l’assemblage de la phase P. Les vases de moyennes dimensions comprennent des pots, avec ou sans anses, et des jattes – moins communes. Les jarres sont très trapues et à col court. Les exemplaires de dimensions moyennes peuvent comporter deux anses à mi-panse ; au contraire, les plus grosses jarres ne présentent aucun moyen de préhension sinon, parfois, une petite anse attachée sur le bord. Les marmites sont ovoïdes avec un court col éversé ; les plaques de cuisson apparaissent à cette période402.

Traitements de surface : L’adéquation entre traitement de surface et dimension

des vases persiste ; le lustrage est toujours vertical, et le peignage horizontal. Ainsi, tous les vases de petites et moyennes dimensions (incluant cruches et pots) sont lustrés verticalement, tandis que les jarres sont peignées horizontalement. Les formes fermées, notamment pots et jarres, présentent fréquemment des rangs d’impressions à la base du col (lignes de grains de riz en oblique). Une série de jarres (type R3) porte un décor particulièrement remarquable d’impressions, incisions et boutons appliqués403. Enfin les décors peints, extrêmement ponctuels aux époques

précédentes, sont plus fréquents à la phase P : notamment sur un ensemble de petites jarres et cruches peintes de lignes blanches horizontales et ondulées404.

Au regard de l’évolution du répertoire typologique de l’assemblage céramique d’Arqa au cours du IIIe millénaire, la tendance principale est à la diversification

progressive des formes405. L’assemblage s’enrichit de nouveaux types à chaque phase,

tandis que d’autres évoluent. La présence de vases à anse unique (petits pots à la phase S, dont les dimensions diminuent pour devenir de petites tasses à la phase P) est particulièrement caractéristique406. Elle illustre un phénomène macro-régional de

402 L’assemblage est présenté en détail dans le premier volume de la monographie d’Arqa : Thalmann

2006a, p. 116-131 et pl. 54-79.

403 Les motifs décoratifs et la fonction matérielle et symbolique de ces jarres sont discutés dans

Thalmann 2013, p. 301-306 : sans nul doute de grande valeur, ces jarres sont en moyenne représentées à raison d’une par unité d’habitation. Jean-Paul Thalmann a proposé d’y voir des éléments symboliques ou identitaires forts, à l’instar des « jarres de mariage » décrites par Alain Gallay (Gallay et Ceuninck 1998).

404 Voir Thalmann 2006a, pl. 63-65.

405 Cette spécialisation du répertoire céramique a également été observée sur d’autres sites du Levant

nord, par exemple à Ebla (Vacca 2018).

406 Ces tasses à anse unique ne sont en effet que rarement observées dans les assemblages

développement des pratiques de boisson et du répertoire associé, qui est largement observé en Syrie intérieure dès le milieu du IIIe millénaire407, avant de se diffuser vers

le Levant sud408. À Arqa, les manifestations en sont particulières, dans la mesure où

les vases à anse sont bien plus caractéristiques que les gobelets, et qu’ils ne correspondent pas à des formes nouvellement introduites409 mais procèdent de

l’évolution de formes anciennes connues depuis la phase S. De plus, ce phénomène est généralement associé à la mise en place d’une élite410 : ce n’est vraisemblablement

pas le cas à Arqa, où ces objets proviennent de contextes d’habitat en périphérie du site411.

Concernant l’intégration régionale de l’assemblage, l’étude typologique a également permis de tracer les grandes lignes de l’évolution de l’orientation des contacts. Arqa, en position centrale sur la côte levantine, serait au début du IIIe

millénaire plutôt tournée vers le sud (en témoignent la présence des coupes carénées, bien connues dans le Bronze Ancien II palestinien, et de possibles contacts avec l’Égypte)412. Puis, vers le milieu de la période, le développement des formes de vases

à boire semble corrélé à la multiplication des installations dans la plaine du Akkar et à l’urbanisation de la Syrie intérieure413.