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Plans à tiroirs et tableaux spécifiques. Descriptions monographiques du Dictionnaire

1. Parcours descriptifs et logiques explicatives des articles monographiques du

1.2. L’Allemagne géographiquement confrontée à la France

L’article Allemagne de Félix Oger391 rappelle en son début le plan de l’article Afrique de G. Meissas (tableau 4b). Ils commencent tous les deux par une présentation de la configuration générale de l’objet géographique étudié, suivie d’une présentation du relief et des cours d’eau. Ensuite, l’article de Félix Oger se distingue du plan adopté par Meissas pour présenter l’Afrique. Il ne procède pas par approches régionales successives qui constituent le cœur de l’article Afrique ; mais par contre, il donne une place relativement importante à la géographie économique. Ainsi, la seconde partie, intitulée, « géographie agricole et industrielle », constitue le quart de la monographie. Enfin, Oger attache une attention presque aussi importante à la géographie politique et administrative du nouvel 386 Algérie, ibidem, p. 80. 387 Algérie, ibidem, p. 80. 388 Algérie, ibidem, p. 80. 389 Algérie, ibidem, p. 80. 390 Algérie, ibidem, p. 78.

empire allemand. Le primat de la géographie physique est donc ici marqué par sa place première dans la description, mais ne se retrouve guère par sa part quantitative dans l’ensemble de l’étude.

Tableau 4b. Le plan descriptif de l’article Allemagne.

Allemagne: I. Géographie Nombre de

mots % de mots au sein de la monographie géographique chapeau 53 1,3% 1. Géographie physique

Limites, Superficie, population, climat 429 10,6%

Orographie et hydrographie 1560 38,6%

Côtes et ports 192 4,8%

2. Géographie agricole et industrielle 862 21,3%

3. Ethnographie 199 4,9%

4. Géographie politique 743 18,4%

total de la monographie 4038 100,0%

Questions géographiques 183

Problèmes géographiques 293

total de la partie géographie 4514

La structure interne des différentes parties de cet article est elle aussi remarquable ; toute la description de l’Allemagne est bâtie en référence à la France. Ainsi, Félix Oger confronte systématiquement l’Allemagne à la France, au double sens de « confrontation », celui de la comparaison entre les deux pays et celui du rappel des batailles et des guerres.

L’attention du lecteur est d’abord portée sur l’étendue de l’Allemagne et sa dynamique d’extension aux dépens de ses voisins :

À l’est, elle touche aux montagnes qui enveloppent la Bohême de toutes parts, puis la Russie, dont la sépare une ligne de convention tracée au milieu de l’ancien royaume de Pologne. Au nord, de la Baltique à la mer du Nord, c’est aussi une ligne conventionnelle qui a fixé les limites entre le Slesvig devenu allemand, et le Jutland resté danois dans l’ancienne Chersonèse Cimbrique.392

Bassins houillers. — […] Le bassin de la Sarre, entre Metz et Mayence, de découverte relativement récente, avait contribué à donner un développement considérable aux établissements métallurgiques de la Lorraine française, si riche en minerai de fer. […]

Eaux minérales. — […] Les sources salées et les mines de sel gemme sont généralement fort répandues, et la plus riche mine de la Lorraine, celle de Dieuze, s'est trouvée comprise dans l'annexion allemande. […]

Races. — Sans doute l'élément germain domine dans l’ensemble de l'empire ; mais les slaves constituent un noyau considérable dans le duché de Posen, qui provient du démembrement de la Pologne et dans quelques parties de la Silésie. Sur les bords de l'Elbe et de l'Oder, où ils ont été autrefois dominants, ils ont été peu à peu absorbés dans l'élément germanique. Les Danois du Slesvig, annexés depuis 1866 ; appartiennent à la race scandinave, et les habitants de Metz, par leur rang, leur langue et leurs sympathies ont toujours été Français. 393

(F. Oger.) La comparaison systématique de l’Allemagne avec la France n’est pas un simple procédé pédagogique, permettant de découvrir un pays peu connu par comparaison à un autre plus connu. Il

392 Félix Oger, article Allemagne, DP2 p. 87.

s’agit ici, bien évidemment, de la comparaison de deux adversaires qui devront à nouveau se mesurer :

Superficie. — L’étendue de l’empire ainsi délimité est un peu plus grande que celle de la France (540,000 kilom. carrés, au lieu de 528,000), mais sa population est plus considérable d’une façon absolue, et plus dense relativement au pays qu’elle couvre.

Population : sa densité. — L'empire d'Allemagne compte 42 100 000 habitants ; la population moyenne y est donc de 79 habitants par kilom. carré. Elle est environ de 70 en France. Seules en Europe, la Belgique, la Hollande, les Iles Britanniques et l'Italie ont une population plus dense que celle de l'Allemagne. Climat. — L'Allemagne jouit d'un climat moins beau que celui de la France. Sa latitude est plus septentrionale, les vallées qui la traversent sont tournées vers le nord, au lieu de s'ouvrir, comme celles de notre pays, vers la Méditerranée ou l’Océan dont les flots sont réchauffés par le courant chaud du Golfe, le Gulfstream.

[…] Ni là, ni dans la Forêt-Noire, qui fait, sur la rive droite du Rhin, le digne pendant de nos Vosges, on ne trouve de sommet dépassant 1500 mètres. 394

Agriculture. — L'Allemagne est beaucoup moins fertile que la France. […] Le froment est aussi plus rare qu'en France et est remplacé par le seigle, l’orge, l'avoine, le sarrasin, qui conviennent mieux aux terrains maigres. […]

Géographie politique. […] l'Allemagne, sans être encore arrivée à une centralisation aussi grande que la

France, s'en rapproche de plus en plus, à tous égards. 395

(F. Oger.) L’ensemble des « problèmes géographiques » proposés en fin d’article est lui aussi bâti sur le mode de la comparaison de la France et de l’Allemagne. Ils partent d’exercices comparant la taille et la population respectives des deux États pour aboutir, dans un second temps, à une incitation implicite à une plus grande natalité en France. Ensuite, les politiques publiques qui pourraient porter la puissance économique de la France au niveau de l’Allemagne sont suggérées de façon tout aussi implicite :

Problèmes géographiques. — La population et la superficie de la France sont de 36 900 000 habitants et

de 528 800 kilom. carrés ; celles de l’empire d’Allemagne, de 42 700 000 habitants et de 540 000 kilom. carrés.

1° Quelle serait la population de la France, prise dans ses limites actuelles,[396] si elle était aussi dense que celle de l’Allemagne ? (Rép. : 41 760 000.) — Quelle serait la population de la France, si elle était aussi étendue que l'Allemagne, sans que la densité de sa population eût augmenté ? (Rép. : 37 800 000.) 2° Il y a en Allemagne 29 150 kilom. de chemin de fer en exploitation, et en France 22 670. Combien y a-t-il de kilom. de chemin de fer par 10 000 kilom. carrés de superficie en Allemagne ?- en France ? (Rép. : 540 en Allemagne ; 429 en France.)

Combien y a-t-il de kilom. de chemin de fer pour 10 000 habitants en Allemagne ? – en France ? (Rép. 6k,8 en Allemagne ; 6k,1 en France.)

Combien la France devrait-elle construire de kilom. de chemins de fer pour en avoir autant que l’Allemagne ? 1° Relativement à sa superficie ? 2° Relativement à sa population ? (Rép. 1° 5 680 kilom. ; 2° 2 495 kilom.)

3° Il y a en Allemagne 8 366 bureaux de postes distribuant 596 000 000 de lettres et en France 5 117 bureaux distribuant 350 000 000 de lettres. Combien de kilom. carrés de superficie et combien d'habitants un bureau de poste doit-il desservir en Allemagne ? en France ? — (Rép. : 63 kilom. carrés en Allemagne ; 102 kilom. carrés en France.)

Combien s’expédie-t-il de lettres par tête en Allemagne ? en France ? (Rép. — 13,9 en Allemagne ; 9,5 en France.)397

394 Allemagne, ibidem, p. 87.

395 Allemagne, ibidem, p. 89.

396 Remarquons que ces limites ne sont donc pas implicitement acceptées comme définitives par les auteurs du Dictionnaire.

L’article, dans son ensemble, invite les lecteurs Français à tirer des leçons de l’efficacité des Allemands. Félix Oger souligne à la fois la ténacité au travail des Allemands et l’efficacité de l’organisation du service militaire à la prussienne :

Agriculture. — […] On doit rendre cette justice aux Allemands qu’ils mettent tous leurs soins à tirer de leur sol ingrat tout le parti possible. Nulle part d’ailleurs les forêts ne sont aussi bien aménagées ; les vallées sont généralement couvertes de belles prairies. Les races de bétail sont bien entretenues ; on cherche à en améliorer les qualités et on y réussit. 398

Attributions du gouvernement impérial. […] Le régime militaire qui a amené le triomphe de la Prusse est aujourd'hui appliqué à toute l'Allemagne : chacun est soldat, chacun fait l'exercice à la prussienne. 399

(F. Oger.) La funeste défaite de 1870 est évidemment loin d’être oubliée, la cicatrice est récente, la plaie restera ouverte, on le sait, jusqu’à la revanche. La Moselle et le Rhin, Metz et Strasbourg rappellent de cruels souvenirs :

Le Rhin. — Dans la partie moyenne de son cours, le Rhin servait de frontière franco-allemande jusqu'à la funeste guerre de 1870.

[…] la Lauter, qui formait jusqu'en 1870 la limite entre l'Alsace et la Bavière Rhénane ; et enfin la Moselle le plus important de tous ses affluents. Née au ballon d’Alsace, la Moselle est française par la première partie de son cours ; elle traverse Metz, qui nous rappelle de si cruels souvenirs ; 400 […] La plus récente et la plus magnifiquement dotée des universités allemandes est celle de Strasbourg, libéralité dont le but est facile à comprendre. 401

(F. Oger.) Les autres guerres franco-allemandes sont toujours en arrière fond du discours, de l’Incendie du Palatinat par Louis XIV aux guerres de la Révolution et de l’Empire. Il n’est pas possible de faire une description géographique de l’Allemagne sans en parler comme un champ de batailles :

Le Danube est le grand chemin d’Occident en Orient, suivi par les croisés et toutes les expéditions militaires qui ont eu Vienne pour objectif. 402

De Bâle à Mayence il [le Rhin] parcourt une large vallée dont le territoire fertile en fait un des plus riches pays du monde, mais dont la possession si souvent disputée a fait couler le sang dans de nombreux combats. […] le château de Heidelberg dresse, au-dessus de la vallée du Neckar, son imposante façade en ruines, dont les Allemands nous reprochent l'incendie depuis deux siècles

[…] l'Elbe reçoit sur sa rive gauche la Saale, grossie de l'Elster, deux rivières dont les flots ont été plus d'une fois teintés de sang. 403

(F. Oger.) Les affrontements futurs, sans être explicitement évoqués, sont à craindre, car la puissance sans cesse grandissante de l’Allemagne est inquiétante. Même la croissance démographique de Berlin qui est pourtant moins peuplé que Paris est qualifiée « d’effrayante... » par Félix Oger :

Wilhemshafen, où sont réunis les principaux arsenaux de la marine militaire naissante de l'empire d'Allemagne.404

Attributions du gouvernement impérial — […] L'instruction, partout obligatoire et donnée avec le plus grand soin (V. Allemagne dans la 1ère PARTIE du Dictionnaire), fait partout aussi pénétrer le même sentiment, celui de la prééminence germanique, sentiment que les conquêtes de 1871 ont naturellement 398 Allemagne, ibidem, p. 89. 399 Allemagne, ibidem, p. 90. 400 Allemagne, ibidem, p. 88. 401 Allemagne, ibidem, p. 90. 402 Allemagne, ibidem, p. 87. 403 Allemagne, ibidem, p. 88. 404 Allemagne, ibidem, p. 89.

exalté et qui est porté aujourd'hui aussi loin qu'a pu l'être aux jours de notre plus grand enivrement le chauvinisme français.405

Grandes villes. — Berlin, qui s'accroît avec une rapidité effrayante, a aujourd’hui près d’un million d’habitants […] 406

(F. Oger.) La géographie enseignée contribue ainsi à la préparation de la revanche. À cette fin, pour être efficace, elle a recours à des procédés explicatifs plus complexes que ceux qui sont utilisés précédemment dans les descriptions coloniales de l’Afrique ou de l’Algérie. Ainsi dans cet article

Allemagne, l’école obligatoire, la conscription, la natalité et l’efficacité économique participent

ensemble à l’explication de la puissance allemande. Ici, l’auteur Félix Oger, même quand il est enfermé dans une vision manichéiste de la rivalité franco-allemande, est conduit à sortir de la logique des explications monocausales afin de rendre ses analyses plus efficaces.

En ce sens il diffère fortement du discours tenu par Gaston Meissas sur la colonisation en Algérie et en Afrique. Mais Meissas peut être plus nuancé dans son discours, par exemple lorsqu’il décrit la France ou la Belgique.

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