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Inventaire boutiquier et découverte de la nature. Des Géographies dans le Dictionnaire de Ferdinand Buisson

2. Franz Schrader : la nomination et l'émotion (1882)

2.2. Un système Schrader dans le Dictionnaire

Le rôle joué par les cartes dans l’éducation et l’enseignement géographiques que proposent Schrader et Buisson apparaît dans l’organisation du Dictionnaire et de ses articles. En effet, les articles Cartes et Exercices cartographiques tiennent une place majeure dans le système du Dictionnaire.

L’article Cartes, rédigé par la rédaction, Buisson et Guillaume (DP1, 1878), annonce avec ses renvois plusieurs articles, parus quelque temps auparavant ou simultanément : Atlas (DP1, 1878),

Cartographie (DP2, 1878) ou à paraître : Globes (DP1, 1882), Topographie (DP1, 1886). Par

contre, seul le rapide article Atlas, signé lui aussi par la rédaction renvoie à un article Géographie, probablement celui de la même partie du Dictionnaire, c’est-à-dire l’article Géographie de Schrader (DP1, 1882). Quant à l’article Géographie de Foncin, il est complètement isolé du système de renvois qui s’enchaînent à partir des articles en rapport avec les cartes.

À côté du système “ Foncin-Meissas ” (graphe 1), on peut tracer un réseau de renvois, un système “ Schrader-cartes ” (graphe 2). Ainsi, deux réseaux principaux se tissent dans le domaine de la géographie et de la cartographie au sein du Dictionnaire : celui de Schrader, celui de Foncin et Meissas.

Graphe 2 : Le système Schrader-cartes dans la première partie du Dictionnaire de Ferdinand

Buisson.

Renvois à des articles ou à des auteurs

Calque (Buisson)

Cartographie

Exercices cartographiques

Schrader (Buisson)

Cartes

(Buisson) Globes

Schrader

Atlas

Géographie

Ethnographie,

(Buisson) Schrader Ethnologie

(Buisson)

Topographie E. Reclus

P. Moëssard E. Levasseur

Levés de plan

H. Sonnet

On peut distinguer dans ce système “ Schrader-cartes ” 3 types d’articles.

Les articles Cartes et Exercices cartographiques rédigés par Buisson forment des pôles centrifuges qui renvoient à plusieurs autres articles. Ils ont de nombreuses connections avec d’autres articles. Ils s’articulent en de nombreux points avec l’ensemble du Dictionnaire, mais ils ne sont pas des références pour d’autres articles. La rédaction conçoit la structure du Dictionnaire, mais les auteurs d’articles n’ont pas nécessairement une vision d’ensemble de l’ouvrage et un souci de se positionner par rapport aux autres entrées.

Les articles Géographie et Cartographie de Schrader ont eux aussi de nombreuses connexions, mais, à l’inverse des articles Cartes et Exercices cartographiques, ils apparaissent comme des pôles centripètes qui organisent des articles de second rang. L’article Cartographie et l’article

Géographie de Schrader fonctionnent donc comme des pôles d’attraction, servant de référence

scientifique pour les autres articles. Les articles de Schrader éclipsent ainsi ceux de Foncin et de Meissas.

Enfin, un moindre niveau d’importance peut être attribué aux articles qui n’apparaissent qu’au bout d’une seule chaîne de renvois (Calque, Levés de plans, Globe).

Deux autres auteurs du Dictionnaire, Élisée Reclus et Émile Levasseur, peuvent être rattachés à ce système car ils sont explicitement les principales références scientifiques de Schrader. Un seul article, éloigné de la liste des articles de géographie dressée par Buisson, se raccorde à ce système, il s’agit d’Ethnographie, ethnologie ; en revanche, aucun article traitant des sciences de la nature ne se rattache à ce réseau conceptuel géographique.

Quelques décennies plus tard, en 1911, Le Nouveau Dictionnaire de Pédagogie de Ferdinand Buisson délaisse les développements encyclopédiques et se présente comme un ouvrage plus recentré sur la seule pédagogie. Par exemple l’article Commerce de Levasseur n’est pas repris, cédant la place à un article Commerce (Écoles de)350. Les monographies géographiques de Gaston

Meissas disparaissent aussi de cette nouvelle édition. L’article Géographie de Pierre Foncin n’est pas reproduit, alors qu’il continue à diriger sa collection de manuels scolaires chez Colin.

Au total, l’ensemble du Nouveau Dictionnaire n’équivaut qu’au 2/3 de la seule première partie du

Dictionnaire ce qui pourrait expliquer en partie que le système de renvois soit en 1911 plus réduit.

L’article Cartes devient alors, dans le champ de la géographie, celui qui à le plus de renvois. C’est un article assez peu développé (7 colonnes), bien moins que l’ensemble des articles Géographie,

Cartographie et Globes rédigés par Schrader qui totalisent 36 colonnes, soit l’équivalent de 18

pages. L’article de Foncin n’étant pas republié, les articles de Franz Schrader prennent seuls la place centrale dans le nouveau corpus d’articles en rapport avec la géographie (graphe 3).

Graphe 3 : Le deuxième système Schrader en 1911 dans le Nouveau Dictionnaire de Ferdinand

Buisson.

Renvois à des articles ou à des auteurs

Exercices cartographiques

Cartographie (Buisson) Calque Defodon

Schrader

Globes Schrader

Cartes

Atlas (Buisson)

(Buisson)

Géographie

Schrader Arpentage H. Sonnet

Topographie, article annoncé mais non publié

E. Levasseur E. Reclus

En 1911, la géographie présente ainsi un visage moins diversifié aux lecteurs du « Ferdinand Buisson ». L’ancienne géographie inventaire est moins présente en arrière fond que dans le premier

Dictionnaire. Mais curieusement, alors que de nombreux articles ont été complètement remaniés

pour cette nouvelle édition, avec y compris changement d’auteur, l’article de Schrader ne connaît que peu de modifications : il est au total 15% plus court.

L’essentiel des passages supprimés correspond à ce qui à nos yeux, était une contradiction dans l’article de 1882. En effet Franz Schrader d’une part, y dénonçait fortement la persistance des méthodes catéchistiques et d’autre part proposait des procédés mnémotechniques pour retenir les listes de départements avec préfecture et sous-préfectures. Néanmoins, Schrader continue d’affirmer qu’il « faut fonder l’enseignement sur des faits » et plus loin d’écrire à propos de la mémoire : « Pour ce travail mécanique, les commentaires rationnels seraient une surcharge plutôt

qu’un secours. Ils devront venir ensuite, mais le travail consistera d’abord à graver dans le souvenir un certain nombre de sons dans un ordre préconçu. » Sans toujours y voir, semble-t-il de

contradiction.

De nouveaux paragraphes sont rédigés pour tenir compte des nouveaux programmes, mais aussi pour exprimer sa philosophie, son refus d’une géographie utilitariste. Schrader y exprime son inquiétude face aux développements techniques avec une tonalité que l’on qualifierait aujourd’hui d’écologiste. On peut le ressentir dans cet extrait :

[…] La conception du monde moderne relativement aux rapports de la terre et de l’homme est fondée sur le point de vue industriel, non sur le point de vue philosophique : c’est à dire que, l’homme est considéré comme l’exploiteur naturel du globe, et le globe comme le fournisseur obligatoire de l’homme. De là, l’esprit utilitaire qui règne dans la notion de géographie. Il ne peut guère en être autrement à une époque et pour une génération qui a vu le développement si prodigieux des nouveaux moyens d’utilisation et la forme nouvelle de civilisation qui en est résultée ne tarderont pas, par l’expérience même qu’aura produite leur usage, à introduire dans la pensée générale l’élément nouveau dont je voudrais dire quelques mots. On a pu se faire pendant un demi-siècle l’illusion que les nouveaux rapports de l’homme avec la terre étaient appliqués d’une façon naturelle et normale. Un vague malaise de toutes les nations civilisées commence à les avertir qu’il n’en est rien; ce malaise, d’abord diffus, va ou ira se précisant peu à peu ; c’est à ce moment que la géographie opérera de façon consciente son évolution nouvelle, que nous devons prévoir pour en faciliter la naissance. […]

(Franz Schrader.)351

Cette attente d’un nouvelle écogéographie se situe logiquement dans les références maintenues à Rousseau, à Ritter, à Pestalozzi et à Reclus. Ces auteurs, de même que Comenius et Levasseur nommés dans l’article de 1911 comme dans l’article en 1882. Mais l’absence dans le Nouveau

Dictionnaire de pédagogie du nom de Vidal de La Blache est curieuse. Est-ce dû au fait que

l’article a été raccourci sans être vraiment remanié ? Probablement. Mais c’est aussi à nos yeux l’indice que la géographie à l’école primaire au début du XXe siècle reste encore fortement marquée par sa période d’institutionnalisation, antérieure à la fondation de l’école française de géographie. En 1911 Buisson en choisissant de demander à Schrader plutôt qu’à Foncin d’actualiser son article géographie, retient certes l’auteur de chez Hachette qui édite son dictionnaire plutôt que l’auteur de chez Colin. Mais surtout il privilégie le plus idéaliste des deux auteurs. Buisson privilégie la géographie comme moyen d’éducation des hommes au Monde, incarnée par Schrader, alors président du Club Alpin Français, aux dépens de la géographie pour l’apprentissage du commerce sur la Terre, incarnée alors par Foncin, fondateur et président de l’Alliance Française.

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