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Plans à tiroirs et tableaux spécifiques. Descriptions monographiques du Dictionnaire

1. Parcours descriptifs et logiques explicatives des articles monographiques du

1.1. Afrique et Algérie : la géographie au service de la colonisation

Ces deux monographies, toutes deux rédigées par Gaston Meissas, apparaissent très semblables dans l’éclairage qu’elles portent sur ces terres qui apparaissent comme vouées à la colonisation européenne. Il est vrai que les schémas explicatifs qui justifient cette entreprise coloniale sont d’une très grande simplicité.

L’article Afrique propose tout d’abord une présentation de la configuration de l’ensemble du continent africain. Ensuite, malgré une erreur de titrage, la deuxième partie décline tour à tour, les zones climatiques, le relief et l’hydrographie. Ceci représente au total un cinquième de l’article (tableau 3).

Le corps du développement est constitué par une approche par grandes régions. Leur découpage relève pour partie de la géographie des bassins (bassin du Nil, bassin du Congo…), mais n’est pas esclave de ce principe de partition de l’espace (Sahara, Afrique australe…). Le parcours descriptif nous conduit tout d’abord des rives de la Méditerranée au golfe de Guinée, puis de l’Égypte au Cap de Bonne espérance ; pour finir par les îles de l’océan indien. Cette approche par vaste région est le cœur de l’article, elle en constitue un peu plus de 60 % (tableau 3). Ici s’insère une carte des expéditions des explorateurs dans l’Afrique sub-saharienne.

Vient enfin une présentation assez rapide (11 % de l’article) des populations, qui s’intéresse plus longuement aux populations venues d’ailleurs, Arabes et Européens. Il faut dire que l’approche régionale antérieure a déjà donné des informations et des jugements de valeur sur les différents peuples. Le sens de cette approche géographique de l’Afrique est clairement explicité dans la conclusion tournée vers « l’avenir de l’Afrique » : « On peut dire que si l’Afrique est la dernière

partie du monde initiée aux bienfaits de la civilisation, elle est appelée néanmoins à en être une des plus prospères. » La géographie de l’école de Ferdinand Buisson est en harmonie avec celle de

Tableau 3. Le plan descriptif de l’article Afrique. Afrique Nombre de mots % de mots au sein de la monographie géographique chapeau 57 1,0%

1. Situation, limites, formes, superficie et population 313 5,6%

2. Climat

Orographie, hydrographie 858 15,3%

3. Contrées et peuples de l'Afrique

région méditerranéenne 499 8,9%

Sahara 180 3,2%

Soudan 53 0,9%

région atlantique 350 6,2%

bassin du Nil 459 8,2%

Carte de l’Afrique (explorations)

Région des grands lacs 395 7,0%

bassin du Congo 183 3,3%

région de la mer des Indes 509 9,1%

Afrique Australe 363 6,5%

Iles africaines 395 7,0%

4. Races de l'Afrique

Races indigènes 257 4,6%

Races venues du dehors 378 6,7%

5. Conclusion

Avenir de l'Afrique 354 6,3%

total de la monographie géographique 5603 100,0%

Modèles d'exercices

Dessin de la carte 21

Questions géographiques 827

Problèmes géographiques 350

total de l'article 6801

Pour Gaston Meissas l’Afrique du Nord est présentée comme un pays de cocagne qui attend ses défricheurs, même le Sahara peut être accueillant avec ses oasis luxuriantes :

D'un bout à l'autre, elle offre trois régions distinctes, parallèles à la Méditerranée : au nord, le Tell, le pays des céréales, d'autant plus fertile qu'il est plus arrosé ; au milieu, les hauts plateaux couverts de pâturages, pouvant en grande partie être défrichés, jouissant au surplus, grâce à leur altitude, d'un climat moins énervant que le Tell ; au sud, enfin, le Sahara brûlé par l'ardeur du soleil, mais couvert de la plus belle végétation dès que la source y fait jaillir de l'eau. C'est le pays des dattes par excellence, dans les oasis.

(G. Meissas.)372

Tout cela est fort simple à expliquer et relève d’une causalité restreinte, simple, monolinéaire. Les richesses du pays appellent la colonisation :

Côte de Guinée. — Toute la côte de Guinée n'offre pas de conditions plus favorables aux Européens. Pas de ports pour les navires, une côte basse, sablonneuse, assaillie par des lames gigantesques, que les naturels seuls ont l'habileté de franchir sur leurs légères embarcations ; et derrière cette côte, des lagunes, qui forment un rempart de plus aux pays de l'intérieur. Mais ce pays renferme trop de riches produits pour échapper à l'activité des trafiquants anglais, français, portugais, allemands.

(G. Meissas.)373

En Afrique centrale et australe, les Européens pourraient conduire de gigantesques travaux de mise en valeur, à l’instar des canaux transocéaniques de Suez ou de Panama. C’est du moins la perspective proposée par Meissas :

Le Zambèze — Aucune élévation importante ne sépare le bassin du Congo de celui du Zambèze. On peut donc entrevoir le moment où, grâce à la colonisation de ce pays par les Européens, un canal navigable pourrait conduire des eaux de l'Atlantique dans celles de la mer des Indes.

(G. Meissas.)374 Toutes les initiatives coloniales des Européens sont présentées comme bénéfiques pour les peuples noirs « grossiers ». Elles sont préférables à celles que les Arabes ont entreprises en Afrique :

Ces populations nègres, au naturel craintif, à l’esprit si inerte qu'ils n'ont rien su créer par eux-mêmes, ni se soustraire au despotisme sanguinaire et abrutissant de leurs chefs, ni aux superstitions grossières du fétichisme, ont cédé nécessairement à la domination de cette race [les Arabes] relativement supérieure, qui n'a reculé devant aucun moyen pour s'assurer l'empire de ce riche pays.

(G. Meissas.)375 Gaston Meissas conclut donc explicitement et sans surprise son article Afrique par une justification de la colonisation qui fera de l’Afrique une des contrées les plus prospères de la Terre. La géographie est ici à la fois discipline pratique et discipline idéologique :

Les peuplades africaines n'ont qu'à gagner, en échappant au despotisme barbare de leurs potentats, à être initiées à la morale chrétienne, délivrées de cette chasse aux esclaves qui menace constamment leur liberté, et leur met sans cesse les armes à la main les unes contre les autres, utilisées enfin dans des exploitations intelligentes qui mettraient en valeur leur sol merveilleux. Combien de richesses gisent encore inexploitées dans ce beau pays. Une grande partie en est sans doute encore ignorée. Mais rappelons que le coton, l'indigo, les céréales y réussissent parfaitement. Le café en est originaire. Le monde entier s'y fournit d'ivoire. La laine de l'Afrique australe, la poudre d'or, les arachides, les huiles de palme et de cocotier, et les gommes constituent les principaux objets d’échange avec les navigateurs européens. Les forêts des zones tropicales sont remplies d'oiseaux à la parure éclatante, et pour ne pas détruire entièrement les autruches que l'on était menacé de voir disparaître en les chassant trop dans les déserts, on s'est mis à les domestiquer et les élever dans la colonie du Cap. On a trouvé du charbon de terre le long du Zambèze. Le fer et le cuivre sont assez répandus pour que les indigènes eux-mêmes sachent les fondre et les travaillent pour s'en fabriquer des armes et des ornements. On peut dire que si l'Afrique est la dernière partie du monde initiée aux bienfaits de la civilisation, elle est appelée néanmoins à en être une des plus prospères.

(G. Meissas.)376 373 Afrique, ibidem, p. 42. 374 Afrique, ibidem, p. 43. 375 Afrique, ibidem, p. 44. 376 Afrique, ibidem, p. 44.

L’approche de l’Algérie est fort semblable dans la démarche (tableau 4a). L’Algérie est une nouvelle France à construire. L’enchaînement des parties est construit dans la logique de la colonisation : tout d’abord Meissas présente l’intérêt de l’Algérie, puis les moyens pour y accéder, puis le climat propice à l’établissement des Européens et les premiers succès de la colonisation. Puis, en guise de lecture historique et éducative, viennent en fin d’article des descriptions des hauts faits militaires de la conquête.

Tableau 4a. Le plan descriptif de l’article Algérie

Algérie 1. Géographie générale. Nombre de mots % de mots au sein de la monographie géographique

Importance de cette colonie 105 3,5%

Trajet de France en Algérie 108 3,6%

Climat de l’Algérie en général 257 8,6%

Limites et grandes régions de l’Algérie.

Aspect du littoral. Le Tell 292 9,8%

Les hauts plateaux 291 9,7%

Régime des eaux

Rivières de l’Algérie et chotts 239 8,0%

Le Sahara 309 10,3%

Forêts de l’Algérie 143 4,8%

Carte de l’Algérie

Richesses minérales 122 4,1%

Industrie 62 2,1%

Commerce extérieur, importations et exportations 159 5,3%

Races peuplant l’Algérie 389 13,0%

Colonisation 76 2,5%

Chemins de fer 205 6,8%

Administration 202 6,7%

Ouvrages à consulter 34 1,1%

Total de la partie géographie 2993 100,0%

2. Histoire de l’Algérie (Maurice Wahl) 3. Lectures et Dictées Mazagran

La casquette Prise de Constantine

Ainsi, tout l’enjeu de la colonisation est formulé dès le préambule introductif. Tout le texte est construit comme une démonstration en faveur de la colonisation de l’Algérie par les Français :

Importance de cette colonie. - Parmi toutes nos colonies, l'Algérie occupe le premier rang, non seulement à cause de la proximité où elle se trouve de la France, et du grand nombre d'européens qui s'y établissent et s'y multiplient de plus en plus, mais aussi à cause de l'importance des ressources qu'offre ce pays et du trafic qu'il entretient avec la métropole et plusieurs des pays voisins. Le souvenir si récent des luttes qui ont signalé notre conquête répand un intérêt de plus sur cette terre, arrosée du sang de nos soldats avant d’être féconde par la sueur de nos colons.377

[…] Ce n'est donc pas sans raison que l'on appelle souvent l'Algérie une Nouvelle-France. […] Le séjour d'Alger est particulièrement recommandé aux phtisiques et n'a d'égal, pour leur guérison, que celui de Madère. […] Le climat de cette côte est donc des plus bienfaisants […]378

(G. Meissas.) Les Français vainqueurs viennent apporter le progrès. Après les rudes affrontements de la conquête, ils sont (parfois) bien acceptés si l’on suit ce qu’écrit Meissas dans le Dictionnaire :

Les surprises de la nation vaincue ne sont plus à redouter […].379

Aussi les indigènes, qui, depuis longtemps du reste, creusaient des puits, accueillent-ils avec une extrême reconnaissance les équipes de nos ouvriers plus habiles qui sont constamment à l'œuvre dans le sud du département de Constantine. 380

L'Algérie possède encore de superbes forêts, des chênes-lièges dans le département de Constantine, des bois d’ébénisterie, comme le cèdre et le thuya, ou de construction, comme le pin d'Alep, dans la province d'Alger. Mais l'incurie et la malveillance, en ont détruit de grandes étendues, et c'est un des grands soucis de l'administration française que de porter remède à ce fléau, dont les conséquences, semblables des deux côtés de la Méditerranée, font ébouler les flancs de l'Atlas comme ceux des Alpes ou des Cévennes. 381

(G. Meissas.) Les indigènes ne forment, d’ailleurs, pas une communauté homogène. Gaston Meissas oppose, comme souvent , Kabyles « laborieux », Arabes « fanatiques » et Juifs « utiles intermédiaires » :

La grande Kabylie n'a été soumise à nos armes qu'en 1857. Ces Kabyles sont des cultivateurs laborieux, attachés à leur sol natal et à la propriété individuelle, ne partageant pas le fanatisme oriental des Arabes et plus susceptibles que ces derniers de profiter des bienfaits de notre civilisation et de nos arts. Il y a un million de Kabyles environ et presque autant de Berbères croisés de sang arabe. Quant aux Arabes purs, le nombre en va toujours diminuant. Ils ne sont plus que 500 000. Avec leur caractère indolent, rêveur et imprévoyant, avec leur vie nomade qui exige de grands espaces pour nourrir leurs troupeaux, ils ne peuvent soutenir la lutte contre les progrès de la colonisation, ni contre les Berbères, du moment qu'ils ne sont plus les maîtres du pays. Les famines, les épidémies les font périr par milliers.

Les Juifs descendant principalement de ceux que l'inquisition a fait sortir d'Espagne, sont de 30 à 40 000. Bien qu'ils soient méprisés par les Musulmans, la souplesse de caractère que leur donne l'amour du lucre, et la connaissance des diverses langues parlées dans le pays en font d'utiles intermédiaires, qui tiennent dans leurs mains un grand commerce. 382

(G. Meissas.) La vision proposée est optimiste. La mise en valeur de la nouvelle colonie a déjà commencé avec succès. Elle est encore pleine de promesses pour l’avenir :

(Les) vignes dont l'étendue s'accroît rapidement depuis les terribles ravages du phylloxéra en France.383 […] le sol est de qualité suffisante pour qu'en ramenant à la surface une partie des eaux tombées pendant l'hiver, qui s'engouffrent dans des cavités souterraines, on puisse transformer une grande partie des plateaux en terres labourables comme celles du Tell. Dans le département de Constantine, où les pluies sont plus abondantes que dans les deux autres, la transformation est en partie faite, et c'est de ce côté que se portent le plus volontiers les émigrants du nord ou de l'est de la France, qui y trouvent un sol fécond sous un climat approprié à leur tempérament.384

Chaque année on établit de nouveaux barrages à travers les vallées, pour emmagasiner en amont une réserve d'eau qui transforme en terre fertile un sol calciné par la sécheresse. 385

378 Algérie, ibidem, p. 77. 379 Algérie, ibidem, p. 77. 380 Algérie, ibidem, p. 78. 381 Algérie, ibidem, p. 78. 382 Algérie, ibidem, p. 80. 383 Algérie, ibidem, p. 78. 384 Algérie, ibidem, p. 78. 385 Algérie, ibidem, p. 78.

(G. Meissas.) Le processus d’appropriation des terres algériennes par les colons est organisé par l’administration française. Au fur et à mesure de la soumission des indigènes algériens, l’administration militaire est transférée à l’autorité coloniale civile :

Chaque année avec les ressources du budget ou des dons volontaires, comme pour les Alsaciens Lorrains, l'administration crée de nouveaux villages, où elle appelle des cultivateurs européens ou des Africains établis sur d'autres points plus peuplés, en leur concédant des terres, et en leur faisant les avances nécessaires pour les mettre en valeur, après avoir élevé, près d'une source suffisante, les bâtiments rudimentaires de toute commune et ceux qui devront abriter provisoirement les nouveaux arrivants. 386

Les diverses communes sont appelées petit à petit à passer du territoire de commandement dans le territoire civil au fur et à mesure que la colonisation y est suffisamment établie et les indigènes à l’état de soumission. 387

(G. Meissas.) Tout semble ainsi possible dans ce nouvel El dorado, aussi bien la traversée du Sahara en chemin de fer que le retour de l’humidité dans le Sud algérien. Toutes ces transformations apparaissent probables à Gaston Meissas :

L'Algérie commence à se sillonner de chemins de fer.[…]. Les chemins de fer du Sahara pourront […] servir à diminuer le chiffre de notre armée d'occupation qui s'élève encore à 50 ou 60 000 hommes.388

Enfin le sel des chotts et les mines de sel gemme du Sahara algérien offriront de grandes ressources le jour où l'on pourra transporter facilement de grandes quantités de leurs produits jusqu'au Soudan, […]389

(Les) eaux descendaient dans cette vaste dépression du chott Melrir, qui s'étend au sud de Biskra, et dont le niveau, inférieur à celui de la Méditerranée, ainsi que l'a constaté récemment un nivellement de haute précision, permettrait d'y ramener les eaux de la mer et de transformer probablement la région avoisinante en en rendant le climat plus humide. 390

(G. Meissas.) Pratique et idéologique, cette description de l’Algérie coloniale est, sans surprise, cohérente avec la tonalité et le sens de l’article Afrique. La géographie, ça sert à coloniser et les schémas explicatifs sont alors d’une extrême simplicité. La présentation de l’Allemagne échappe par contre à ce simpliste optimisme qui caractérise les articles sur les colonies.

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