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Les départements regroupés par régions naturelles dans la Première année de géographie de Pierre Foncin après 1885

Le Rhône et ses

Carte 5 Les départements regroupés par régions naturelles dans la Première année de géographie de Pierre Foncin après 1885

2.5. Archaïsme et modernité de la géographie à l’école primaire dans les années 1860-1880

Cette comparaison entre les cartes de la Première année de géographie de Pierre Foncin avant et après 1885 montre un enrichissement des informations des cartes de grandes régions présentant des ensembles de départements. Les informations nouvelles concernent les villes. À l’inverse les limites de bassins hydrographiques sont fortement estompées.

Mais, dans l’ensemble, l’impression qui domine est celle d’une grande permanence dans le découpage (tableaux 13). Certes, les limites des bassins hydrographiques s’estompent, mais les nouvelles régions naturelles s’organisent dans un cadre voisin. Cette continuité est assurée par une double numérotation des pages de la nouvelle édition. Elle permet d’utiliser conjointement les deux ouvrages dans une même classe. La rupture épistémologique des bassins aux régions naturelles compose donc avec les problèmes matériels des maîtres utilisateurs de ces manuels. Ces enseignants que Pierre Foncin s’efforce de convaincre du bien fondé de ce changement avec texte introductif intitulé « Pourquoi la division de la France en bassins doit être proscrite de

l’Enseignement. » ne voient pas vraiment de différence puisqu’ils peuvent continuer à appuyer

leur enseignement sur les cartes des départements regroupés par bassin.

Ainsi, dans le cadre du découpage de la France en 4 cartes, l’impression qui prédomine est celle d’une permanence des grands découpages481.

Une autre comparaison est possible, entre les découpes de Foncin et celles proposées par Vidal de La Blache. En 1888 Vidal écrit dans le Bulletin Littéraire, une revue destinée tout à la fois à l’enseignement secondaire spécial, à l’enseignement secondaire de jeunes filles et à l’enseignement primaire supérieur. Il y publie un article sur les divisions fondamentales du sol français482. Vidal y récuse la description dans le cadre de circonscriptions administratives, en particulier dans celui des départements. Il rejette aussi le découpage par bassins et propose une division régionale fondée à la fois sur l’observation et les connaissances des habitants, mais qui confère un rôle important à la géologie. Avec ces principes, il retient 5 divisions fondamentales qui s’appuient sur des « divisions géologiques » et qui « se justifient aussi par des

raisons tirées de l’aspect du sol, du caractère de la végétation, du groupement des habitants, c’est à dire d’ordre essentiellement géographique »483. Ces grandes régions sont : le Bassin de Paris, le Plateau central, l’Ouest, le Midi et la vallée du Rhône et de la Saône. À côté de ces grandes divisions, Vidal évoque très rapidement l’existence de groupes régionaux « périphériques », « comme des glacis le long des frontières ». On pense alors aux Pyrénées, à la Corse, aux Alpes, au Jura et aux Vosges qui ne sont pas cités dans le cadre de ces cinq « divisions fondamentales ». Si l’on se rapporte au livre de géographie de Foncin de 1886, on note à première vue une forte similitude. La grande région du Bassin de Paris, Morvan compris, proposée par Vidal, ressemble fort à l’espace des départements du Nord et du Nord-est qui est le découpage proposé par Foncin. Une différence notable concerne la partie du bassin de Paris relevant de l’espace ligérien. En effet, et ceci souligne la prégnance des découpages hérités des bassins, Foncin incorpore les Plaines de

481 Carte 4 : Les départements regroupés par régions naturelles dans la Première année de Géographie de Pierre Foncin après 1885.

482 VIDAL DE LA BLACHE, P. (signé VIDAL-LABLACHE), 1888, « Des divisions fondamentales du sol français », Bulletin littéraire, Journal de l’Enseignement secondaire spécial, de l’Enseignement secondaire de Jeunes Filles, de l’Enseignement des langues vivantes, de l’Enseignement primaire supérieur. Paris : Armand Colin, n°1, p.1-7, n°2, p.49-57.

la Loire (du département du Cher à celui de l’Indre-et-Loire) dans le cadre des départements de l’Ouest (tableau 13B).

À cette exception près, l’ensemble des « départements de l’Ouest » de Foncin correspond globalement à la grande région Ouest de Vidal. Par contre, Foncin ne promeut pas le Massif central au rang de division de rang 1 à la différence de Vidal qui en fait alors une division « fondamentale » du sol français.

Le traitement de la Loire moyenne dans un cadre différent du bassin de Paris drainé par la Seine est chez Foncin un héritage des bassins. On peut aussi voir chez Vidal en 1888 l’influence des bassins hydrographiques, quand il fait de la vallée du Rhône et de la Saône, depuis le plateau de Langres jusqu’aux rives de la Méditerranée, une de ses grandes divisions de l’espace français. En 1888, Vidal ne propose pas encore les découpages principaux du Tableau de la géographie de

la France484. Mais plus que les découpes des régions, ce qui distingue surtout Foncin de Vidal, c’est le choix maintenu jusqu’en 1910 par Foncin de respecter le cadre des départements pour son découpage régional de la France. Dès 1888 Vidal remettait explicitement en cause tout à la fois le cadre des départements, celui des bassins et celui trop étroit des pays pour conduire une description géographique de la France485. Néanmoins, en 1917, dans la notice nécrologique qu’il rédige dans les Annales en l’honneur de Foncin, il se montre très compréhensif avec les découpages des petites géographies de Foncin :

Dans des ouvrages s’adressant aux enfants de nos écoles primaires, les divisions administratives étaient imposées par les nécessités pratiques, mais le livre cherche désormais à les envisager géographiquement. Les départements sont groupés, suivant leurs analogies, en régions naturelles, et présentés ainsi de façon rationnelle, à l’écolier. Voilà, en substance, les traits par lesquelles la personnalité de FONCIN s’est imprimée dans ces Géogaphies-atlas, et qui en fait le mérite durable. On sait quel succès ont obtenu et gardent encore ces publications d’exécutions soignée, clairement disposées et judicieusement illustrées, qui présentaient pour la premières fois un aspect attrayant autant qu’instructif.

(Vidal de la Blache.)486

Et Vidal de poursuivre en insistant sur l’intérêt personnel de Foncin pour les régions naturelles, peut-être parce que ceci n’est pas évident à la lecture des différentes Années de géographie rédigées par Foncin :

Cette notion de régions naturelles a profondément préoccupé FONCIN. Elle hantait son esprit et ses voyages périodiques auxquels ses fonctions d’inspecteur général l’obligeaient dans les diverses parties de la France. Son esprit d’observation se nourrissait de la variété des pays qui passaient sous ses yeux. Il voyait, il interrogeait, et cherchait à saisir partout ce qui peut subsister d’individualité régionale dans cet ensemble qu’une centralisation excessive tend à confondre sous une teinte uniforme.

(Vidal de la Blache.)487

La méthode suivie par Foncin lui permet, par contre, d’accorder dans son livre une place relativement comparable à chacune des régions qu’il découpe, à l’inverse Vidal s’intéresse plus au

484 VIDAL DE LA BLACHE, P., 1903, Tableau de la géographie de la France. Paris : Hachette. 395p. (rééditions : 1969, Paris : Taillandier, 1995, Paris : La Table Ronde).

485 VIDAL DE LA BLACHE, 1888, op. cit.

486 VIDAL DE LA BLACHE, P., 1917, « P. Foncin », Annales de géographie, XXXVI, p.68.

Nord-est qu’au Sud-ouest de la France et porte une attention très inégale à chacune des grandes régions qu’il définit.488

La géographie pour l’école primaire se constitue sous forme de discipline scolaire à partir de textes réglementaires ou législatifs publiés principalement entre 1850 et 1882. Le Dictionnaire de

pédagogie de Ferdinand Buisson, l’ouvrage de référence de l’école primaire, est publié pour

l’essentiel entre 1878 et 1881. Les nouveautés, tels l’abandon du découpage par bassins, inspiré de Buache et l’approche régionale de Vidal de La Blache ne percolent que lentement par la suite. La structure des premières monographies géographiques du Dictionnaire se retrouve à l’identique dans les leçons de géographie pour l’école primaire telles que Pierre Foncin les proposent dans ses manuels scolaires (tableau 12). Les plans des ouvrages scolaires sont plus proches de ceux des monographies de Meissas ou Oger (tableau 9) que de ceux des contributions atypiques, telle celle d’Élisée Reclus.

Au moment où la géographie se condense en tant que discipline scolaire, les relations entre les géographies de référence et la géographie scolaire sont ainsi soulignées. Ces liens concernent non seulement la géographie universitaire, essentiellement historique à cette époque, mais aussi les relations avec la géographie appliquée et la géographie grand public, telles qu’elles fonctionnent alors au sein des sociétés de géographie.

Cette géographie conserve des traits plutôt anciens. Le suivi du réseau hydrographique, des affluents et des sous-affluents reste l’armature première de l’espace géographique. La description

des contrées se fait au fil des fleuves. Au début du XXe siècle le cadre des départements apparaît dans les Petites géographies de Foncin comme une subdivision des régions naturelles, comme il était avant 1885 une sous-partie des découpages par bassin. Ainsi il y a une forte prégnance du

découpage spatial par entités administratives, celles qui servaient à inventorier le monde dans les

géographies du début du XIXe.

En même temps, le mode descriptif en géographie s’institutionnalise alors autour d’un discours où

le moment de la géographie physique précède ceux de la géographie économique et administrative et ce bien avant le développement de la géographie physique à l’Université. Il y a

succession de ces deux approches mais pour les contemporains ceci exprime l’unité d’une nouvelle géographie où la place de la nature prime sur les découpages administratifs. La description géographique est de plus en plus explicative. Cette géographie pour l’école primaire semble, aussi, précocement moderne par la part quantitativement importante qu’elle accorde à la géographie

économique et aux dimensions pratiques, y compris quand il s’agit de présenter l’ennemi,

l’Allemagne.

La troisième originalité de la géographie de l’école primaire, on va le voir, elle aussi empreinte de contradictions, relève du domaine des méthodes de son enseignement. En ce domaine aussi Ferdinand Buisson et ses collaborateurs se posent en théoriciens et en vulgarisateurs.

488 LOI, D., 2000, « Découpage du sujet et valorisation des lieux : l’espace du tableau de la géographie de la France », Le Tableau de la géographie de la France de Paul Vidal de La Blache. Dans le labyrinthe des formes, M.- C. Robic (dir.) Paris : CTHS, p.33-57.

Chapitre 5.

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