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ET POLARISATION DES INTERACTIONS

5.7. T RAITEMENT ET INTERPRETATION DES DONNEES

Une fois la phase d’observation et d’enregistrement des échantillons achevée, les données accumulées sont traitées. La première étape consiste à éditer le catalogue à partir de la base de données, consignant toutes nos descriptions avec une fiche par individu étudié (Figures 16, 17).

Ce catalogue est également exporté sous forme de tableau, traité sous XLSTATS selon diverses méthodes statistiques. Nous avons d’abord procédé à des comptages simples, pour croiser les données chronostratigraphiques, morpho- fonctionnelles et pétrogaphiques. À l’aide du logiciel, nous avons ensuite établi des

352 Des analyses ICP-MS ont déjà été lancées sur une soixantaine d’échantillons d’Arqa, en

collaboration avec Dr. Kamal Badreshany et Dr. Graham Philip (Durham University). Les résultats sont attendus et pourront très avantageusement compléter ceux présentés dans cette thèse, en ajoutant une échelle supplémentaire de réflexion. Ils seront également intégrés à une base de données régionale sur le Levant nord établie par l’Université de Durham, afin d’étudier leur répartition par rapport aux assemblages déjà analysés.

tableaux de contingence (tableaux d’effectifs croisant deux variables), pour pratiquer des analyses factorielles des correspondances (AFC)353. Les représentations

graphiques de ces différents traitements permettent de commenter la répartition de nos assemblages selon les variables analysées. Bien sûr, les déséquilibres relatifs de nos différents corpus ont été pris en compte au cours de cette étape-clé du travail. En effet, les milliers d’échantillons d’Arqa admettent une finesse d’analyse qu’aucun des autres sites n’offre et, sur des échantillonnages inférieurs à une centaine de pièces, les pourcentages obtenus doivent être manipulés avec prudence.

L’interprétation des données est, dans un premier temps, basée sur une analyse par site de la répartition des échantillons. Ensuite, les résultats sont croisés entre nos sept sites et comparés aux données issues de la littérature scientifique. Nous replaçons ainsi notre travail dans le contexte de la recherche actuelle. Revenant à nos problématiques, nous proposons ainsi des éléments de caractérisation de l’urbanisation du Levant nord via la spécialisation artisanale et les réseaux d’interactions mis en place au cours du IIIe millénaire.

Ainsi donc, le protocole que nous avons suivi se veut interdisciplinaire. L’enjeu est ici d’intégrer les lots de données les uns aux autres, sans jamais hiérarchiser une approche à une autre. Nous souhaitons montrer que l’étude des pâtes céramiques n’est pas qu’un domaine de spécialiste, mais bien partie prenante de la réflexion archéologique ; qu’elle est un outil, qui peut être développé de différentes façons et à différentes échelles, pour mieux comprendre les assemblages. S’il est vrai que dès l’échelle microscopique, l’observation requiert des compétences spécifiques, une étude macroscopique est bien plus facile à mettre en œuvre grâce à quelques clés de description simples, et à de l’attention ; elle offre déjà de riches résultats. C’est pourquoi il nous semble fondamental de défendre cette approche macroscopique, trop souvent considérée comme superficielle : lorsque les études pétrographiques sont confiées à des spécialistes, ceux-ci la délaissent souvent pour se consacrer à des méthodes plus complexes. L’utilisation d’un protocole d’analyse comportant plusieurs étapes imbriquées permet justement de conserver un lien constant entre les données, de façon à être ensuite en mesure de comprendre le tout, et d’accéder à une vue d’ensemble enrichie, cohérente et signifiante.

Avec ce cadre méthodologique, nous ne proposons donc pas un protocole particulièrement innovant ; nous souhaitons montrer que les méthodes existent et qu’elles peuvent être mises en œuvre de façon plus systématique. Par contre, nous soutenons que l’étude des pâtes céramiques doit être entreprise dans une démarche intégrative, essentielle au dialogue. Là où les études portent habituellement sur un site, une période, une production, ou un faible échantillonnage, nous proposons un travail large et englobant. Notre corpus comprend en effet une masse d’échantillons

353 Voir par exemple Chenorkian 1996, p. 17.

importante, près de 2500, mais aussi une emprise régionale rare sur sept sites répartis au Levant nord, du Akkar au Liban nord, au littoral syrien et à la Syrie intérieure.

CONCLUSION

Le Levant septentrional est une entité complexe, par ses caractéristiques géographiques et géologiques au premier chef. C’est une région morcelée et contrastée, qui se répartit entre une étroite bande littorale et l’intérieur des terres. Au IIIe millénaire, le Levant nord connaît sa première urbanisation. Si la chronologie de

la période est encore complexe à établir, on peut s’appuyer sur les séquences de quelques sites majeurs pour subdiviser cette époque de mutation. L’urbanisation désigne le processus d’apparition de la ville, objet différant du village, lieu de complexification sociale et économique, nœud d’interactions et élément d’un système plus vaste, d’un réseau de villes. Dans une historiographie orientale très marquée par la Mésopotamie proto-urbaine, il nous apparaît nécessaire de redéfinir les spécificités de l’urbanisation levantine. Nous nous concentrons sur deux éléments : la complexification socio-économique, appréhendée par le biais de la spécialisation artisanale des potiers, et la polarisation des interactions. Le centre urbain agit en effet comme un nœud d’interactions entre le territoire et les artisans qui l’exploitent (interactions homme-environnement) et comme un nœud d’échanges (interactions homme-homme). Les échanges sont entendus au sens large, des échanges matériels (imports/exports) à l’échange d’idées ou de modèles (imitations), tels qu’ils peuvent s’exprimer dans le registre céramique. Nous cherchons ainsi à retracer des réseaux régionaux, attestant des interactions concentrées sur certains sites et de leur intégration dans un réseau urbain, un système complexe de villes.

Notre angle d’analyse repose sur l’étude des matériaux céramiques, leur caractérisation, leur évolution et leur comparaison. Une revue de l’état de l’art montre que le sujet est très récent au Levant nord, pour le IIIe millénaire ; une forte

dynamique s’est toutefois établie ces dernières années, multipliant les données et offrant des points de comparaison précieux pour notre travail. La méthodologie que nous avons mise en œuvre pour répondre à ces problématiques se veut intégrative et globale354. L’atout de notre travail est une étude de masse, portant sur près de 2500

échantillons dont l’emprise spatiale couvre toute la région : si Tell Arqa et le Akkar sont nos points d’accroche et de référence, les assemblages du Liban nord (Enfeh, Byblos), de Syrie littorale (Ras Shamra) et intérieure (Qatna) offrent des perspectives macro-régionales. C’est sur ce solide cadre théorique et méthodologique que nous avons construit le cœur de notre réflexion, en intégrant les assemblages étudiés dans leur contexte pour naviguer du phénomène urbain aux composants microscopiques des céramiques étudiées.

354 Une synthèse de nos problématiques et du protocole analytique est disponible dans Jean (à

e Levant nord est d’un grand intérêt pour l’étude des évolutions sociétales et culturelles qui caractérisent le Bronze Ancien. La région s’urbanise et progressivement se mettent en place les bases des royaumes palatiaux qui prospèrent ensuite au IIe millénaire. Si le début de la

période est mieux connu au Liban nord, les grands sites de Syrie occidentale se développent surtout à partir de la moitié du IIIe millénaire. À la charnière entre ces

deux entités, la plaine du Akkar et Tell Arqa, localisés au débouché de la trouée de Homs, présentent des éléments de lien à l’échelle régionale.

Dans le cadre de cette thèse, sept sites et sept assemblages céramiques sont considérés, couvrant trois des zones principales du Levant nord : la côte libanaise, la côte syrienne, et la Syrie intérieure. Ainsi, notre corpus offre une vaste extension spatiale susceptible d’aider à la comparaison des assemblages de site, à la reconstitution de réseaux d’interactions et, enfin, à la compréhension des mécanismes de l’urbanisation du Levant au IIIe millénaire.

Tell Arqa fait office de référence, par l’ampleur du corpus étudié et la richesse de la documentation associée. Le site est placé dans son contexte microrégional grâce à deux établissements complémentaires et contemporains de la plaine du Akkar : Tell Bseisé et Tell Laha. La sphère suivante est celle du Liban nord côtier : nous avons inclus les sites d’Enfeh et Byblos. À plus large échelle, les collections du Musée du Louvre nous ont permis d’aborder également la Syrie littorale par le biais de Ras Shamra (collection Schaeffer) et la Syrie intérieure, avec Tell Mishrifeh-Qatna (Tombeau IV, collection du Mesnil du Buisson) (Figure 1).

Chacun de ces corpus présente ses propres spécificités, en termes de documentation archéologique, d’accessibilité et d’échantillonnage. Notre protocole a été appliqué de la manière la plus homogène possible, s’adaptant aux différentes contraintes. L’objectif est, au final, d’être en mesure de proposer une histoire des échanges et des contacts au IIIe millénaire selon une analyse multiscalaire basée sur la

production potière : de l’intra-site, particulièrement signifiant à Arqa, à l’échelle microrégionale du Akkar et à l’échelle régionale du Levant nord.

Nous exposons ici en détail les sites et assemblages étudiés, leurs contextes archéologiques et stratigraphiques, les séquences céramiques, et les échantillonnages constitués. Au total, 2481 échantillons ont été analysés, répartis entre nos sept sites (Graphique 2). Arqa, avec 2120 entrées, est nettement prédominant ; nous attacherons donc une attention toute particulière à la description du site et de sa séquence.

CHAPITRE 6