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P ROBLEMATIQUES ET ETAT DE L ’ ART

MILLENAIRE AU L EVANT NORD

1.2.2. B ILAN : DES AVANCEES A APPROFONDIR

Le développement de notre champ de recherche est donc assez tardif, en comparaison avec la généralisation des études de matériaux céramiques dans d’autres domaines. Mais il s’avère riche de nombreuses perspectives susceptibles d’approfondir notre compréhension du IIIe millénaire du Levant septentrional.

Un décalage important entre le Levant nord et le Levant sud est d’abord à noter. Au Levant sud, les analyses pétrographiques se sont développées plus tôt et ont permis d’engranger des données dès les années 1990, avec entre autres les travaux de Yuval Goren et Naomi Porat22. Aujourd’hui, la région est donc très bien

documentée : les analyses ont été presque systématisées sur les assemblages archéologiques, sont régulièrement incluses dans les monographies de sites et, au- delà des études de cas, des publications de synthèse ont été produites qui sont aujourd’hui des références23.

Malgré ce décalage temporel, au Levant nord, le développement des recherches est rapide. Nombre d’entre elles mettent en œuvre une méthodologie complète, qui permet l’obtention de résultats fiables et comparables : en étudiant un échantillonnage cohérent, suffisant pour tirer des conclusions valides, et en précisant les conditions de l’analyse ; en présentant des tessons dont les contextes archéologiques, stratigraphiques et typochronologiques sont documentés ; en utilisant des méthodes d’analyse complémentaires, à différentes échelles ; voire en comparant les échantillons archéologiques à des prélèvements géologiques ou de structures de

19 Synthèse pétrographique par Laura Medeghini, dans Vacca 2010 ; Vacca 2018. Citons également

Santarelli 2013 et l’étude menée sur les terres cuites du Bronze Ancien d’Ebla (De Vito et al. 2015).

20 Welton 2014, 2018.

21http://www.crane.utoronto.ca/

22 Gilead et Goren 1989 ; Goren et Goldberg 1991 ; Porat 1989a, 1989b, 2003.

23 Voir par exemple : Goren 1996 ; Greenberg et Porat 1996 sur la Metallic Ware ; Goren, Finkelstein et

cuisson24. Ces études contribuent donc directement à l’enrichissement de notre

connaissance des assemblages céramiques.

La répartition géographique des études est principalement concentrée en Syrie intérieure (région d’Ebla et vallée de l’Oronte) ; le Liban est documenté également, mais la côte syrienne est jusqu’à présent délaissée (Figure 2). Au-delà, c’est dans la présentation des résultats que l’on souffre parfois de certains manques : l’échantillonnage sélectionné n’est pas toujours présenté en détail, dans sa répartition chronologique, stratigraphique et typologique ; ou le nombre même d’échantillons étudiés n’est pas précisé25. En outre, l’étude macroscopique est parfois considérée

comme annexe – heureusement, pas dans la majorité des cas ; tandis que la pétrographie en lames minces est la méthode la plus usuellement mise en œuvre (Graphique 1). De manière générale, les échantillonnages en macroscopie varient de quelques dizaines à plusieurs milliers de pièces, contre en moyenne 10 à 250 lames minces en microscopie. Il est notable qu’au Liban et en Syrie intérieure/vallée de l’Oronte, la macroscopie et la pétrographie sont assez systématiquement mises en œuvre, alors que dans la région d’Ebla, les études macroscopiques sont plus rares et moins détaillées. Enfin, la répartition chronologique des travaux est inégale : le début du IIIe millénaire n’est documenté qu’au Liban ; tandis qu’ailleurs (Syrie

intérieure/vallée de l’Oronte, Ebla et sa région, Amuq), le matériel traité couvre uniquement le Bronze Ancien III et IV. Nous verrons que ce constat correspond en fait à une réalité archéologique et à un problème général de documentation des périodes anciennes en Syrie intérieure.

L’étude des matériaux céramiques est avant tout affaire d’observation ; or les illustrations macroscopiques font souvent défaut26, alors qu’elles permettent une

comparaison directe des pâtes27. Les microphotographies en lames minces sont plus

fréquemment présentées, mais pas systématiquement28 (Graphique 1). Dans les cas

où des macrophotographies sont fournies, même si elles ne sont pas doublées d’une étude en lames minces, le bénéfice est clair : les résultats sont facilement comparables et on identifie efficacement les similarités ou les différences avec son propre matériel29. De plus, si des microphotographies sont publiées, on comprend les

24 C’est notamment le cas de Maritan et al. 2005 ; Boileau et al. 2010. 25 C’est le cas dans Griffiths 2006 et Iamoni 2014.

26 À cela s’ajoute le problème de la couleur : les illustrations noir et blanc sont souvent très peu

exploitables dans une perspective comparative.

27 L’absence d’illustrations macroscopiques est particulièrement problématique dans le cas de travaux

où la macroscopie est la seule méthode d’investigation utilisée, par exemple dans Iamoni 2012, 2014, 2015.

28 Illustrations microphotographiques par exemple dans Griffiths 2006, Boileau 2006, Boileau et al.

2010. Les analyses sur le matériel de Qatna (Maritan et al. 2005, 2007) ne sont par contre pas illustrés ni en macro- ni en microscopie, alors que les graphiques présentant les résultats des analyses archéométriques sont détaillés.

29 Voir par exemple Mouamar 2017 et 2018, avec des planches typologiques et macroscopiques très

principes de classement de l’auteur, et l’on peut comparer en détail la publication à ses propres analyses30.

Les perspectives sont encourageantes. Dans un domaine de recherche neuf comme celui-ci, il y a beaucoup à faire, de nombreuses questions sont à adresser ; et l’on peut s’efforcer de suivre d’emblée les méthodologies les plus homogènes possible. Si l’on regarde la carte de l’état de l’art, le maillage des études déjà réalisées est de plus en plus dense (Figure 2). D’autre part, l’uniformisation rapide des protocoles et des modes de publication, avec de riches illustrations en couleurs qui permettent la comparaison, est manifeste31. Celle-ci s’avère indispensable pour pallier

à l’un des problèmes majeurs, à ce jour, que nous puissions rencontrer : des études archéométriques conçues comme des compléments annexes de l’étude céramologique, qui forment une juxtaposition d’études de cas. Le développement des publications en ligne permet de pallier aux problèmes des coûts d’édition ; et la mise en place de sites Internet collaboratifs, come le Levantine Ceramics Project, est une alternative prometteuse pour le partage des données, en amont de la publication scientifique32. En effet, maintenant que les données commencent à s’accumuler, il est

nécessaire de réaliser un effort et de synthèse.

Graphique 1. Répartition des 29 études de matériaux céramiques répertoriées, avec la proportion d’études macroscopiques (dont illustrées), microscopiques (dont illustrées) et d’analyses

complémentaires diverses.

30 Voir par exemple Kennedy, Badreshany et Philip 2018.

31 Les publications en ligne dans Levant en 2018 en sont de bons exemples.

32 Ce projet concerne toutes les périodes jusqu’à l’époque ottomane, et rassemble toutes sortes

d’informations sur la céramique levantine : forme, datation, pétrographie, photographies et dessins :

C’est vers cet objectif que sont aujourd’hui dirigés les efforts et, à n’en pas douter, les prochaines années verront paraître des études novatrices et très enrichissantes pour l’archéologie du Levant septentrional33. C’est aussi dans cette

dynamique que nous nous efforçons de placer notre travail. Nous appliquons la démarche aux riches assemblages des sept sites que nous avons la chance d’étudier et qui, sur la carte de répartition des études, combleront plusieurs vides (Figure 6). En utilisant des échantillons stratifiés, en jouant sur les échelles d’observation et de réflexion, du microscopique à l’objet, de l’intrasite à la région, nous souhaitons contribuer à la dynamique. Nous observons indéniablement deux mouvements, vers la spécialisation artisanale et le développement des réseaux d’échanges, qui sont des mécanismes fondamentaux de l’urbanisation.

33 Ainsi, entre autres, de la question de la Grey Ware : la définition de cette production en plusieurs

points (à Tell Shairat : Mouamar 2018 ; à Tell Nebi Mend : Kennedy, Badreshany et Philip 2018 ; à Tell Acharneh : Boileau 2006) a permis de comparer plusieurs assemblages, et de poser le problème à une échelle plus vaste. La question de l’analogie avec la Black Wheelmade Ware a notamment été soulevée (Genz, Badreshany et Jean à paraître) et de ses différences avec de possibles imitations du nord de la Palestine (Tadmor 1978 ; Greenberg et al. 1998 ; Bunimovitz et Greenberg 2004 ; D’Andrea 2014 ; Bechar 2015).

CHAPITRE 2

CADRE GEOGRAPHIQUE ET ENVIRONNEMENTAL :