• Aucun résultat trouvé

Synthèse: l'individu et ses aspirations au cœur de l'explication

Chapitre 1. Des courants explicatifs de la fécondité à la notion de projet

1.8 Synthèse: l'individu et ses aspirations au cœur de l'explication

Le caractère volontaire de la planification familiale, l'orientation des programmes vers le droit et le bien-être de la personne ainsi que la notion de "parenté responsable", aujourd'hui d'actualité, constituent le socle d'une approche des comportements reproductifs tournée vers l'autonomisation des individus (retour au niveau micro). En plus de l'accessibilité des services de planification familiale et de leurs effets sur les aspirations reproductives, la prise en compte de l'exercice des libertés individuelles est aujourd'hui nécessaire dans toute tentative d'explication de la fécondité. Cette vision rejoint l'approche des capabilités (Sen, 2003) qui met l’accent sur le droit qu'ont les individus de choisir le mode de vie auquel ils aspirent, "la vie qu'ils ont raison de valoriser". Sous cet angle, les programmes de planification familiale devraient avoir pour objet

d'étendre le champ des possibilités en matière des choix reproductifs. Leur rôle serait donc d'accroitre les "libertés substantielles" ou capabilités des personnes, ces "libertés positives" de réaliser ses choix dans la vie, y compris donc dans le domaine de la procréation. Les notions de droit, de liberté et de choix convergent ainsi pour définir ce qui doit être le but ultime de toute intervention en matière de population/développement: le bien-être des individus.

Qu'il s'agisse d'un choix intéressé ou altruiste, libre ou contraint, objectif ou subjectif, rationnel ou conformiste, justifié ou non aux yeux de l'observateur externe, etc., les aspirations individuelles en matière de fécondité constituent le canal qui conduit vers un contrôle effectif et durable des naissances. Que ce soit pour des raisons économiques ou sociales, de sécurité ou d'affection, c'est toujours en se persuadant de leur intérêt à réduire ou à augmenter la taille de leur descendance que les individus contribuent à la baisse ou à la hausse de la fécondité au niveau global. Ce principe est valable pour tous les cadres explicatifs passés en revue plus haut. Du flux intergénérationnel de richesses aux approches macro (développement économique, urbanisation, etc.), en passant par les hypothèses socioculturelles (religion et diffusion des valeurs) et les approches microéconomiques, la baisse de la fécondité se concrétise, in fine, au niveau des individus ou des unités domestiques (pour les approches microéconomiques). De plus, et cela sans exception, les différents cadres théoriques, à une étape ou une autre de leurs chaînes explicatives, font intervenir les notions d'arbitrage et de choix pour expliquer la fécondité. Ce sont donc en amont les aspirations et en aval la demande d'enfants (en nombre et en qualité donnés) de la personne prise dans son entourage (société, couple, famille, ménage, unité domestique, etc.) qui déterminent, pour une grande part, le niveau de fécondité.

Comme matérialisé sur la figure 1.3, ces aspirations et cette "demande d'enfants" sont au cœur du schéma général d'analyse des déterminants de la fécondité proposé par Leridon (2014). Ce schéma illustre bien l'importance des aspirations en matière de fécondité et les présente comme un carrefour des différentes approches thématiques examinées. La demande et le désir d'enfants naissent de la rencontre entre les valeurs sociales et les perceptions individuelles d'une part, et à la croisée des contraintes et des opportunités du contexte d'autre part.

Pour le structuro-fonctionnalisme, l'effet des mutations économiques et sociales attendues passe par une modification de la structure familiale. L'érosion des rapports de dépendance entre les anciens et les cadets, la diminution du contrôle traditionnel sur le mariage et le bouleversement de la structure des rapports de pouvoir entre hommes et femmes, tant d'indices dont parle Locoh (2002b), sont en fait les conséquences de cette métamorphose sociétale. Une des hypothèses est que, à terme, la famille devrait subir une nucléarisation (émotionnelle et économique) qui permettrait une meilleure communication au sein des couples, dorénavant d'un type nouveau. Réunis librement et de manière consensuelle, les conjoints seraient plus solidaires et leur intérêt commun serait tourné vers leur progéniture. Cette dernière est réalisée suivant un projet de famille conjointement défini, de sorte à privilégier la qualité à la

quantité d'enfants. Dans les sillons des opportunités tracés dans cette société en mutation, on arrive ainsi aux arbitrages et aux choix en matière de fécondité.

Figure 1.3 – Place centrale de la "demande d'enfants" dans un schéma général d'analyse des déterminants de la fécondité

Source: Leridon (2014, p. 23) in Leridon (2014, eds)

Un schéma d'analyse des déterminants de la fécondité (adapté de Bulatao et Lee, 1983, vol.1, p.10)

Institutions sociales,

Le rôle des aspirations individuelles en matière de fécondité est beaucoup plus immédiat avec le courant culturaliste fondé sur le changement de mentalités. La diffusion des valeurs "modernes" devrait véhiculer une nouvelle conception de la famille idéale. Selon cette conception, les citadins aspireraient au modèle occidental alors que les ruraux s'inspireraient des citadins. Le modèle de référence serait donc celui de la famille réduite, avec une descendance bien instruite et épanouie. Pour que soit validée cette hypothèse, les individus doivent êtes à mesure de choisir et de planifier la taille de leurs descendances conformément à leurs aspirations de petites familles.

Pour la théorie des flux intergénérationnels de richesses (Caldwell, 1978), l'inversion des "flux de richesses" en défaveur des parents ne s'opère que quand la solidarité et le sentiment de devoir envers la famille étendue seraient affaiblis, au profit d'un intérêt tourné vers la descendance. Piché et Poirrier (1992) précisent que "pour Caldwell, c'est la nucléarisation émotionnelle qui est la cause immédiate de la nucléarisation économique". C'est donc de nouveau une nouvelle forme d'arbitrage (entre les avantages des ascendants et des descendants) qui détermine ou conditionne les choix reproductifs opérés.

Pour les approches féministes, l’instruction et la participation au marché du travail rendent la conciliation avec la maternité plus difficile et accroissent le coût d'opportunité des enfants, ce qui, à travers un arbitrage rationnel conduit à la baisse de la fécondité. Pour les théories socioculturelles, les valeurs, à l'instar de la religion, constituent de facto une entrave au libre arbitre nécessaire pour des choix reproductifs personnalisés. C'est aussi selon ce principe que l'apprentissage social et l'influence sociale opèrent. Finalement, même les programmes de planification familiale, en libérant les aspirations latentes en matière de fécondité, procèdent en partie par une amélioration de la capacité des individus à exprimer ouvertement leurs choix reproductifs et à les traduire en comportements.

Les aspirations individuelles en matière de fécondité constituent donc une porte d'entrée pour comprendre leurs comportements reproductifs. Comment alors appréhender la forte fécondité qui caractérise le Niger à travers les aspirations reproductives? A quels cadres théoriques faut-il faire recours? Telles sont les questions auxquelles le chapitre suivant répond avant de poser des nouvelles questions qui guideront notre investigation (problématique et questions de recherche).

Chapitre 2. Problématique et questions de