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Dictionnaire de Ferdinand Buisson

1. Le tournant cartographique de la géographie scolaire

1.1. Schrader : une cartographie du relief, de l’hydrographie et des limites administratives

L’iconographie de l’article Cartographie exprime les conceptions de Franz Schrader284, la cartographie a une double fonction, figurer la Terre et figurer le visible (nous soulignons en caractères gras).

[…] L’art de la cartographie se divise en deux parties bien distinctes une partie géométrique, et une partie à la fois géométrique et artistique. La première consiste à diviser la surface de la carte en sections d’une valeur déterminée, mesurables, comparables entre elles, sans s’occuper d’abord de ce qui viendra s’y dessiner : c’est la projection. La seconde consiste à reporter sur cette projection, sur ce canevas, les différents objets qui se trouvent sur le terrain à représenter, en leur donnant respectivement la place qu’ils occupent sur un autre réseau idéal, qu’on imagine et qu’on mesure à la surface de la terre ; puis à reproduire le détail, les formes, la nature des objets, de façon que l’œil du spectateur conçoive le relief du sol, le cours des fleuves, la disposition des chemins ou des lieux habités, avec autant de certitude que s’il avait sous les yeux l’image réduite et sculptée. Cette partie de l’art cartographique est le dessin

géographique ou le figuré du terrain. […]

(F. Schrader.)285 Cet article donne à voir tout d’abord une série de schémas de systèmes de projection : orthographique, stéréographique, plane, conique, polaire et selon Mercator. Plus loin, pour illustrer le dessin géographique du figuré de terrain, il juxtapose trois extraits de carte du relief au 1/50 000. Le même espace montagnard est figuré successivement, avec des hachures et un éclairage en lumière oblique, puis avec des hachures et un éclairage en lumière zénithale et enfin en courbes de

283 LEVASSEUR, E., 1868, Petite géographie de la France et de ses colonies. Paris : Delagrave, 49p.

FONCIN, P., 1875, La géographie, Année préparatoire. Paris : A. Colin, 24p. (ouvrage médaillé de bronze à l’exposition universelle de 1878).

FONCIN, P., 1875, La Première année de géographie,1ère édition. Paris : A. Colin, 48p.

284 Franz Schrader. Auteur des articles Cartographie, (1878), DP2, long de 15 colonnes ; Géographie, (1882), DP1, 37 col. ; Globes, (1882), DP1, 0,5 col. ; Cartographie (1911), NDP, 20 col. ; Géographie, (1911), NDP, 20 col. ; Globes, (1911), NDP, 0,5 col.

Géographe, né à Bordeaux en 1844 dans une famille de commerçants et enterré à Gavarnie en 1924. Son père est membre de la Société de Géographie commerciale à Bordeaux créée et animée par P. Foncin en 1874. Autodidacte, passionné des Pyrénées, auteur d’un ingénieux système de levés topographiques : “ l’orographe ”, directeur des travaux cartographiques de la Librairie Hachette et Cie, où il est entré en 1877. Lointain cousin des frères Reclus, politiquement plus conformiste qu’Élisée Reclus, il est chargé de 1877 à 1879 de la section Géographie du journal de Gambetta, La République française. Il rédige l’article “ Adolphe Joanne ” dans l’Annuaire du club alpin français (1881). Pyrénéiste passionné (A quoi tient la beauté des montagnes, 1897), il y exerce ses talents d'aquarelliste et de topographe depuis 1866. Membre du Club alpin, président de 1901 à 1904, il donne une impulsion aux caravanes scolaires et donne à cet organisme sa devise “ Par la montagne, pour la patrie ” et fonde en 1903 la commission topographique du C.A.F. . Auteur de nombreux manuels scolaires de géographie. Il publie chez Hachette en collaboration avec Henry Lemonnier (professeur à la faculté des lettres de Paris et à l’École des Beaux-Arts). Il est responsable du bureau de cartographie de la maison Hachette créée en 1880. De 1894 à 1916, il rédige aussi des manuels pour l'enseignement secondaire avec Louis Gallouédec (Inspecteur Général de l’Instruction publique) et Marcel Dubois (professeur de géographie coloniale à la Sorbonne). Ce sont les premières collections à publier des cartes en couleur de format lisible à l’intérieur des ouvrages.

niveau. Il est rédigé au moment où le corps des officiers demande de nombreuses révisions de la carte au 1/80 000 en hachures, chantier qui ne sera achevé qu’en 1891. Il faut aussi signaler que le Dépôt de la guerre réalisa en 1872 des éditions polychromes au 1/80 000 des Alpes avec figuration en courbes de niveau du relief286. Mais c’est le premier mode de figuration, en hachures avec éclairage oblique, que Franz Schrader trouve le plus suggestif. Ceci explique les modes de figuré des deux autres cartes qui illustrent son article. Comme il l’indique, il s’agit de deux cartes retenues pour leur suggestion du relief, l’Europe et l’Amérique du Nord à vol d’oiseau extraites de l’atlas de Swinton, Complete course in geography :

On s’est encore efforcé de faire sentir la forme des reliefs terrestres par des teintes réparties à la surface des continents, non plus suivant un système arrêté à l’avance, mais d’après l’instinct du dessinateur et le sentiment pittoresque. Les deux cartes ci-jointes, extraites du Rapport sur l’instruction primaire à l’exposition de Philadelphie, donnent une idée de ce genre de cartes, assez en faveur aux États-Unis.

(F. Schrader.)287 En effet pour lui, la carte permet à l’élève de “ voir ” le monde, de la regarder comme l’image de la terre :

Et combien la géographie en deviendra plus attrayante ! Combien l'élève apprendra avec plus de joie et d'entrain quand au lieu de voir dans la carte l'image d'une terre vague et imaginaire, il y sentira le portrait et la ressemblance de la terre sur laquelle il marche, du fleuve au bord duquel il se promène, de la montagne qui se dresse à l'horizon. [...] Mais il faudra surtout le faire voyager sur les cartes à grande échelle qui représentent la commune natale, le canton voisin, le ruisseau qu’il traverse pour venir à l’école.

(F. Schrader.)288

Schrader termine ce long article en évoquant les “reliefs”, entendons par là les blocs en relief. Cette préoccupation souligne à nouveau l’importance majeure de la figuration et de la perception du relief par rapport aux autres informations apportées par la carte :

Mais pourquoi n'essaierait-on pas d'en faire construire par les enfants eux-mêmes ? Leur esprit et leurs mains ne demandent qu'à s'occuper, la terre et l'eau ne sont pas rares, il y a là de quoi fabriquer des montagnes, des gorges, des plateaux, des lacs, des îles, des détroits, des canaux ; non point au hasard, mais sur un plan qu'il serait aisé de leur indiquer et sous la direction du maître qui prendrait autant de plaisir que ses élèves à cette géographie en action. Rien ne pourrait donner aux enfants une interprétation plus nette et une image plus ineffaçable de ce que représentent les cartes géographiques. Peut-être aussi des promenades en commun avec la carte du pays sous les yeux seraient-elles un puissant moyen de leur inspirer le goût de la géographie ; mais c'est à ce mot que des questions semblables devront être traitées, nous ne pouvons que les indiquer ici.

(F. Schrader.)289 En fait cette dernière partie de l’article Cartographie forme un autre article intitulé

Cartographiques (Exercices) probablement rédigé par l’équipe de rédaction animée par Buisson,

ceci étant annoncé plus précisément dans l'édition de 1911. Les auteurs présentent tout d'abord les “reliefs ”, puis les cartes murales, et les Atlas scolaires. L’article propose des renvois aux articles

Globes et Topographie et décrit l'intérêt des cartes muettes scolaires apparues en France en 1832. Il

se conclut en montrant la dimension pratique de ces apprentissages, trait caractéristique des enseignements de l'école primaire :

[...] il y en a deux au moins que tout Français doit savoir lire : l'une est le plan cadastral, l'autre la carte de l'état-major.” Pour ce dernier exercice “On aura besoin de plus de temps et de soin pour arriver à une lecture courante.”

286 ALINHAC. G., 1986, Historique de la cartographie, IGN, Ecole Nationale des Sciences Géographiques, 168p.

287 F. Schrader, article Cartographie.

288 F. Schrader, article Cartographie.

[…] Un maître habile variera de mille manières les exercices propres à atteindre ce résultat : tantôt il donnera à un élève un voyage à faire sur la carte de tel lieu à tel autre en lui demandant de décrire la route comme s'il y était en réalité, de dire le temps qu'il met pour aller de tel village à tel autre, quels accidents de terrain il rencontre, quels cours d'eau il traverse, quand la route monte, quand elle descend, si elle est bordée de champs, de bois, de fermes, etc. Tantôt ce sera une promenade réelle, faite la carte et la boussole à la main, et servant soit à constater l'exactitude minutieuse de la carte, soit à faire découvrir par les élèves eux-mêmes une modification survenue depuis que la carte a été dressée, établissement, d'un chemin de fer, d'une usine, d'un chemin vicinal, etc.

(P. Moëssard.)290

Cet article n’est pas repris dans l’édition de 1911, probablement parce que trop technique dans ses développements. Son auteur, Paul Moëssard, ingénieur topographe, y exprime une véritable passion pour la carte topographique. Il justifie explicitement les finalités militaires de la lecture de la carte d'état-major, il reprend, lui aussi, l'idée que la méconnaissance des cartes expliquerait la défaite de 1870. Avec ses objectifs ambitieux, il semble renvoyer plus à des exercices destinés aux élèves des écoles normales d’instituteurs qu’à ceux réalisables dans les classes élémentaires ou supérieures de l’enseignement primaire. Dans leur rapport de 1871, Levasseur et Himly recommandaient d’ailleurs l’apprentissage de la lecture des cartes topographiques pour les écoles normales et non pour les écoles communales :

ENSEIGNEMENT DANS LES ÉCOLES NORMALES

[…]16° Habituer les élèves à lire couramment une carte topographique, et, pour cela, faire, à l’aide de la carte d’état-major, des promenades dont ils devront rendre compte (d’après la proposition de M. Ziegler). (Levasseur et Himly.)291

Parmi les programmes scolaires publiés à la fin l’article Géographie de la 2ème partie du

Dictionnaire, seul celui de la Belgique fait référence de façon précise à ce type de cartes :“ Lecture d’une série graduée de planchettes relatives au territoire communal (planchette du Dépôt de la guerre spécialement préparées pour l’enseignement secondaire) ” au second degré du primaire et “ Exercices sur les planchettes du Dépôt de la guerre ”292 au troisième degré de l’enseignement primaire belge.

Si cet apprentissage de la lecture de carte topographique est de la première importance pour Schrader ; la confection de “reliefs” et les sorties cartes en main peuvent contribuer à en comprendre les figurés. Pourtant, que l’on prenne les cartes présentes dans le Dictionnaire ou que l’on analyse les activités scolaires proposées par les différents auteurs, deux thèmes seulement d’information apparaissent : les limites administratives et la géographie physique, réduite au relief et à l’hydrographie. Les cartes administratives sont dans la tradition de la géographie inventaire, les cartes de géographie physique se situent dans le contexte de l’émergence de la nouvelle géographie scientifique. Mais, comme nous le verrons plus loin, l’absence de carte thématique de population et d’activités s’explique autant par les options pédagogiques de l’équipe de Ferdinand Buisson que par les pratiques cartographiques à la fin du XIXe siècle que Gilles Palsky a analysées293. Notons que les articles Globe et Géographie de Franz Schrader294 mettent l’accent sur le caractère « suggestif » de la carte. Il semble que ce soit principalement cette vertu qui importe à Ferdinand Buisson et à ses collaborateurs.

290 P. Moëssard, article Topographie.

291 Himly et Levasseur, 1871, op. cit., p.42.

292 DP2 p.860-861.

293 PALSKY, G., 1996, Des chiffres et des cartes. Naissance et développement de la cartographie quantitative française au XIXe siècle, Paris : Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, CTHS, 332p.

L’ensemble de ces articles combinés avec les programmes scolaires présentés en fin de l’article géographie de la 2ème partie, concourent à définir une pédagogie de la carte différenciée suivant trois échelles : locale, régionale et nationale, et enfin mondiale. L’échelle locale étant plus souvent implicitement celle de la carte topographique que celle du département.

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