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ET POLARISATION DES INTERACTIONS

4.1. C OMPLEXIFICATION SOCIALE ET SPECIALISATION ARTISANALE La mutation de l’organisation sociale associée au processus d’urbanisation se

4.2.1. I NTERACTIONS HOMME ENVIRONNEMENT : LA PROVENANCE

Au filtre de la pétrographie céramique, le problème des interactions de l’homme avec l’environnement naturel peut être appréhendé via la question des sources de matières premières. Sont-elles nombreuses ? Quelle est leur distance au lieu de production et leur répartition spatiale ? Quelle est l’évolution de leur exploitation dans le temps ? En documentant les matériaux céramiques, la pétrographie est un moyen d’interroger leur provenance et, au-delà, l’emprise territoriale autour du site producteur.

230 L’aspect final du produit étant soumis à la demande des consommateurs, il ne témoigne que

partiellement du contexte de la production. La standardisation doit alors préférentiellement être observée en des points sur lesquels le consommateur n’a qu’une prise réduite : « The logical choice, then, is to confine our studies to aspects of variability that reflect unconscious patterning, motor skills, subtle differences in technology, and slight differences in raw materials » (Costin 1991, p. 35).

4.2.1.1. LES NOTIONS DE TERRITOIRE ET DE TERROIR

Les interactions entre les hommes et leur environnement, pour la question qui nous concerne maintenant, ont été formalisées autour de deux termes : territoire et terroir. Si la définition géographique du territoire peut être nuancée de différentes façons, elle englobe toujours l’idée d’un espace approprié par un groupe humain, et investi matériellement et culturellement232. Le territoire est associé à des

représentations politiques et symboliques, pouvant s’exprimer à différentes échelles, susceptibles de se recouper233. Il s’exprime dans trois dimensions principales que

sont : la matérialité spatiale, l’individu (rapports émotionnels individuels) et les représentations collectives sociales et culturelles234. En ce sens, le territoire associé à

une ville est celui sur lequel elle étend une influence directe, qui est exploité, parcouru et visité par ses habitants. La territorialité est alors le rapport dynamique entretenu par le groupe humain avec son territoire235. Bien sûr, l’archéologie ne dispose que des

témoins matériels, et encore, seulement de la petite partie d’entre eux qui a été conservée et découverte : la reconstitution d’un territoire ancien peut donc souvent être une tâche ardue236. Toutefois, rechercher les sources d’approvisionnement en

matières premières céramiques peut fournir des éléments de matérialisation du territoire et de compréhension des liens que la société entretient avec lui.

Le concept de terroir ouvre d’autres possibilités pour une interprétation technique, voire identitaire, de ces réflexions. Le terroir est en effet le lieu d’expression, à l’échelle locale, des liens entre l’homme et son environnement, dans le sens où celui-ci est « approprié, aménagé et valorisé par un groupe social, notamment sous l’angle de savoir-faire reconnus »237.

« Les différentes acceptions du terme, si elles varient selon l’élément référentiel tenu pour principal, entendent généralement l’idée d’une symbiose localisée et historique entre des éléments naturels et la culture propre à une population qui identifie les aptitudes de ces éléments naturels. Distinguer les différentes aptitudes permet des mises en valeur de la manière la plus profitable aux yeux de cette population, selon les techniques qu’elle est à même de développer dans son contexte économique. L’évolution technique correspond à

232 Encyclopédie en ligne Hypergéo (GDR Libergéo), épistémologie géographique : « Le territoire

selon Guy Di Méo », « Le territoire selon Maryvonne Le Berre » :

http://www.hypergeo.eu/spip.php?page=sommaire

233 À l’instar de l’organisation française : état, régions, départements, cantons, communes…

234 Encyclopédie en ligne Hypergéo (GDR Libergéo), épistémologie géographique : « Le territoire

selon Guy Di Méo » : http://www.hypergeo.eu/spip.php?article485 et Di Méo 1998.

235 Encyclopédie en ligne Hypergéo (GDR Libergéo), épistémologie géographique : « Territorialité »,

par Guy Di Méo http://www.hypergeo.eu/spip.php?article699

236 Treuil 2011.

237 Encyclopédie en ligne Hypergéo (GDR Libergéo), épistémologie géographique : « Terroir », par

une adaptation renouvelée aux variations naturelles, selon l’évolution des normes sociales, économiques et culturelles »238.

Ainsi, le terroir revêt une « dimension intégrative […], singularité née des interactions naturelles, techniques et culturelles »239. Nous en retiendrons la

définition suivante, donnée par l’INAO240 :

« Un terroir est un espace géographique délimité, dans lequel une communauté humaine construit au cours de son histoire un savoir collectif de production, fondé sur un système d’interactions entre un « milieu » physique et biologique, et un ensemble de facteurs humains. Les itinéraires sociotechniques ainsi mis en jeu révèlent une originalité, confèrent une typicité, et aboutissent à une réputation, pour un bien originaire de cet espace géographique. »

Dans la mesure où nous étudions ici une société par le biais de ses manifestations techniques et matérielles, cette notion de terroir donne beaucoup de sens. D’abord, on peut envisager de discuter la question de la provenance des matières premières céramiques en termes de ressources naturelles disponibles dans l’environnement, mais aussi comme une expression des représentations sociales qui ont permis l’appropriation de l’espace par la société qui l’habite. Dans un second temps, l’utilisation du concept de terroir dans l’étude céramique renforce l’aspect local et l’identité géographique et culturelle véhiculée par les objets produits. Le récipient évoquerait un « terroir potier », lui-même en lien avec un terroir agricole, tout particulièrement dans le cadre des échanges de vin, d’huile et de résine.

Nous introduisons donc ici, sur la question des interactions homme- environnement, deux termes qui seront utiles à notre analyse : le territoire, désignation d’un espace habité et approprié ; et le terroir, qui sous-entend la mise en valeur de spécificités naturelles, sociales et techniques.

4.2.1.2. LES PRINCIPES DE LA RECHERCHE DE PROVENANCE

La pétrographie céramique est l’une des méthodes privilégiées pour déterminer la provenance des objets. Dans les faits, il est généralement difficile de pointer une source spécifique de matière première, mais il est possible de reconstituer un faisceau d’indices vers une solution la plus probable. La qualité et la précision du résultat dépendent alors des données de départ.

Une bonne connaissance de la géologie de la zone d’étude est fondamentale, à partir de la documentation disponible dans la littérature scientifique et sur les cartes

238 Cartier 2004, p. 7. 239 Cartier 2004, p. 7.

240 Institut National de l’Origine et de la Qualité : https://www.inao.gouv.fr/ ; telle que citée par

Laurent Rieutort (Encyclopédie en ligne Hypergéo, article « Terroir » :

géologiques et pédologiques. Dans le meilleur des cas, se familiariser directement avec l’environnement sur le terrain, lors de prospections archéologiques et/ou géologiques permet de connaître la topographie des lieux et la disponibilité des ressources – dans la limite des modifications du paysage survenues depuis la période d’étude. Le protocole idéal inclurait enfin la réalisation d’un échantillonnage géologique, représentant toutes les formations accessibles autour du site et qui puisse être comparé aux matériaux archéologiques. C’est à partir de cet ensemble de données géologiques que l’on peut ensuite comparer les matériaux constitutifs des céramiques archéologiques aux ressources environnementales : on teste leur correspondance et, dans la mesure du possible, on propose une provenance.

Il est également possible de s’appuyer sur les données ethnographiques, qui donnent un cadre indicatif des distances d’approvisionnement en matières premières : citons notamment le « modèle des seuils » (threshold model) de Dean E. Arnold241. D’après une série d’observations ethnographiques réalisées sur les cinq

continents, des distances-seuils aux ressources ont été mises en évidence : pour les argiles, dans 36,8 % des cas à moins de 1 km et dans 85,5 % à moins de 7 km ; pour les dégraissants, dans 48,6 % à moins de 1 km et dans 91,4 % à moins de 7 km242. Le

pourcentage restant correspond à des cas particuliers, souvent liés à des choix culturels ou symboliques dont la force outrepasse les contraintes pratiques. Ce modèle doit également être nuancé selon la topographie des lieux et les moyens à disposition (moyens de transport et moyens humains). De manière courante, les matières premières céramiques sont donc disponible à proximité directe du site de production ; de même que les autres ressources nécessaires à la production, eau et combustible.

En croisant les données pétrographiques des échantillons céramiques étudiés, les données de la géologie locale et les modèles de distance d’approvisionnement en matière premières, on est donc théoriquement en mesure de proposer des zones desquelles les matériaux céramiques proviennent le plus probablement. Il faut toutefois rester prudents car le paysage a pu changer et, comme le dit très bien Anna O. Shepard, « we cannot hope to know the resources of a site or a region with the thoroughness of natives who spent their lives there »243.

4.2.1.3. LES REPONSES A ATTENDRE

En réalité, il faut tenir compte de nombreux paramètres perturbant l’évaluation, qui sont principalement liés à la chaîne opératoire de la production céramique. Tout d’abord, les argiles des potiers ont généralement été traitées, par retrait, ajout ou mélange d’éléments : elles ne sont donc plus directement comparables aux sédiments naturels. Ensuite, elles ont été cuites : cette opération

241 Arnold 1985, 2006.

242 Arnold 1985, p. 32-60 ; 2006, tabl. 2-3. 243 Shepard 1956, p. 337.

modifie leur structure et leur composition (c’est d’ailleurs l’objectif, concernant la fraction argileuse du moins).

Dans la pratique donc, la détermination de la provenance est une démarche complexe. On peut espérer proposer une formation géologique d’origine des matières premières et, en utilisant ensuite les données topographiques et les référentiels ethnographiques244, une zone géographique de provenance vraisemblable.

Si l’on dispose de comparaisons directes avec des échantillons de roches, voire d’argiles qui ont pu être cuites, les résultats pourront être beaucoup plus précis en termes de provenance et, au mieux, en termes de conditions de cuisson.

Finalement toutes ces données, de la caractérisation des matières premières céramiques à leur classification et à la recherche de provenance, nous permettent d’avancer des éléments de définition du « local ». Les pâtes céramiques locales sont souvent (mais pas toujours) les plus répandues dans l’assemblage. En intégrant les données archéologiques et céramologiques, on peut ainsi essayer d’identifier des « productions locales » dans leur entier, avec leurs caractéristiques pétrographiques, technologiques, typologiques et chronologiques. Par opposition, mais en suivant le même raisonnement, on sera alors en mesure de déterminer « l’exogène ». Dès lors, on raisonne au-delà du territoire – et du terroir – du site : l’interaction homme- environnement ouvre ensuite sur d’autres degrés d’interaction homme-homme, et l’on aborde la question des échanges.