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Chapitre 1. Des courants explicatifs de la fécondité à la notion de projet

1.3 Développement macro-économique

Sandron (2013) mentionne de nombreux travaux ayant examiné l'idée selon laquelle le développement socioéconomique va de pair avec une baisse de la fécondité (Shapiro et Gebreselassie, 2008; Garenne, 2008, 2009; Kreider et al, 2009). Même si cette idée semble acceptée par bon nombre de démographes, certains auteurs la considèrent comme fragile (Bongaarts, 2006; Garenne, 2009). En effet, les mécanismes à travers lesquels les conditions économiques affectent la fécondité varient selon les contextes, ce qui entrave une généralisation de la nature de cette relation. Il faut ajouter que dans certains pays comme la France, la fécondité a baissé avant même la révolution industrielle. Peut-on donc attendre que la baisse de celle-ci soit précédée partout par l'industrialisation ou plus généralement par le développement

économique? Répondre par l'affirmatif remettrait en cause les efforts actuellement en cours pour faire baisser la fécondité en Afrique.

Rappelons une fois de plus que des pays au même niveau de développement économique ne sont pas forcément au même stade de la transition de la fécondité (Coale, 1973). A cette remarque, s'ajoute aujourd'hui dans les pays en développement l'expansion des programmes de planification familiale qui rendent davantage difficile l'isolement de l'effet intrinsèque du développement économique.

Bongaarts (2012) établit une relation entre le nombre d'enfants désirés et certaines variables proxy du niveau de développement social et économique (scolarisation de la femme, mortalité infanto-juvénile, Produit National Brut par habitant). Le nombre d'enfants désirés s'est avéré faible dans les pays où la mortalité est faible et la scolarisation de la femme élevée. Par contre, il n'observe pas de lien significatif entre le Produit National Brut par habitant et le désir d'enfants. Cela implique la possibilité d'une réduction de la fécondité via une meilleure éducation et une baisse de la mortalité, indépendamment des niveaux de revenu des ménages.

Garenne (2012) arrive à une conclusion similaire lorsqu'il examine les facteurs de la tendance de la fécondité en Afrique. Il montre que le revenu par tête n'a qu'un impact très limité sur la l'évolution de la fécondité. Pour lui, la gratuité ou le faible prix des produits contraceptifs expliquerait ce faible lien entre les conditions économiques et la pratique contraceptive, et donc la fécondité. On retrouve la notion de l'effet "perturbateur" des programmes de planification familiale. Soulignons que les conclusions de Bongaarts (2012) et Garenne (2012) sont établies à des niveaux agrégés. Il peut en être autrement lorsqu'il s'agit d'expliquer la diversité des comportements reproductifs des individus selon leur niveau de vie ou celui de leur ménage.

Il reste une double question: celle de l'effet d'une détérioration des conditions économiques sur la fécondité et celle de l'influence réciproque entre le développement économique et la fécondité. L'effet du développement semble à sens unique, au moins dans certains contextes. Une conjoncture économique défavorable n'entraîne pas toujours une augmentation de la fécondité. Au contraire, les familles peuvent réagir aux difficultés économiques par une réduction de la fécondité. C'est le Malthusianisme de la pauvreté tel que montré par Cosio-Zavala (1995) dans le contexte urbain en Amérique Latine. De nombreux travaux sur le dividende démographique en Afrique soulignent l'importance des liens négatifs entre la croissance démographique et le développement économique (Guengant, 2011). En combinant les résultats de plusieurs scénarii sur le taux de croissance du PIB (10%, 7%, 5% et 4%) et sur le taux de croissance démographique (3%, 2,5% et 2%), Guengant (2011) fournit "une estimation grossière de l’effet mécanique de l’interaction entre ces taux, en termes de nombre d'années requises pour doubler le PIB par tête [...]"

(Figure 1.1).

Figure 1.1  Nombre d'années requises pour doubler le PIB* par tête selon les taux annuels de croissance économique et démographique (UEMOA**, Guinée, Ghana, Mauritanie et Nigeria).

Source: Guengant (2011), (*) Produit intérieur brut, (**) Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine.

Une forte et régulière croissance économique de l'ordre de 10% l'an devrait permettre de doubler le PIB par tête de la sous-région en 10 ans environ, quel que soit le taux de croissance démographique. Mais si cette croissance se réduit à 4% l'an, la croissance démographique allonge le temps du doublement du PIB de façon sensible, d'environ 35 ans avec une croissance démographique de 2%

à 50 ans lorsqu'elle passe à 3%. Même en dehors d'effets stimulants d'une démographie nombreuse sur le développement (Boserup, 1965), ces résultats montrent globalement qu'il y a une substitution entre une lente croissance démographique et une forte croissance économique par rapport au délai d'atteinte d'un PIB par tête 2 fois plus important. Dans la même lancée, à partir d'un modèle de simulation, Ashraf et al (2013) montrent qu'au Nigeria, le passage de la fécondité de la variante Moyenne à la variante Basse6 des projections des Nations Unies améliore le revenu par tête de 5,6% dans un horizon de 20 ans. Dans 50 ans, cette amélioration serait de 11,9%.

Les liens entre l'économie et la démographie sont encore plus visibles lorsqu'on prend en compte la structure par âge de la population, celle-ci étant directement liée à la longévité et à la part de la population active, donc au rapport de dépendance. A l'idée traditionnelle que le développement cause la baisse de la

6 Pour la variante moyenne des Nations Unies, l'indice synthétique de fécondité est estimé à 5,61 enfants par femme sur la période 2005-2010. Il passe à 4,52 sur la période 2025-2030 et à 3,41 pour 2045-2050. Il est identique pour la variante basse sur 2005-2010. Il en est différent de 0,25 sur 2010-2015, de 0,4 sur 2015-2020 et de 0,5 pour la suite.

fécondité vient ainsi se greffer celle d'une causalité réciproque. Les politiques économique et démographique sont donc finalement complémentaires pour la recherche du bien-être collectif qui constitue  ou devrait constituer  leur commune finalité.