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É TUDE TECHNOLOGIQUE : DES CHAINES OPERATOIRES HOMOGENES

T ELL A RQA : UN SITE DE REFERENCE

6.3. L A SEQUENCE CERAMIQUE

6.3.3. É TUDE TECHNOLOGIQUE : DES CHAINES OPERATOIRES HOMOGENES

L’étude technologique de l’assemblage du IIIe millénaire de Tell Arqa a été

menée par Valentine Roux. Elle s’inscrit dans le programme pluridisciplinaire de reconstitution de l’évolution des modes de vie et de production agricole et artisanale initié en 2010 par Jean-Paul Thalmann, afin appréhender le développement démographique, économique et social du Akkar à l’âge du Bronze. Cette étude a d’ores et déjà fait l’objet de plusieurs publications, dont nous présentons ici une synthèse414.

2009, pl. 1 : 4) ; quelques autres sont connus à Byblos (BYBLOS II, fig. 482 : 11452 ; voir aussi Thalmann 2008, fig. 6).

407 Mazzoni 1994 ; Kennedy 2015, p. 186 ; Mouamar 2017 ; Kennedy, Badreshany et Philip 2018. 408 Bunimovitz et Greenberg 2004.

409 Comme à Tell Nebi Mend (Kennedy, Badreshany et Philip 2018). 410 Mazzoni 1994.

411 Il ne semble pas non plus que le développement de ces pratiques soit directement lié à celui des

élites à Ebla, selon Agnese Vacca (2018, p. 3) et à Tell Nebi Mend (Kennedy 2015, p. 192-205).

412 Thalmann 2009, p. 26 ; 2016, p. 34 et 74. Pour les contacts avec l’Égypte, voir par exemple Ownby

2012.

413 Thalmann 2009, p. 26 ; 2016, p. 74.

6.3.3.1. PRESENTATION DE LA CLASSIFICATION DES CHAINES OPERATOIRES

La méthodologie développée et appliquée par Valentine Roux repose sur la définition de groupes techno-pétrographiques, au sein desquels plusieurs chaînes opératoires sont représentées415. À Arqa, deux groupes techno-pétrographiques ont

été identifiés : le premier se caractérise par des surfaces enduites de barbotine et une pâte à inclusions de calcite ; le second comprend le reste de l’assemblage (autres traitements de surface et pâtes sans calcite)416.

Les vases du premier groupe sont façonnés aux colombins pincés sur toute leur hauteur. Les parois sont ensuite régularisées, parfois avec rotation (surtout à la phase P) ; la lèvre est formée par retournement du dernier colombin à l’intérieur ou à l’extérieur, selon les phases chronologiques ; et le fond arrondi est obtenu par rabotage ou tournassage. Les surfaces sont enfin enduites de barbotine. Ce groupe comprend uniquement des céramiques culinaires.

Dans le second groupe, les modes de façonnage sont également très homogènes. Les bases, plates, sont formées d’un colombin en spirale sur une galette d’argile, les parois sont montées aux colombins pincés et la lèvre formée par retournement externe du dernier colombin. Trois chaînes opératoires ont été distinguées, selon les traitements de surface et l’emploi d’Énergie Cinétique Rotative ou ECR (Figure 47).

 ARQ-1 : surfaces lustrées.

 ARQ-2 : surfaces peignées.

 ARQ-3-ECR : finition avec ECR, généralement sans autre traitement de surface que le lissage.

Ces trois chaînes opératoires sont présentes à toutes les phases ; néanmoins, l’usage de l’ECR se diffuse au cours du temps et jusqu’à un emploi systématique à la phase P. On ne définit alors que des chaînes opératoires avec ECR : ARQ-1/2/3- ECR417. Puisque la distinction des chaînes opératoires repose sur les traitements de

surface, et puisqu’il a été observé en amont une correspondance entre traitements de surface et catégories fonctionnelles et morphométriques, l’étude technologique rejoint la classification morphofonctionnelle. Ainsi, les vases lustrés de ARQ-1(- ECR) sont de petites et moyennes dimensions, tandis que les vases peignés de ARQ- 2(-ECR) sont de grandes dimensions. ARQ-3-ECR reste minoritaire dans tous les assemblages de phases.

415 Voir notamment Roux et Courty 1998 ; Roux 2010. 416 Roux et Thalmann 2016.

6.3.3.2. DISCUSSION DES RESULTATS

Les résultats de l’étude technologique, s’ils constituent l’un des rares ensembles de données approfondies et interprétées sur la côte nord du Levant, méritent d’être ici discutés et remis en perspective.

Au regard de notre travail, le terme de « groupe techno-pétrographique » ne nous semble pas adapté, puisque la hiérarchisation des approches les unes aux autres ne nous paraît pas pertinente. D’un point de vue méthodologique, nous trouvons important d’établir dans un premier temps une classification pétrographique indépendante des études morpho-fonctionnelles et technologiques. Ce n’est qu’ensuite que nous en croisons les résultats, sans subordonner une démarche à une autre. De plus, l’observation des groupes techno-pétrographiques montre que si le premier groupe a en effet une valeur pétrographique (groupe AQ/1418), le second

recouvre en revanche une grande diversité de pâtes que l’on ne peut rassembler, à notre sens, en un tout. Nous utilisons, en substitution, le terme neutre de « catégorie » pour désigner les groupes techno-pétrographiques de Valentine Roux.

À l’échelle des chaînes opératoires ensuite, la distinction entre ECR et non ECR ne nous paraît pas si tranchée. L’ECR correspond à une rotation particulièrement rapide, permettant la déformation des parois d’un vase. En ce cas, les termes de rotation rapide, fluage et montée de terre nous semblent en réalité plus simples d’usage419. De plus, dans un contexte de diffusion progressive de l’usage de

l’ECR, peut-on en réalité occulter d’autres types de rotation plus lents ? Ceux-ci sont fréquemment mis en œuvre et constituent sans doute les prémices de la rotation rapide ; il nous semble donc pertinent d’en faire mention, pour pouvoir appréhender l’importance de la rotation dès avant l’introduction du « véritable » tournage sur motte d’argile. De même, certains vases peuvent être façonnés selon des chaînes opératoires mixtes : par exemple, les cols de jarres sont fréquemment façonnés avec rotation rapide, et ce dès la phase T (Figure 48). Or, ils sont ensuite assemblés sur des corps de grands vases de stockage, montés aux colombins et aux surfaces lustrées (phase T) ou peignées (phases S à P). Dans ce cas, l’usage de la rotation (au stade du façonnage et/ou de la finition) n’est pas reflété dans la description de la chaîne opératoire. La classification établie s’avère donc, à notre sens, parfois trop stricte pour rendre compte de la diversité des modes de production céramique. Les indices de rotation, de tout type, ont ainsi été relevés et sont mentionnés dans notre catalogue de base de données.

418 Voir troisième partie.

6.3.3.3. INTERPRETATION DES DONNEES TECHNOLOGIQUES

L’étude technologique a permis de mettre en lumière plusieurs aspects fondamentaux de l’assemblage du IIIe millénaire d’Arqa. L’homogénéité des modes

de façonnage, quelle que soit la forme ou la fonction des vases, est ainsi particulièrement marquante et révèle une production syn- et diachroniquement cohérente. Seuls les traitements de surface varient selon les dimensions des vases et les phases chronologiques : ils peuvent ainsi être considérés comme des indices de datation fiables. Enfin, l’emploi de la rotation, identifié dès le début de la séquence, se diffuse de façon progressive et régulière tout au long du millénaire pour devenir systématique à la phase P. Ce phénomène pourrait être lié à l’introduction de nouveaux outils de rotation, lorsqu’à la pierre rotative s’ajoutent la tournette dite « palestinienne » puis la tournette à pivot de type mésopotamien420.

Selon Valentine Roux, la continuité technique illustrée par l’assemblage céramique indique un milieu de production sociologiquement stable. Elle suggère donc l’existence d’un groupe de potiers socialement homogène, sans doute spécialisés dès le début de la phase T, se transmettant des savoir-faire et compétences sans rupture tout au long de l’histoire du site421. Ces résultats appuient l’hypothèse

d’un artisanat spécialisé, dès le début du IIIe millénaire.

Or, si cette continuité technique s’accompagne de variations de traitements de surface probablement esthétiques à chaque phase, elle propose aussi un schéma divergeant des observations typologiques. Il semble en effet que la rupture observée dans les modes de consommations entre les phases T et S, indiquée par l’abandon des grandes coupes carénées et l’introduction des vases à boire, ne soit pas reflétée dans les chaînes opératoires. La signification sociale et/ou culturelle de ces deux phénomènes (spécialisation des potiers pouvant induire une stabilité sociologique, selon Valentine Roux, et rupture profonde dans les modes de consommation) demande donc à être approfondie, et abordée avec prudence.

L’étude technologique de l’assemblage de Tell Arqa fournit un jeu de données sans réel équivalent à ce jour au Levant nord. Toutefois, et pour les raisons exposées ci-dessus, nous avons fait le choix de ne pas manipuler les groupes techno- pétrographiques. Nous gardons principalement en mémoire l’homogénéité des chaînes opératoires, la description des étapes de façonnage et finition ainsi que l’interprétation qui en est issue. Ces éléments sont précieux pour ensuite comprendre nos propres résultats de l’étude pétrographique.

420 Ces trois types de supports rotatifs ont été découverts à Arqa, en partie dans l’habitat de phase P,

mais aussi dans les couches de l’atelier de potiers de phase N (Bronze Moyen I) : voir Roux et Thalmann 2016, p. 124-125.

6.3.4. LA SEQUENCE CERAMIQUE : SYNTHESE DES DONNEES DISPONIBLES ET