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Q UATRE PHASES D ’ OCCUPATION SUCCESSIVES AU III E MILLENAIRE

T ELL A RQA : UN SITE DE REFERENCE

6.2. U NE SEQUENCE STRATIGRAPHIQUE CONTINUE

6.2.2. Q UATRE PHASES D ’ OCCUPATION SUCCESSIVES AU III E MILLENAIRE

L’homogénéité de l’occupation est, à Arqa, fort caractéristique du IIIe

millénaire, puisque toutes les couches fouillées sont constituées uniquement de vestiges d’habitat – du moins dans la zone fouillée, en bordure ouest du tell. Bien que

366 Ce système d’enregistrement stratigraphique est décrit dans Thalmann 2006a, p. 11-14 et fig. 2. 367 Thalmann 2006a, p. 230-231 ; Cichocki 2007 ; Thalmann 2013, fig. 1 ; Thalmann 2016, fig. 35. Les

les limites de l’habitat semblent se déplacer de quelques mètres au cours du temps, comme l’indiquent les murs périphériques des installations anciennes recouverts de murs et de sols d’habitations postérieures, une forte continuité se dégage de l’étude archéologique et stratigraphique de la séquence. Les techniques de construction architecturale, mais aussi le plan général du quartier varient assez peu au cours des siècles – particulièrement entre la couche d’incendie 18A et la fin du niveau 15, qui ont été fouillés sur de plus grandes surfaces que les couches du début du millénaire (Figures 21, 22).

6.2.2.1. PHASE T (NIVEAUX 20 ET 19):3100–2800BC

Au regard de la puissance stratigraphique de l’occupation, les niveaux les plus anciens n’ont été atteints que dans un sondage profond d’extension réduite (ouverture maximale de 40 m² au sommet, dans les vestiges de la couche d’incendie 18A). L’analyse architecturale y est donc particulièrement limitée ; néanmoins, une observation fine des couches, des structures et du matériel a permis de caractériser la nature de cette occupation de bord de tell368. La couche 20G comprend trois sols de

terre battue successifs ; elle est recouverte de trois couches de remblai, 20F à D, où 20D est un remblai de nivellement permettant l’extension de l’habitat dans les couches 20C et B. Le premier mur périphérique a été reconnu dans la couche 20A (mur C ; Figures 23, 24) : construit en pierres et probablement large de plusieurs mètres, il devait constituer un rempart et/ou un mur de soutènement.

La rupture avec le niveau suivant semble chronologiquement située autour de 2900. Le niveau 19, composé de deux couches B et A, correspond aux plus anciennes traces d’habitat dense dans le secteur. Les murs, dont la hauteur conservée atteint 2 m, sont en briques crues parfois sur des soubassements de pierre. Dans une pièce, des traces de sol enduit ont été identifiées en association avec des céramiques écrasées en place ; au centre de la pièce, le négatif d’un poteau enfoncé dans le sol est le premier témoin du système architectural employé jusqu’à la fin du IIIe millénaire369.

Tout au long de la période, l’habitat d’Arqa est en effet construit à partir de murs de briques crues, reposant fréquemment sur des soubassements de blocs calcaires – du moins pour les murs extérieurs – et renforcés par un ensemble de poteaux disposés dans les pièces, contre les murs et au centre370. L’ensemble des niveaux 20 et 19

constitue dans la périodisation d’Arqa la phase T, qui correspond aux plus anciens niveaux de l’âge du Bronze.

368 Une description préliminaire de la stratigraphie du sondage profond est proposée dans Thalmann

2016, p. 16-22.

369 Thalmann 2016, fig. 8. 370 Thalmann 2006b.

6.2.2.2. PHASE S(NIVEAU 18) :2800–2700/2650 CALBC

Le niveau 18, qui correspond à la phase chronologique S, est subdivisé en cinq couches principales, E à A. Les couches 18E à B ont été mises au jour dans le sondage profond, et donc sur une surface restreinte. La couche la plus récente, 18A, est aussi la plus riche et a été fouillée de façon plus extensive : elle correspond à une destruction par incendie.

Dans la couche 18E, les vestiges d’un second mur périphérique ont été reconnus au-dessus du mur C de la couche 20A (mur B ; Figure 22). 18E et D sont plusieurs états d’un même habitat, dont le plan connaît de mineures variations par rapport aux installations précédentes. Le système architectural de murs de briques sur soubassements de pierres, augmentés de poteaux le long des murs – reposant désormais sur des bases de pierres – est à nouveau mis en évidence. Une pièce a livré une structure de stockage domestique, un petit silo371. La surface de ce secteur semble

être nivelée par un remblai (18C), avant une nouvelle reconstruction de l’habitat (18B), selon les mêmes paramètres.

C’est finalement la couche 18A qui a révélé un habitat incendié, et donc les contextes les plus riches pour la phase S. Cette épaisse couche de destruction a scellé l’occupation en un instantané du site, en place et fouillé sur près de 250 m² (Figures 25, 26). La zone est traversée par une petite ruelle rectiligne, sur les bords de laquelle sont alignées les habitations. Si les limites exactes des maisons n’ont pu être définies dans l’emprise de la fouille, une série de pièces ont été mises au jour – quatre en intégralité, six en partie. Les altitudes des sols sont cohérentes dans tous ces espaces, et de nombreuses céramiques ont été découvertes écrasées en place (Figures 27, 28). Le système de construction déjà mis en évidence dans le sondage profond est à nouveau identifié : murs de briques crues, parfois sur soubassements de pierres, poteaux le long des murs et au centre des pièces.

Dans cette couche d’incendie, des empreintes et vestiges carbonisés témoignent de l’importance du bois dans l’architecture pour les poteaux et charpentes. La présence de nombreux soutiens internes pourrait indiquer des constructions hautes, peut-être à étage. La plupart des pièces étaient équipées de banquettes latérales et de foyers, ou d’autres aménagements à caractère domestique comme des silos372. Un escalier mène de la ruelle à l’entrée de l’une des

habitations373 ; les autres circulations n’ont qu’été partiellement identifiées et il faut

dans certains cas envisager un accès par l’étage. Quelques installations spécifiques ont cependant pu être reconstituées : la pièce 18.55, vraisemblablement située à l’étage de la pièce 18.40, comportait une plateforme construite en briques de gros module, au pied de laquelle a été mise au jour la jarre à décor d’empreintes de sceaux-cylindres,

371 Thalmann 2016, fig. 11.

372 Thalmann 2016, p. 23-27 et fig. 14-25. 373 Thalmann 2016, fig. 23.

découverte majeure de 18A374. Là encore, c’est un habitat homogène qui occupait

cette partie du site. De plus, le caractère clos des contextes offre un aperçu de l’organisation interne des pièces telles qu’elles étaient en usage, avec un matériel céramique très abondant, en place et généralement entièrement reconstituable.

Le niveau 18 regroupe ainsi différents types de contextes d’habitat au long de la phase S. Le secteur est reconstruit plusieurs fois, avant sa destruction finale par un incendie possiblement généralisé sur le site, aux alentours de 2700/2650 calBC375.

6.2.2.3. PHASE R(NIVEAU 17) :2700/2650–2450±50 CALBC

Le niveau 17 s’est avéré être le plus complexe à comprendre de cette séquence. Fortement perturbé et ayant subi plusieurs réfections successives, il n’a pas livré de contexte archéologique clos et peu de matériel en place. Les couches inférieures (17E et D) semblent avoir entamé la couche de destruction 18A directement antérieure. En 17E, une fosse a probablement été creusée pour remployer des pierres de 18A ; l’état 17D2 est plus clair, bien que partiellement creusé dans 18A – un silo dallé témoigne de la nature domestique des installations. Au total, quatre états architecturaux ont été reconnus, de 17D à 17A, mais les installations des couches 17C et B sont les plus lisibles : c’est donc à partir de ces vestiges qu’a été établi le plan de l’occupation de la phase R (Figures 29, 30)376. Ce

plan présente, comme au niveau 18, une ruelle dont le tracé a évolué et forme un coude. En 17B, la rue comporte une rigole centrale canalisant les ruissellements et est bordée de constructions sur ses deux côtés, dont aucune n’a été dégagée en intégralité mais dont le module architectural reprend les caractéristiques précédemment établies. Les soubassements de pierres, de calibres variables, sont bien visibles mais les élévations de briques sont plus fugaces et souvent très peu conservées ; on retrouve toutefois le système de poteaux sur bases de pierres le long des murs, qui pourraient indiquer la présence d’un étage. Plusieurs sols ont été identifiés, généralement en simple terre battue, plus rarement dallés ou enduits, et les pièces comportaient fréquemment des foyers circulaires et des mortiers inclus dans le sol. Des casiers à grains et zones cendreuses ont été reconnus. Là encore, l’occupation est clairement de nature domestique. La couche la plus récente de la phase R (17A) est fort érodée, notamment par les installations postérieures, mais comprend quelques sols lisibles associés à du matériel en place. L’occupation semble être globalement cohérente avec le plan établi en 17C et B.

374 Le module des briques de la plateforme de 18.55 est environ trois fois supérieur à l’habitude (J.-P.

Thalmann, communication personnelle). La découverte de la jarre à empreintes de sceaux-cylindres a été longuement discutée dans Thalmann 2013.

375 Thalmann 2013, p. 258-259 ; Thalmann 2016, p. 31.

376 Ce niveau, en cours de fouille au moment de la publication du premier volume de la monographie

finale, n’est qu’évoqué dans Thalmann 2006a. Une description plus précise en est donnée dans Thalmann 2016, p. 27-31 ; elle reste toutefois préliminaire.

Bien que perturbée et n’offrant pas de contexte archéologique aussi riche qu’à la phase précédente, l’occupation du niveau 17 s’inscrit dans la continuité des installations antérieures. Le plan général est légèrement modifié, mais les éléments principaux perdurent (ruelle et habitations en bordure).

6.2.2.4. PHASE P(NIVEAUX 16 ET 15) :2450±50-2000±50 CALBC

La phase P représente une part importante de la séquence du IIIe millénaire.

Elle est répartie en deux niveaux, 16 et 15, entre lesquels se produit à nouveau une destruction violente par incendie. Ainsi, les couches inférieures du niveau 16 (16D et C) correspondent à l’occupation dans la durée du secteur sur près de deux siècles ; tandis que les couches 16B et A sont incendiées et ont figé, environ 400 ans après la destruction de la phase S, un nouvel instantané du site.

Le niveau 16 a été mis au jour sur une surface plus vaste que les niveaux précédents, d’environ 450 m² : l’analyse spatiale des vestiges architecturaux y est donc plus développée (Figures 31, 32)377. Une ruelle périphérique fait toujours le tour du

tell, et est bordée de bâtiments sur ses deux côtés. L’extension spatiale de la fouille permet aussi d’identifier des ruelles rayonnantes et d’isoler un îlot d’habitation (îlot B), dégagé en quasi-totalité. En coupe, la continuité des implantations entre les couches 16D-C et 16B-A témoigne de la stabilité du plan de la zone (Figure 34). La destruction du niveau 16B-A se produit aux alentours de 2250 ± 50 calBC378 : dans la

plupart des bâtiments, l’effondrement de l’architecture est si bien conservé qu’il est possible d’y distinguer deux couches, B et A, correspondant respectivement au rez- de-chaussée et à l’étage. C’est d’ailleurs à partir de deux pièces de 16B-A (16.69 et 16.72) qu’ont pu être précisément reconstituées les techniques architecturales de la phase P, et que sont proposées des restitutions numériques379. Le système de

construction repose sur des élévations de briques sur soubassements de pierres (pour les murs externes ; les cloisons internes sont uniquement en briques) augmentées d’un ensemble de supports verticaux en bois sur bases de pierre. Une charpente interne soutient ensuite un étage s’étendant sur toute la surface de l’habitation. La principale évolution architecturale observée au cours de l’occupation du niveau 16 concerne la transformation des rez-de-chaussée qui, au moment de la destruction, semblent entièrement dédiés au stockage de denrées : les portes ont été condamnées

377 Le détail des structures et de la stratigraphie de la phase P est publié dans Thalmann 2006a, p. 19-

32.

378 Thalmann 2006a, p. 230-231.

379 L’incendie et l’effondrement des bâtiments ont permis la conservation de nombreux éléments de

bois architectural. Voir Thalmann 2006a (p. 27-28) pour les reconstitutions de l’élévation des habitations. Les techniques architecturales sont particulièrement détaillées dans Thalmann 2006b, puis 2010, p. 91-98 (fig. 16 : reconstitution numérique des charpentes ; fig. 17 : identification en coupe du rez-de-chaussée et de l’étage).

et l’espace intérieur est compartimenté en casiers. Par conséquent, les espaces de vie sont alors situés à l’étage, dans la couche 16A380.

Le niveau 15 correspond à l’occupation de la fin du millénaire, entre la destruction de 2250 ± 50 calBC et 2000381. Il comprend trois couches, C à A, mais

est, en comparaison avec le niveau 16, moins bien conservé et entamé par les niveaux postérieurs 14 et 13. L’observation des coupes montre toutefois la continuité des implantations entre les niveaux 16 et 15382, qui permet de reconstituer un plan très

proche de celui du niveau 16 (Figure 33)383. Les techniques de construction et

l’organisation interne des habitats sont tout à fait similaires à celles observées au niveau 16. L’occupation du niveau 15 s’achève à nouveau par un incendie en 15A. La couche de destruction est peu préservée mais est identifiée en plusieurs points par des structures brûlées associées à du matériel en place384.

Les vestiges de la phase P sont donc, comme aux phases précédentes, ceux d’un quartier d’habitat. Par ailleurs, à l’instar du niveau 18 (phase S), les niveaux 16 et 15 présentent une diversité de contextes incluant à la fois des occupations sur un temps long et deux destructions violentes par incendie. Pour chaque couche, et principalement 16B-A, un abondant mobilier a pu être associé aux états architecturaux et vient compléter ce riche ensemble de données.

6.2.3. ÉVOLUTION DE L’OCCUPATION DU CHANTIER 1 : UN QUARTIER