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L E III E MILLENAIRE , UNE PERIODE D ’ URBANISATION

3.4. R EPENSER L ’ URBANISATION DU L EVANT NORD

3.4.2. L ES INDICES DE L ’ URBANISATION DU L EVANT NORD

À l’issue de cet aperçu critique, quelles sont les éléments dont nous disposons pour parler d’urbanisation au Levant nord au IIIe millénaire ? En se basant sur

l’historiographie de l’urbanisation en archéologie orientale, il est possible de synthétiser une dizaine de critères habituellement retenus et de chercher si, oui ou non, ils sont observés dans notre cas (Tableau 3).

Il est probable que la superficie des établissements et la densité des populations qui les occupent augmentent ; mais notons que les sites du littoral levantin sont de petites dimensions, généralement autour de 5 ha pour les plus gros, et que l’on ne connaît souvent pas ou très peu les occupations antérieures. La petite taille des sites du littoral levantin, en comparaison avec ceux de Syrie intérieure – Ebla, Mari autour de 50 ha – et de Mésopotamie est sans doute proportionnelle à l’échelle des régions drainées, en termes de superficie et de démographie. Le morcèlement géographique de la région a là aussi conditionné le développement culturel et urbain.

La différenciation architecturale ne fait pas de doute, puisque l’on trouve à Byblos des temples (temple de la Baalat Gubal, temple en L), des résidences d’élite158

et qu’à Fadous, les bâtiments 3 et 4 sont interprétés comme des constructions publiques159. Des éléments d’urbanisme se font jour : à Byblos, le centre de la ville est

dédié à la zone sacrée. Citons également l’existence de réseaux de rues, principales et secondaires (à Byblos160), comportant parfois des systèmes d’écoulement des eaux

(à Arqa161). Certains établissements se dotent de fortifications162, à l’image de Byblos

dont le rempart est probablement érigé au début du IIIe millénaire, et de Fadous163.

155 Genz 2014a.

156 Baramki 1973.

157 Guigues 1937, 1938 ; Schaeffer 1948, p. 75-76 et fig. 77. 158 Huot, Thalmann et Valbelle 1990, p. 99-104.

159 Genz 2014a, p. 298-299 ; à Arqa, aucun bâtiment « public » ou « communautaire » n’a été mis au

jour, mais il faut souligner que le chantier a été délibérément implanté en bordure de tell, dans une zone d’habitat. Les constructions publiques existent probablement sur le site, mais devraient se trouver au centre du tell (là où les niveaux récents sont les plus conséquents).

160 Huot, Thalmann et Valbelle 1990, p. 102-103.

161 Une rue périphérique borde le tell, constituée de matériaux drainants et creusée en son centre d’une

sorte de caniveau (Thalmann 2006a, p. 20-21).

162 De façon moins fréquente toutefois qu’au Levant sud à la même période. 163 Genz 2010b, p. 109.

S’il ne semble pas y avoir de véritable rempart à Arqa, la présence d’un mur périphérique a été remarquée à plusieurs périodes et le site était le reste du temps délimité jusqu’au bord du tell par une rangée d’habitations164. Comme nous l’avons

souligné, la faiblesse des données funéraires complique la réflexion sur la hiérarchisation sociale, mais l’étude de l’artisanat montre que les activités se spécialisent nettement – nous y reviendrons – et indique une nette différenciation sociale165. Pour ce faire, ces sociétés produisent donc un surplus économique, sans

doute agricole et artisanal, qui permet non seulement le soutien des spécialistes mais aussi l’insertion du site dans un réseau d’échanges régionaux. Byblos en est l’illustration même, par sa posture de port privilégié du commerce avec l’Égypte ; citons également l’emblématique circulation des lames cananéennes, ou encore de la céramique dite de Khirbet-Kerak, que l’on retrouve dans toute la zone levantine, voire au-delà.

En revanche, une série de paramètres, usuellement associés à l’urbanisation en Mésopotamie, sont absents au Levant. Il s’agit de l’existence d’un système centralisateur-redistributeur166, de l’emploi de l’écriture, de la mise en place

d’éléments de gestion et d’administration167 et de la présence d’une catégorie d’artistes

et d’artisans – de luxe ou non – directement attachés au pouvoir, qu’il soit religieux ou palatial. Aucun de ces éléments n’est observé dans le Levant du IIIe millénaire, à

l’exception toujours d’Ebla qui se place dans la sphère d’influence mésopotamienne. Ils relèvent plutôt, à notre sens, de la naissance de l’état que du problème de l’émergence de la ville. Il semblerait ainsi qu’au Levant, ces deux phénomènes soient bien plus distincts qu’en Mésopotamie et en Égypte, pour le IIIe millénaire du moins.

Le Levant connaît donc bien une urbanisation progressive, sous une forme propre liée à ses particularités environnementales et culturelles. La façade méditerranéenne ne peut être considérée comme une marge de la Mésopotamie, mais plutôt comme une sphère différente, expliquant les discordances avec le modèle mésopotamien.

164 Voir notre présentation du site, partie 6.2.

165 Nous discuterons surtout de l’artisanat potier, mais le lithique est également concerné avec,

notamment, la production laminaire (travaux de Florine Marchand) ; citons aussi les structures liées à la production d’huile d’olive découvertes à Ras Shamra (voir ci après). En ce qui concerne la métallurgie, on considère habituellement que c’est un artisanat qui, par définition, demande un fort investissement et des compétences spécialisées (Yener 2000, p. 8-9, 17).

166 On n’observe pas de systèmes de stockage communautaires au Levant nord, mais plutôt des

structures individuelles situées dans les habitations. Par exemple le cas d’Arqa où, au Bronze Ancien IV, le rez-de-chaussée de chaque habitation est compartimenté et entièrement dédié au stockage (Thalmann 2006a).

167 Pas de bulles à calculi ou de tablettes numérales au Levant. Le sceau-cylindre est connu et utilisé,

mais probablement pas – ou marginalement – à des fins administratives, du moins sur la côte (Thalmann 2013).

Tableau 3. Synthèse des dix critères d’urbanisation usuellement retenus dans l’historiographie archéologique orientale et présence/absence de ces critères au IIIe millénaire au Levant nord (à

l’exception d’Ebla).

3.4.3. APPROCHE SOCIO-ECONOMIQUE ET RICHESSE DE LA DEMARCHE