• Aucun résultat trouvé

L A LOGISTIQUE DES ECHANGES : DISTANCE , INTENSITE ET TRANSPORT

ET POLARISATION DES INTERACTIONS

4.1. C OMPLEXIFICATION SOCIALE ET SPECIALISATION ARTISANALE La mutation de l’organisation sociale associée au processus d’urbanisation se

4.2.2. I NTERACTIONS HOMME HOMME : LES ECHANGES

4.2.2.3. L A LOGISTIQUE DES ECHANGES : DISTANCE , INTENSITE ET TRANSPORT

Le dernier aspect fondamental des échanges que nous abordons est celui de la logistique, c'est-à-dire de leur mise en œuvre pratique. La logistique des échanges dépend à la fois du type d’échange mis en jeu, des acteurs et des produits ou objets concernés, mais aussi, plus prosaïquement, des distances à parcourir et des quantités à échanger. Quel est l’éloignement du producteur et du consommateur ? Quelle est l’intensité des échanges, quels volumes de biens circulent ? Dans un espace aussi morcelé que le Levant central et nord, marqué par d’étroites plaines littorales et de hautes montagnes, ces questions sont particulièrement importantes.

L’établissement des routes et le choix des moyens de transport constituent des points clés, conditionnés par la distance séparant les acteurs impliqués, l’intensité de leurs échanges mais aussi par le type d’échange pratiqué : commerce, don, ou mouvement d’objet personnel avec son propriétaire sont des cas bien différents.

Point de passage sur les routes qui relient la Méditerranée au Proche-Orient, le Levant est un nœud d’échanges. Ceux-ci se sont d’abord établis par voie terrestre : le Levant sud est considéré comme acteur des contacts avec l’Égypte dès la fin du IVe

276 Knapp 1991 ; Sowada 2014, p. 294 ; Thalmann et Sowada 2014, p. 326. La résine issue de bois

odorants comme le cèdre serait en effet une ressource très recherchée en Égypte où elle participe des rituels sacrés d’embaumement, et est donc un bien de grande valeur, à la fois par son exotisme et son importance symbolique (Wachsmann 1998, p. 308-310). On parle aussi parfois d’échange de teinture ou de dérivés opiacés (Knapp 1991).

277 Pour la naissance de l’horticulture méditerranéenne et la production d’huile, voir Neef 1990 ; Galili

et al. 1997. La culture de la vigne et la vinification pourraient remonter à des temps plus anciens en d’autres endroits, notamment dans le Caucase (McGovern 2003 ; Brun 2004).

278 Knapp et Demesticha 2017, p. 42-46. 279 Demesticha et Knapp 2016, p. 3-6.

millénaire280. La région permet alors l’acheminement de produits levantins vers

l’Égypte (bois, vin, huile), mais aussi de turquoise ou de cuivre du Sinaï et de produits issus d’échanges à très longue distance, comme le lapis-lazuli d’Afghanistan281. Mais

pour les plus grandes distances, la donne change. Vers 2700, les liens de l’Égypte avec le Levant semblent se déplacer vers la côte centrale et septentrionale282. Si elle

peut être liée à des évènements politiques, cette réorientation est avant tout économique, puisqu’elle induit le délaissement des routes terrestres au profit des voies maritimes qui permettent le transport de charges plus importantes, plus rapidement et sur de plus longues distances283.

Les populations levantines sont, dès l’âge du Bronze, réputée pour leurs qualités de navigateurs284. Byblos est la ville portuaire majeure, considérée comme le

partenaire commercial privilégié de l’Égypte – d’après la découverte d’objets égyptiens et égyptisants sur le site285. S’il est indéniable qu’il existe dès le IIIe

millénaire une route maritime reliant le Levant central et l’Égypte, les autres voies de circulation sont en revanche assez peu connues. Les voies terrestres sont, à l’échelle régionale, praticables : entre les sites du Liban nord, entre le Akkar et la Syrie intérieure via la trouée de Homs, le long de la plaine littorale pour les liaisons nord- sud… Néanmoins, les contacts avec l’Égypte ont complètement polarisé le débat, et l’on ne dispose encore que de peu d’attestations de l’emprunt de ces voies de communications terrestres à plus courte distance. Or les circulations sont signifiantes à toutes les échelles, et la question mérite d’être explorée.

En conclusion de cet aperçu théorique sur les modalités des échanges, on retient que type d’échange, acteurs, biens échangés et logistique sont interdépendants286. Plusieurs types d’échanges peuvent coexister, avec leurs

paramètres (acteurs, objets) et modalités (transport, distance, pouvoir, valeur) propres287. Les populations levantines du Bronze Ancien sont déjà actives dans les

280 Voir par exemple Esse 1991 ; Miroschedji et Sadek 2001 ; Milevski 2011, p. 177-197.

281 Pour une discussion approfondie sur les échanges entre l’Egypte et le Levant sud au Bronze Ancien

I et II, voir Sowada 2001, p. 31-73.

282 Comme l’attestent les comparaisons céramiques typologiques avec les assemblages levantins et les

analyses pétrographiques de provenance réalisées à ce jour (voir notamment Doumet-Serhal 2008 ; Köhler et Ownby 2011 ; Köhler et Thalmann 2014 ; Thalmann et Sowada 2014) ; nous reviendrons plus loin sur ce sujet.

283 Sherratt et Sherratt 1991, p. 362-363. La côte syro-libanaise est en effet sur nombre des routes

maritimes de Méditerranée orientale (Wachsmann 1998, p. 295-297). Voir aussi Demesticha et Knapp 2016, p. 6-7.

284 Wachsmann 1998, p. 39-60 ; Knapp et Demesticha 2017.

285 Notamment de vaisselles de pierre inscrites aux noms de plusieurs souverains de l’Ancien Empire

(Sowada 2001, p. 9). La Ba’alat Gubal, souvent assimilée à Hathor, est honorée par les rois égyptiens qui lui font parvenir des offrandes ; ce culte est particulièrement florissant à l’époque de Pépi Ier et Pépi II, et participe des étroites relations de Byblos avec l’Égypte (Sowada 2001, p. 9-10). De plus, la position de Byblos comme principal port de commerce avec l’Égypte est attestée durant la VIe

dynastie par le texte biographique d’Iny, officier égyptien sous les règnes de Pépi Ier à Pépi II (Sowada

2014, p. 294 et références).

286 Polanyi 1975, p. 144-146. 287 Knapp 1991, p. 51-52.

échanges, de l’échelle locale à celle de la Méditerranée orientale ; ce n’est qu’un premier stade du développement des interactions dans la région, dont l’apogée sera atteint au Bronze Récent288. La céramique, qu’elle ait voyagé pour elle-même ou pour

son contenu, qu’elle soit un bien commun ou de prestige, est l’un des principaux témoins de ces échanges.

288 C’est d’ailleurs de cette période que datent la plupart des épaves de l’âge du Bronze découvertes en

Méditerranée, et c’est à cette période que sont consacrés la plupart des travaux sur les échanges maritimes au Levant (Wachsmann 1998 ; Sauvage 2012).

CHAPITRE 5

UN PROTOCOLE ANALYTIQUE EN PLUSIEURS ETAPES

« La classification n’est pas le point de mire des constructions théoriques de l’archéologie, mais seulement l’étape initiale

des raisonnements conduits à d’autres fins. » Jean-Claude Gardin, Une archéologie théorique

a méthodologie que nous avons établie et mise en œuvre dans le cadre de cette thèse laisse une très large place à l’analyse archéologique des régions, sites et assemblages considérés. Il nous apparaît en effet fondamental de comprendre les enjeux anthropologiques et culturels, pour mener ensuite un travail de spécialiste cohérent, apte à répondre aux problématiques posées. L’étude pétrographique, elle-même réalisée en deux temps imbriqués et interdépendants, est basée sur les données archéologiques. De nouvelles pistes s’ouvrent alors pour appréhender les sociétés passées et orienter les recherches à venir.

Nous présentons ici un protocole organisé en plusieurs phases, incluant un travail de contextualisation des assemblages en amont de la sélection des échantillons. Une fois les corpus constitués, chaque échantillon documenté : typo-chronologie, classification morpho-fonctionnelle, observations technologiques. L’étude pétrographique est ensuite menée en macroscopie et microscopie, sur des échantillonnages raisonnés et s’inspirant de protocoles d’observations décrits et partagés au sein de la communauté scientifique. Ces différentes sont enfin traitées, afin de proposer des éléments de réponse à nos problématiques de départ.