• Aucun résultat trouvé

ET POLARISATION DES INTERACTIONS

4.1. C OMPLEXIFICATION SOCIALE ET SPECIALISATION ARTISANALE La mutation de l’organisation sociale associée au processus d’urbanisation se

4.2.2. I NTERACTIONS HOMME HOMME : LES ECHANGES

4.2.2.1. D EFINITION DES TERMES

Dans le domaine des théories économiques, chaque mot revêt une signification bien spécifique, variant souvent selon les auteurs et selon les langues, ajoutant encore à la complexité du sujet.

4.2.2.1.1. TRADE ET ECHANGES : DIFFICULTES DE TRADUCTION

L’un des problèmes récurrents dans la littérature scientifique est la traduction de « trade ». Ce terme porte en anglais un sens beaucoup plus souple que celui de « commerce » en français. Là où « commerce » induit un gain, une activité lucrative, « trade » peut aussi désigner les échanges, les transactions, ou encore les affaires. On trouve de fréquents exemples de cette ambigüité sémantique : par exemple l’ouvrage de Karl Polanyi et Conrad Arensberg, Trade and Market in the Early Empires (1957), dont la traduction française a été intitulée Les systèmes économiques dans l’histoire et la

théorie (en réalité, d’après le sous-titre de l’ouvrage original : Economies in History and Theory). D’ailleurs, Karly Polanyi lui-même confère une valeur changeante au terme

« trade », selon que l’on se place ou non dans un contexte de marché253. C’est ainsi

tout un pan de la recherche consacrée à l’économie et aux échanges qui pâtit, soit de

248 Godelier 1973.

249 Earle et Ericson 1977 ; D’Altroy et Earle 1985 ; Brumfiel et Earle 1987 ; Earle et Spriggs 2015. 250 Dalton 1969, 1975.

251 Théorie de géographie économique développée par Walter Christaller, liée à l’idée de redistribution

de Karl Polanyi : Renfrew 1975 ; Renfrew et Shennan 1982. Dans cette conception, dans un monde urbanisé, la ville agit comme une place centrale, « as a focus for the material and informational exchanges that make up the interactions characteristic of civilization » (Renfrew 1975, p. 12).

252 Par exemple : Bauer et Agbe-Davies 2010 ; Dillian et White 2010. 253 Polanyi 1975.

traductions restrictives de l’anglais vers le français, soit de traductions approximatives du français vers l’anglais.

Nous retiendrons ici le terme d’ « échange », au sens large, pour désigner les interactions humaines matérielles ou immatérielles, réciproques ou non, que nous serons susceptible de mettre en lumière254. Nous nous détachons

donc de définitions liées à des auteurs et à des théories très spécifiques, comme celles de la triade « réciprocité, redistribution, échange » de Polanyi, où « échange » renvoie alors à une économie de marché255. Nous choisissons d’exclure de notre définition la

question de la réciprocité, dans la mesure où, en archéologie, on ne traite que d’une infime partie du problème à partir de laquelle on se propose de reconstituer un tout. En conséquence, il est tout à fait vraisemblable qu’au cours de notre travail, nous nous trouvions en mesure d’identifier un échange dans un sens, sans trouver la preuve de sa contrepartie réciproque ; celle-ci existe sans doute, mais nous n’en connaissons ni sa nature, ni sa matérialité, ni finalement sa réalité. On se dégage ainsi de tout présupposé quant à la pratique des échanges observés, pour chercher des éléments objectifs de reconstitution des flux d’idées, d’objets et d’individus.

Plusieurs biais ont pu intervenir sur la question des échanges en archéologie. D’abord, l’idée d’échange a souvent été associée au prestige, par un raccourci liant exotisme et bien de valeur256. Or, il a été souligné qu’il convient de clairement

différencier l’échange de biens communs, de l’ordre de la subsistance, de celui d’éléments de richesse : il existe des échanges qui ne sont pas forcément liés à un pouvoir257. De manière plus concrète, dans les années 1970-1980, le débat sur les

échanges en archéologie a été presque systématiquement associé à la question de la provenance des objets : à une période où les études physico-chimiques ouvraient un tout nouveau champ de recherche pour déterminer les sources de matières premières (notamment pour l’obsidienne), le développement de ces problématiques était prometteur258. Nous revenons aujourd’hui de cette foi illimitée en l’archéométrie qui,

comme l’ont montré des décennies de pratique, est un outil indispensable, mais pas une réponse absolue. Désormais, les études de provenance se détachent de la question des échanges pour être associées, notamment, aux réflexions technologiques. D’ailleurs, la notion de « chaîne opératoire », fondatrice de la technologie, a donné naissance dans le domaine des échanges à celle de « commodity

chain », que l’on pourrait traduire par « chaîne de marchandise »259 : en plus des étapes

de fabrication déjà documentées par la chaîne opératoire, la « commodity chain » inclut les processus de distribution et de consommation du bien260.

254 Voir la discussion du terme dans Renfrew et Bahn 1991, p. 351-352. 255 Polanyi 1957, p. 244-249.

256 Voire encore dans des publications récentes : Dillian and White 2010, p. 9-12. 257 Brumfiel et Earle 1987, p. 4-5.

258 Par exemple : Earle et Ericson 1977 ; Ericson et Earle 1982. 259 Bair 2009 ; repris dans Earle 2010, p. 210-215.

260 En réalité, ces étapes post-fabrication de la vie d’un objet (distribution, utilisation, voire abandon)

En outre, sauf cas particulier, nous évitons la notion de « commerce » qui, pour son aspect lucratif (voire monétisé), ne nous semble pas adaptée à notre propos. Le terme de « circulation » se réfère simplement à un mouvement (d’idée, d’objet et/ou d’individu). Celui de « contact » exprime un point de rencontre, de connexion entre deux entités, plutôt humaines ou immatérielles (individus, groupes humains, sphères culturelles). Et le mot « communication » désigne un contact avec échange réciproque entre les deux parties, plutôt immatériel également (communication entre deux personnes, voie de passage/de transmission entre deux sphères culturelles).

Nous disposons ainsi de termes bien définis, que nous pouvons employer dans notre propos pour traiter de la question des interactions et des échanges.

4.2.2.1.2. LES DIFFERENTS TYPES D’ECHANGES

Les échanges, en archéologie, sont bien sûr appréhendés par leur expression matérielle. Dans cette situation, nous avons distingué trois types principaux de matérialisation des échanges :

L’imitation : lorsqu’un modèle a circulé et qu’il a été reproduit localement en imitant l’objet original, sans que celui-ci ait forcément circulé. L’imitation illustre un échange immatériel, de l’ordre de l’idée, et/ou témoigne indirectement d’un échange matériel (un type qui a circulé et a été ensuite reproduit)261.

L’import : lorsqu’un objet a été échangé, depuis un point extérieur (connu ou non) vers le point étudié (site ou région).

L’export : lorsqu’un objet a été échangé, depuis le point étudié (site, région) vers un point extérieur.

Il est à noter que les échanges de type import et export sont matériels, mais qu’ils sont sans doute accompagnés d’échanges immatériels (contacts, communications) moins accessibles à l’archéologue. Du reste, ils témoignent de transactions qui ne sont pas forcément directes (du point A au point B) mais qui peuvent faire intervenir un ou des intermédiaire(s). Ces échanges ne sont pas forcément réciproques (ce n’est pas parce qu’il y a import, qu’il y a obligatoirement export, et inversement), ni commerciaux (on peut identifier la présence d’objets exogènes en un point sans que celle-ci soit liée à un mécanisme lucratif). Les échanges matériels peuvent en effet être de l’ordre du don262 ou du bien personnel

ayant voyagé avec son propriétaire, par exemple263.

opératoire pense en termes techniques, le concept de « commodity chain » semble plus orienté sur la question du mouvement, de l’échange de l’objet au cours de ces différentes étapes.

261 Bauer 2008 ; Biehl et Rassamakin 2008. 262 Mauss 1923-1924.

263 « We have to admit that ‘trade’ is not the only possible explanation for the appearance of