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Dictionnaire de Ferdinand Buisson

1. Le tournant cartographique de la géographie scolaire

1.2. La carte étudiée à 3 niveaux d’échelle

Le Dictionnaire de Ferdinand Buisson ne retient donc pas les quatre niveaux scalaires proposés par Himly et Levasseur dans leur rapport de 1871 : “ A la rigueur, en effet, une école normale n’a

besoin que de quatre cartes : La Mappemonde, l’Europe, la France et le département.[…] La lacune la plus fréquente, même dans les écoles normales est l’absence d’une bonne carte du département. ”295. Par contre, Schrader et les autres auteurs du Dictionnaire négligent le niveau européen et privilégient le local sur le niveau départemental.

En effet, pour les auteurs réunis par Buisson c’est surtout dès l’échelle locale que commence l’apprentissage du vocabulaire des formes. L’accent est mis sur les “reliefs”, nous dirions aujourd’hui les maquettes en trois dimensions, qu’il convient de mettre en premier sous les yeux des enfants (articles Carte, Cartographie, Exercices cartographiques, Géographie, DP2). L’article

Topographie propose même de commencer à très grande échelle par le plan d’objet avant l’étude du

plan de l’environnement immédiat, et avant “l’étude très délicate du figuré de terrain” et de sa comparaison avec les reliefs. La sortie dans le milieu proche peut déboucher sur la confection de modelés de reliefs (Géographie DP2), elle peut aussi permettre des confrontations avec la carte (Topographie) ou donner lieu à des levés de plan (Promenades, Topographie).

À cette échelle, la cartographie du relief est le thème principal.Ces activités sont proposées dans les programmes scolaires de Belgique, de Bavière et du canton de Vaud en Suisse296. Présentes dans l’ancien programme du département de la Seine (1868) “ Préparation à l’étude de la géographie. […] De la carte : tracer au tableau noir un plan du quartier de l’école et faire voyager les élèves

sur ce plan, avec la baguette. — carte sommaire des environs de la ville ou du village. ” 297 ; ces activités peuvent aussi s’inscrire dans les programmes promulgués en France en 1882 pour le cours élémentaire “ Idée de la représentation cartographique : éléments de lecture de cartes et de plans. […] Entretiens sur le lieu natal . ”298

À moyenne échelle, la figuration du relief est présentée comme une nouveauté complétant les

traditionnelles cartes administratives politiques. C’est à ce niveau scalaire que l’on signale des cartes à fresques sur les murs des écoles (Exercices cartographiques). Les “reliefs” sont à proscrire car trop exagérés dans les altitudes (Géographie DP2). Les auteurs du Dictionnaire critiquent aussi vivement les jardins cartographiques (Géorama). Ils se félicitent par contre du développement des cartes murales (Cartes, Géographie DP2) et des atlas scolaires (Cartes).

Buisson et ses collaborateurs proposent principalement comme exercices l’interrogation à partir de cartes muettes (Cartes) et la copie de cartes simplifiées.

En France, le mot carte n’apparaissait qu’une seule fois dans le programme du département de la Seine de 1868, au sein d’une longue énumération d’objets à apprendre au cours moyen et au cours supérieur : “ Division en départements : chefs lieux (étudier la place des départements sur la carte,

à l’aide des fleuves et des rivières ou de la direction des montagnes dont ils portent le nom). ”Par

contre, le nouveau programme national de 1882 y consacre une ligne sur les quatre du libellé du

295 Himly et Levasseur, 1871, op. cit., p.38.

296 Article Géographie, DP2 p.860-862.

297 Article Géographie, DP2 p.859.

programme du cours moyen “ Géographie de la France et de ses colonies. […] Exercices de

cartographie au tableau noir et sur cahier, sans calque. ”. La cartographie, énumérée en dernier

lieu, apparaît ainsi comme un schéma de synthèse qui condense la leçon et que l’élève devra être capable de reproduire de mémoire, sans calque.

À très petite échelle, la référence à l’étude de la Terre et à sa sphéricité est présente dans de

nombreux programmes scolaires. Franz Schrader demande que les classes soient équipées d’un globe, mais il déconseille les globes avec des reliefs, car trop exagérés (Globe). On pense au projet non abouti de globe d’Élisée Reclus pour l’Exposition de 1900 dont le caractère gigantesque aurait limité l’exagération des reliefs.

Au cours élémentaire, dans le programme français de 1882, la formulation du programme scolaire englobe sans les distinguer la sphère terrestre et sa figuration : “ Globe terrestre, continents et

océan. ”. L’instrument didactique est par contre nommément désigné dans la présentation des

programmes prussiens : “ Dans l’école primaire complète à six classes, l’enseignement de la

géographie commence avec la troisième année scolaire. On se sert du dessin au tableau noir, du globe terrestre et de la carte. ”. Il en est de même dans les programmes de Saxe-Weimar : Degré supérieur : “ Étude de l’Europe et des autres continents à l’aide de la carte et du globe. Notions de géographie mathématique ” et dans ceux de l’école de Saint-Louis du Missouri aux USA : Quatrième année : “ cartes, globes et leur usage” . Les programmes de Belgique pour le deuxième degré précisent le geste didactique : “ Montrer sur la sphère et sur la carte, les États les plus importants de l’Europe avec leurs capitales. ”.

L’approche des projections, liée à la géographie mathématique, peut s’appuyer sur l’usage du globe. Les enseignants du Degré intermédiaire du canton de Vaud sont invités à le faire : “ Étude générale

de la mappemonde, si possible au moyen du globe terrestre. ” Différents procédés de projection

pour construire des planisphères sont présentés par Franz Schrader à l’aide de croquis (Cartographie). En Belgique, les programmes de géographie parlent de « l’Idée de la construction

d’une mappemonde et d’un planisphère » (enseignement du 3è degré). Ce sont les programmes des

Écoles normales d’Autriche qui sont les plus explicites sur ce point : “ Étude des principes

fondamentaux de la géographie physique et mathématique ; explication des projections les plus employées. ” (Quatrième année).

Se pose alors la question de la délimitation entre la géographie et l’astronomie dans le cadre de la “ géographie mathématique ”. En Prusse, l’enseignement de la géographie mathématique à l’école primaire comprend des éléments de cosmographie : “ 1° l’horizon ; 2° les diverses manières de

représenter la terre ; les lignes qui servent à la diviser ; 3° les preuves de la sphéricité de la terre ; 4° les saisons et les zones ; 5° notions sur les étoiles fixes ; 6° notions sur le soleil et la lune ; 7° notions sur le calendrier. En Suisse, la situation est différente, tant dans les écoles primaires du

canton de Vaud, où “ la géographie mathématique s’enseigne à part, sous le nom de cosmographie

ou notions de sphère ” ; que dans les écoles normales des Régentes du Jura Bernois à Delémont où

“ La géographie mathématique (sphéricité de la terre, ses mouvements, saisons, calendriers,

latitude et longitude, etc.) est aussi comprise dans le cours de cosmographie ” et non de

géographie.299

Nous reviendrons plus loin sur la délimitation de la géographie et ses rapports avec les autres savoirs. Nous voudrions tout d’abord montrer, qu’au travers de l’ensemble de ces conseils didactiques et de ces prescriptions, quelque peu disparates, c’est principalement la vertu suggestive prêtée à la carte qui motive Buisson et ses collaborateurs.

Pourtant la promotion des activités cartographiques à l’École, l’usage des cartes en tant que support pour des exercices de localisation et de mémorisation, ne doit pas masquer que ces activités sont très rapidement assimilées à des exercices de “ compréhension ”. C’est probablement prêter beaucoup de sens à des savoirs qui ne sont évalués que factuellement.

1.3. “ Savoir sa géographie c’est savoir sa carte et non le livre ” (F. Buisson)

L’article Cartes est un complément de l'article Cartographie, il présente les activités scolaires en regard de l’article faisant le point scientifique sur cet outil. Le propos s’organise en quatre parties : “ 1° Nécessité de l'usage des cartes dans l'enseignement primaire ”, “ 2° Valeur des différentes

cartes faites pour l'enseignement primaire ”, “ 3° lecture des cartes scolaires et dans une certaine mesure des cartes en général ”, “ 4° construction et dessin des cartes par les élèves eux-mêmes. ”

Pour Ferdinand Buisson300, la carte “ n'est pas seulement un moyen de représenter les objets à

étudier, c'est le seul moyen d'en acquérir une certaine notion, la condition sans laquelle on n'aura jamais que des mots dans la mémoire et non des idées dans la tête. ” Ainsi il s’exprime son souci

de renforcer l’acquisition du vocabulaire par l'association du mot à une perception. Ce qui est d’autant plus remarquable qu’il est rarement fait référence dans cet ouvrage à l’usage d’autres images, en particulier des vues paysagères, pour enseigner la géographie. Avant l’arrivée du concept de paysage en géographie, la vertu suggestive attribuée généralement aux images paysagères est alors décernée à la seule carte, mais si possible associée à la classe - promenade : “ La carte est à l'enseignement géographique ce qu'est la collection d’images à l'histoire

naturelle... ” D’ailleurs, en ce qui concerne les livres scolaires de géographie, Buisson s’intéresse

avant tout aux atlas scolaires. Il reprend à son compte les propos de MM. Lebrun et Le Béalle dans la préface de leur atlas scolaire (1851) : “ Savoir la géographie, c’est savoir la carte et non le

livre ”.

Mais si les cartes imprimées ou une fois réalisées ont une vertu suggestive, les auteurs, Buisson comme Schrader, se méfient du temps perdu et des détails superflus des croquis tracés par les écoliers :

La confection des cartes par les élèves est un des exercices dont les avantages sont le plus généralement connus.

C’est aussi un de ceux qui demandent le plus constamment l’intervention, la direction et la surveillance éclairée du maître ; car s’il est mal fait, il entraîne une perte de temps considérable sans le moindre profit pour l’instruction. […]

(Franz Schrader.)301

Pour ces auteurs, la question du temps est capitale. Temps inefficace pédagogiquement quand on utilise le calque et temps vainement gaspillé pour en perfectionner l'enluminure. C’est pourquoi, ils proposent de s'inspirer des méthodes de construction à partir de tracés géométriques inspirés du Suédois Sven Agren ou de A. Guyot, Suisse établi aux États-Unis302. Deux exemples sont

300 Ferdinand-Édouard Buisson, 1841-1932, Né à Paris, professeur suppléant à l’académie de Lausanne (1866-1870), inspecteur primaire à Paris (1871), inspecteur général hors-cadre pour l’enseignement primaire (1878). Directeur de l’enseignement primaire au ministère de l’instruction publique (1879-1896). Républicain ardent, anticlérical et protestant libéral, il a été un des principaux instigateurs de la loi sur l’enseignement laïque et obligatoire. On lui doit la publication du Dictionnaire de Pédagogie. Professeur de la science de l’Éducation à la Faculté de Paris (1896).

Radical-socialiste, il est élu député de Paris (1902-1914 ; 1919-1924). Défenseur à la Chambre de la laïcité de l’État, de l’enseignement professionnel obligatoire et du droit de vote des femmes. Président de la Ligue des droits de l’Homme (1913-1926) et prix Nobel de la paix en 1927 pour son action en faveur de la S.D.N.

301 Article Cartographiques (Exercices), DP1.

302 ROBIC, M.-C., 1991, « Variation sur la forme. L’exercice cartographique à l’école (1868-1889) », Mappemonde, n°2-3, p.38-44, 32-40.

proposés : une carte d'Europe tracée à partir de formes géométriques bâties à partir d'un triangle isocèle, et une autre carte dont l'architecture s'appuie sur un quadrillage. En fait, cet article peut laisser les lecteurs un peu désemparés.

Chaque auteur a son propre système de “ map drawing ” ; et il faut quand même convenir que la plupart, à force de vouloir guider l'élève, finissent par lui donner autant à faire pour retenir les artifices de cette construction que s'il avait à dessiner la carte elle-même sans tous ces aide-mémoire.

(Franz Schrader.) La copie à l’aide de procédés géométriques ne relève donc pas de l’activité de compréhension. Les procédés de géométrisation permettent de tracer des patrons plus que des modèles. Des patterns facilitent le tracé des détails des contours plus que la reconnaissance globale des formes. Ces exercices cartographiques aident à la mémorisation. Ils ressemblent, dans une certaine mesure, à des exercices de construction, se différenciant de la simple copie. L'article Calque règle d’ailleurs rapidement et définitivement son compte à l’usage du calque.

[...] le calque n'est jamais un procédé pédagogique ; à supposer qu'il apprenne quelque chose, il n'apprendra qu'à se dispenser de comprendre et presque à se dispenser de bien voir et de bien observer. Telle est la raison générale et toute théorique pour laquelle nous croyons devoir condamner, quelque mérite de détail qu'ils puissent avoir, les procédés de calque calligraphique, géographique et autres.303

Effectivement, le calque est dénoncé comme obstacle à la compréhension, mais, il n’est pas certain que la carte ait cette finalité. Si elle permet de se représenter, de se figurer le terrain, la question de la compréhension ne semble guère se poser, y compris dans les exercices cartographiques. Schrader, comme Buisson, se situent dans une logique générale de pédagogie intuitive ou la perception induit la compréhension. Le rejet de l’apprentissage livresque et des listes d’inventaires que contenaient les anciennes géographies débouche donc sur une série de trois télescopages : tout d’abord, voir la carte ce serait observer le réel visible ; ensuite, percevoir le réel ce serait le comprendre et donc enfin “ savoir sa carte ” ce serait savoir sa géographie.

Paul Dupuy en critiquant les anciennes cartes, administratives ou historiques, mal dessinées et en associant la pédagogie moderne aux cartes du relief figurés en courbes de niveau est caractéristique de cette association entre la pédagogie nouvelle et l’usage de cartes du relief :

J’ai en commençant, rappelé l’article 4 de l’arrêté du 3 août 1881 sur le travail dans les écoles normales primaires. On a au aussi l’ambition de proscrire de l’école primaire, autant que cela est possible, les procédés propres à encourager le travail machinal et à supprimer l’effort de réflexion pour ne provoquer que l’effort de mémoire. Parmi toutes les matières de l’enseignement il n’y en a pas où les abus de ce genre soient plus criants que la géographie. On a pensé y remédier par l’usage de la méthode intuitive recommandée dans les programmes allemands ; malheureusement la géographie ne peut être entièrement fondée sur des leçons de choses, et la méthode intuitive ne lui a pas profité. Elle a paralysé l’imagination des maîtres et des élèves ; elle a donné une place exagéré aux cartes et les a confondus avec les plans. Une application avant la lettre de cette méthode avait conduit à des représentations arbitraires : ces représentations sont maintenues, si bien qu’on a continué à étudier exclusivement le dessin des cartes sur des cartes mal dessinées.

Mais en même temps les hautes études géographiques apportaient en se développant des idées pédagogiques nouvelles ; elles se fondaient sur l’étude raisonnée de la surface de la terre celle de toutes les manifestations de la vie qui se rapportent à sa surface ; elles introduisaient dans la cartographie l’usage des reliefs et surtout des courbes de niveau.

(Paul Dupuy.)304

303 Article non signé probablement rédigé par Guillaume, proche collaborateur de Buisson.

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