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Plans à tiroirs et tableaux spécifiques. Descriptions monographiques du Dictionnaire

1. Parcours descriptifs et logiques explicatives des articles monographiques du

1.4. États scandinaves et Afghanistan,

des discours autour d’un nombre réduit de problématiques

Annoncé sur la liste des contributeurs du Dictionnaire, Élisée Reclus434 ne signe qu’un seul article en fin de publication : Scandinaves (Etats). Il est vrai que le Dictionnaire de Buisson (1878-1887) est contemporain de la rédaction de sa Nouvelle Géographie universelle (1876-1890) ; Reclus est en train de la rédiger pour le même éditeur : Louis Hachette. L’influence Élisée Reclus sur ses contemporains est néanmoins soulignée dans l’article Géographie de Franz Schrader. Élisée Reclus et Carl Ritter y sont cités comme les géographes de référence scientifique, Émile Levasseur étant de son côté la référence en matière d’innovations pour l’enseignement de la géographie.

Élisée Reclus, auteur dans le Dictionnaire de Ferdinand Buisson.

L’article rédigé par Élisée Reclus est très différent des autres, ne serait-ce que par sa mise en page : pas de plan numéroté, rares mots mis en valeur par des caractères italiques. Son texte a une rédaction très intriquée ; les parties distinguées ci-dessous par nos soins s’enchaînent en fait sans rupture (tableau 7).

433 Ibidem, p.2387-2388.

434 Jean-Jacques-Élisée Reclus dit Élisée Reclus. Auteur dans le Dictionnaire de l’article Scandinaves (Etats), (DP2, 1881) 10 colonnes.

Géographe né à Sainte-Foy-la-Grande en 1830, mort en Belgique à Thourant, près de Bruges en 1906. Obligé de quitter la France après le 2 Décembre, il voyage à l’étranger de 1852 à 1857. De retour à Paris, il publia dans la Revue des Deux Mondes et autres recueils les récits de ses excursions et de ses études. Il prit part à la défense de Paris en 1870-1871 et à la Commune. Fait prisonnier les armes à la main sur le plateau de Châtillon alors qu’il participe à la résistance des Communards ; il est condamné au bannissement, évitant grâce à une pétition internationale la déportation en Nouvelle-Calédonie.

Signe un contrat avec Hachette en 1872. De 1876 à 1890 il publie à Paris sa Nouvelle Géographie universelle. Revenu en France au début des années 1890, il est à nouveau contraint de s’exiler. Nommé agrégé des sciences de l’université de Bruxelles (1892), il dut renoncer à la chaire à laquelle il avait été nommé à cause de ses opinions anarchistes. Il est alors (1894) appelé à l’école libre belge des sciences sociales où il fit un cours de géographie comparée. L’Homme et la Terre (6 vol., 1903-1905) est son œuvre majeure.

Tableau 7. Le plan descriptif de l’article Scandinaves (États)

Scandinaves (Etats) : Géographie Nombre de

mots % de mots au sein de la monographie géographique Définition de la Scandinavie 319 6,0% Histoire 182 3,5% Histoire géologique 452 8,6% Hydrographie 427 8,1% Orographie 728 13,8% Relief littoral 427 8,1% Climat 247 4,7% Peuples et démographie 566 10,7% Villes 916 17,4%

Activités agricoles (Danemark surtout) 135 2,6%

Activités industrielles (Suède surtout) 265 5,0%

Activités maritimes (Norvège surtout) 210 4,0%

Transports intérieurs 79 1,5%

Organisations administratives 80 1,5%

Tableaux statistiques (populations et superficies) 241 4,6%

Total de l’article 5274 100,0%

Dans cet ensemble des monographies géographiques, l’article Scandinaves (Etats) rédigé par Élisée Reclus se singularise fortement. Reclus est le seul à ne pas utiliser un plan stéréotypé de type catalogue (tableau 7). Après une présentation globale de la Scandinavie du point de vue géomorphologique et climatique puis dans le domaine de la géographie humaine, Reclus décrit les villes des trois royaumes et les communications qu'elles ont entre elles puis les aspects modernes de ces pays. Ensuite, il fait la description de chaque État avec un éclairage particulier : le Danemark est associé à l'activité agricole des pays scandinaves, la Suède à l'industrie et la Norvège à la pêche. Élisée Reclus ne se situe donc pas dans une tentative illusoire d’exhaustivité, il se soucie de traiter une question spécifique, (une problématique ?) liée à chaque espace :

La géographicité de Reclus est unitaire parce que toute imprégnée d’une philosophie de la nature qui le rapproche des romantiques allemands et du géographe C. Ritter […] l’un de ses biographes a pertinemment intitulé son travail « Élisée Reclus : historian of nature. »

D’ailleurs ne croyant pas encore matériellement possible d’atteindre l’universalité, il se contente pragmatiquement dans sa Nouvelle géographie universelle de composer des descriptions originales, conformes aux caractères des lieux et de leurs habitants, et de proportionner l’étude de chaque partie à la qualité de l’information dont il dispose et à son importance contemporaine.

(M.-C.Robic.)435 Élisée Reclus confronte souvent les données naturelles et les données humaines, mais pas de façon dualiste, dans un antagonisme entre la géographie physique et la géographie humaine. Ainsi quand il utilise le concept de frontière naturelle pour le confronter au découpage politique des États scandinaves, il associe la géologie et la géographie de la population pour les opposer toutes deux aux limites fixées par les guerres de conquête :

La superficie totale des trois pays scandinaves, dans les limites actuelles qui leur ont été tracées par les guerres et les traités est évaluée à 707,134 kilomètres carrés, dont 38,238 pour le Danemark, 316,694 pour la Norvège, 442,203 pour la Suède. Ses frontières naturelles, indiquées par le relief du sol, donneraient à la Scandinavie une surface plus considérable. Au nord-est, du côté de la Russie, la ligne de séparation qu'il semblait convenable de choisir est celle qui du Varanger-fjord se dirige vers le golfe de Botnie par le lac Enara et la vallée du Kémi ; mais la Russie, plus puissante que ses deux voisines de l'ouest, la Suède et la Norvège, a modifié la frontière à son profit, de manière à enclaver toute la Laponie norvégienne et à

435 ROBIC, M.-C. (dir.), 1992, Du milieu à l’environnement. Pratiques et représentations du rapport homme/nature depuis la Renaissance. Paris : Economica, p.128-129.

s'avancer jusqu’aux montagnes qui dominent les fjords voisins de Tromsö. Au sud, les dimensions normales du territoire scandinave ont été également réduites. Les trois pédoncules de la presqu'île danoise sont naturellement séparés de l'Allemagne du côté de la mer du Nord par le cours de l'Eider, et du côté de la Baltique par sinuosités de la Schlei. Ces limites ont été franchies par les armées allemandes, et la frontière politique a été reportée beaucoup plus au nord, en un pays de langue danoise appartenant par sa formation géologique et par ses traits géographiques au monde scandinave.

(É. Reclus.)436

Quelques points de son développement surprennent néanmoins le lecteur contemporain, par exemple sa recherche d’un type national pur. Mais, l’on sait que sa Nouvelle Géographie

Universelle est par de nombreux aspects, en particulier ses gravures, très ethnographique dans son

approche des peuples :

Les Scandinaves des trois royaumes, naturellement groupés en plus grand nombre dans les régions méridionales, appartiennent à diverses familles de la race germanique, Danois, Goths, Svear ou Suédois. Les Suédois que l'on considère en général comme représentant le type national le plus pur sont les Dalécarliens, qui vivent au nord-ouest de Stockholm, dans le bassin supérieur du Dal-elf. Quant aux Danois, il est probable que leur type le moins mélangé doit se retrouver en Norvège.

(É. Reclus.)437

De même, le lien qu’il établit entre la conscription et la taille des habitants n’est pas non plus très évident. Les Scandinaves vivent de plus en plus vieux et deviennent de plus en plus grands certes, mais on comprend mal comment ailleurs la sélection militaire fait diminuer la taille. Les petits échappant à la conscription seraient-ils moins décimés par les guerres ou auraient-ils plus d’enfants que les grands mobilisés dans l’armée ?

En Danemark, la natalité dépasse annuellement la mortalité des deux cinquièmes : en Norvège, la proportion est encore plus favorable ; de tous les pays du continent, il est celui qui perd le moins d'enfants en bas âge et où la vie moyenne est la plus longue. Il y a certainement en Scandinavie une amélioration de la race contrastant avec la détérioration qui se produit en d'autres contrées par l'effet de la sélection militaire.

(É. Reclus.)438

Mais, ce qui frappe le plus chez Élisée Reclus, comme chez les autres géographes du Dictionnaire, c’est une attention particulière portée à la population et à l’activité économique. On y entend le même éloge implicite de l’esprit d’entreprise :

Ensemble les trois États scandinaves ont plus de 15 000 navires, d'un port de 2,200,000 tonnes, près de trois fois plus que la France. La plupart des habitants des villes, au lieu de placer leurs économies à la caisse d'épargne ou dans les banques, les emploient dans une « part » de navire.

(É. Reclus.)439

Cette approche structure le discours. Chacun des États est caractérisé fortement par une activité économique. Ainsi, il ne peut y avoir de plan répétitif, identique pour chaque contrée :

Dans la division générale du travail, on peut dire que le Danemark représente surtout l’agriculture, tandis que l'industrie, est la part de la Suède et le commerce celle de la Norvège.

(É. Reclus)440 436 DP2, p.1991. 437 DP2, p.1993. 438 DP2, p.1993. 439 DP2, p.1994. 440 DP2, p.1994.

On retrouve ici une singularité et une modernité du discours géographique d’Élisée Reclus. Nous avons avec Didier Mendibil comparé avec l’aide d’un logiciel d’analyse lexicale l’écriture de quatre

Géographies universelles : de Malte-Brun à Roger Brunet. Nous avions distingué sept mondes

lexicaux dans la Géographie universelle de Malte-Brun, ses itinéraires descriptifs repassant de façon récurrente autour de sept thématiques. Nous avons retrouvé une diversité presque aussi grande en identifiant six mondes dans la G.U. dirigée par Vidal et Gallois. Par contre l’analyse lexicographique ne décomptait que cinq mondes lexicaux chez Reclus et trois ou quatre dans les chapitres correspondants de la géographie dirigée par Roger Brunet441. L’article États scandinaves du Dictionnaire de Ferdinand Buisson confirme cette caractéristique de l’écriture d’Élisée Reclus : identifier une problématique caractéristique de chaque espace géographique plutôt que décliner à chaque fois le même plan discursif « à tiroirs ».

Enfin, Élisée Reclus complète son article sur les États scandinaves par trois tableaux statistiques recensant la superficie et la population des différentes provinces, il est avec Oger le seul à utiliser cet outil442. Son approche est ainsi, et de loin, celle qui présente les traits les plus modernes au sein du Dictionnaire.

Afghanistan : La monographie géographie du Nouveau Dictionnaire

Pour les raisons évoquées plus haut, une seule notice géographique est publiée dans le Nouveau

Dictionnaire en 1911, celle sur l’Afghanistan. Elle aussi est nettement marquée par la

prédominance de la part de la géographie humaine (tableau 8). Afghanistan est un article court, centré sur l’ethnographie et les aspects culturels. Il est non signé. Mais, compte tenu de sa connaissance de l’empire russe et de l’Asie centrale on peut attribuer cet article à D. Aïtoff, nouveau venu dans la table des auteurs de cette nouvelle édition du Dictionnaire 443.

La région de l’Asie que nous appelons Afghanistan, […] s’appelle en réalité Poukhtounkhoua, c’est-à-dire « pays des Pachhtanah » (Pachtanah est le pluriel du singulier « Poukhtoun ») ; l’idiome parlé par la majorité des habitants est le pouchto ou poukhtoun, langue assyrienne intermédiaire entre le zend de la Perse et le sanscrit de l’Inde, mais plus rapprochée de l’idiome iranien, avec quelques mots sémitiques empruntés à l’arabe. Les Afghans ou Pachtanah qui sont au nombre d’environ deux millions […] sont divisés en tribus nombreuses (environ 400), et habitent généralement la campagne, sauf ceux d’entre eux qui sont soldats et quelques marchands. Dans les villes, on rencontre une population d’origine iranienne, les Tadjiks (les « couronnés » ou gens à tiare), au nombre d’environ un demi-million, descendants des anciens maîtres de la contrée, diversement croisés ; ils sont la classe industrielle et commerçante, ainsi que l’élément lettré. Il y a en outre en Afghanistan des Hindous aryens, des Mongols, des Turcs et enfin des Kafirs ou « infidèles », restés païens et dont les peuplades, habitant des montagnes peu accessibles, sont généralement demeurées indépendantes.[…]444

441 CHEVALIER, J.-P., 2000, « Modélisation de l’évolution du mode descriptif et de ses thématiques en géographie: les descriptions des villes situées entre Rhin et Neva dans les Géographies Universelles (1842-1996) », Hommes et terres du Nord , Villeneuve d’Ascq : USTL, n°3, p. 127-137.

442 G. Meissas, article États-Unis, DP2, p. 716-728.

443 D. Aïtoff, géographe. Auteur de l’article Russie (NDP, 1911). A publié, en 1898, Premier recensement de la population de l’Empire russe et en 1901 : Résultats Annales de Géographie scientifiques des exploration de M. Sven Hedin en Asie Centrale 1894-1897 et Peuples et langues de la Russie en 1901 chez Armand Colin.

Tableau 8. Le plan descriptif de l’article Afghanistan, NDP, 1911 Afghanistan Nombre de mots % de mots au sein de la monographie géographique Peuples 240 68,4% Religion et enseignement 42 12,0%

Villes et régime politique 69 19,7%

Total de l’article 351 100,0%

Dans l’ensemble des monographies géographiques, ces articles sur les États scandinaves et sur l’Afghanistan constituent une exception, ils contrastent avec les monographies de Félix Oger et de Gaston Meissas qui déroulent paragraphe après paragraphe une géographie inventaire. En règle générale, comme nous l’avons vu, les parcours descriptifs de Gaston Meissas et de Félix Oger déroulent 3 ou 4 parties, elles-mêmes subdivisées en sous-parties, de façon à inventorier de multiples aspects d’une contrée, sans relation toujours évidente entre les différentes parties de l’ensemble, si ce n’est l’unité de lieu, la même découpe spatiale.

Le Dictionnaire est à la fois l’héritage d’écritures géographiques marquées par les héritages du début du dix-neuvième siècle et le lieu où Élisée Reclus propose un discours géographique neuf. La comparaison des plans d’étude est révélatrice de cette diversité.

1.5. Entre le sérieux du plan type d’Adrien Balbi et le souci du singulier et du pittoresque de

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