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Contours de l'autonomisation des femmes en matière de fécondité

Chapitre 6. Fécondité au Niger entre aspirations individuelles et

6.1 Contours de l'autonomisation des femmes en matière de fécondité

Ce travail préliminaire d'analyse compréhensive des circonstances qui concourent à l'autonomisation des individus a été conduit sous forme d'une enquête qualitative. De nature exploratoire, cette enquête a été réalisée en septembre 2015 dans la région de Zinder. Le choix de cette région se justifie bien à travers la description du contexte présentée plus loin.

6.1 Contours de l'autonomisation des femmes en matière de fécondité

Dans le cadre d'un projet de renforcement du recours à la contraception au Niger, le groupe Hope Consulting (Camber Collective depuis juillet 2015) a réalisé une enquête qualitative (2013) suivie d'une enquête quantitative (2014).

Les résultats de ces études ont suscité l'intérêt sur les rôles de la religion et des caractéristiques socioéconomiques sur les souhaits de descendance et la pratique contraceptive au Niger. Conçue comme un approfondissement de l'étude réalisée par Hope Consulting, la présente enquête qualitative a pour objectif principal d'explorer les signes d'un changement des perceptions, d'opinions et de comportements des femmes en matière de choix reproductifs, en lien avec leur épanouissement personnel. En outre, les marges de manœuvre de la femme en matière de pratique contraceptive sont examinées à la lumière des rôles du mari et de la religion. Réalisée autour du thème "Projet de famille, qualité de vie et religion", l'étude vise également à situer l'enfant en termes d'épanouissement de la femme. Les discussions autour de la descendance idéale parachèvent l'examen d'une ébauche de projet de fécondité

vague ou précis chez les femmes.

6.1.1 Contexte de la région de Zinder

Avec une population de 3.556.239 habitants en 201235, Zinder est la région la plus peuplée du Niger (21% de la population totale). À l'image du pays, cette population est majoritairement concentrée sur la bande Sud de la région, le long de la frontière avec le Nigeria (État de Kano) (figure 6.1). Dépassant largement celle observée au niveau national (3,9%) entre les deux derniers recensements (2001 et 2012), la croissance démographique y est très rapide (4,7% l'an). Le nombre d'enfants par femme en âge de procréer est de 8,5 alors qu'il est de 7,6 enfants pour le pays. C'est donc un niveau de fécondité qui dépasse celui observé exclusivement en milieu rural nigérien (8,1 enfants par femme).

La pratique de la polygamie et la faible pratique contraceptive ne paraissent pas justifier la spécificité démographique de la région. Celle-ci semble plus liée à la précocité du mariage et aux préférences pour une descendance nombreuse. En effet, pour les femmes âgées de 15-49 ans et en union, la région de Zinder (16%) fait partie des quatre régions ayant une prévalence contraceptive moderne qui dépasse le niveau national (12%). Parmi ces femmes zindéroises, 31% de sont en union polygamique contre 36% au niveau national. Ces chiffres sont respectivement de 16% contre 20% chez les hommes de 15-49 ans.

Par contre, l'âge médian à la première union des femmes (25-49 ans) est de 15,4 ans à Zinder, légèrement plus faible que celui observé pour le Niger dans son ensemble (15,7 ans). Ces âges médians sont globalement similaires à ceux au premier rapport sexuel. Il en découle une maternité particulièrement plus précoce à Zinder: en effet, 52,3% des adolescentes Zindéroises ont déjà commencé leur vie procréative, contre 40,4% dans l'ensemble du pays. De même, pour les préférences reproductives, le nombre idéal moyen d'enfants pour les femmes de 15-49 ans est légèrement plus élevé à Zinder (9,6 enfants contre 9,2 enfants dans l'ensemble). La proportion de femmes actuellement en union et qui ne veulent plus d'enfants apporte une information similaire (8,2% à Zinder contre 8,5% au niveau national). Pour les hommes mariés, cette proportion au niveau national double celle observée à Zinder, bien que ces proportions soient en chiffres absolus très faibles (0,6% contre 1,2%).

35 Sauf indication contraire, les chiffres présentés dans cette section proviennent du Recensement général de la population (RGPH) de 2012 et de l'EDSN-MICS 2012.

Figure 6.1 – Présentation de la région de Zinder

Source: Adamou (2011)

Sur le plan économique, la région de Zinder n'a pas de spécificités particulières par rapport à la situation générale du pays. La proportion des femmes occupées à la maison ou dans le secteur agricole (11,3%) reflète la situation du pays (12,7%). Ces chiffres sont respectivement de 73,7% contre 61,8% parmi les hommes. Par contre, en termes de niveau d'instruction et d'alphabétisation, Zinder est légèrement défavorisée comparativement à l'ensemble du pays.

Aussi bien pour les hommes que pour les femmes, les taux d'alphabétisation y sont plus faibles: 10,9% contre 14,0% au niveau national pour les femmes et 34,5% contre 39,4% (Niger) pour les hommes. On retrouve une information similaire en comparant le niveau d'instruction au niveau régional et au niveau national.

Tableau 6.1 – Niveau d'instruction selon le sexe à Zinder et au niveau national Aucun Primaire Secondaire Supérieur Total

Femmes Zinder 85,2 8,2 6,3 0,3 100,0

Niger 80,0 11,4 8,0 0,6 100,0

Hommes Zinder 68,8 14,7 15,3 1,2 100,0

Niger 82,5 11,6 3,7 2,2 100,0

Source: EDSN-MISC 2012

Même si elle est importante dans l'ensemble, la proportion des femmes sans aucun niveau d'instruction est encore plus importante à Zinder. De plus, les Zindéroises restent défavorisées à tous les autres niveaux. La situation est par contre différente chez les hommes. Ces derniers semblent mieux instruits à

Zinder par rapport à leur situation générale dans le pays, sauf pour le niveau supérieur.

Le faible niveau d'instruction des femmes, lequel va de pair avec une entrée précoce en union, et la préférence pour une descendance nombreuse semblent les facteurs clés qui expliquent la particularité démographique de Zinder. La région est donc bien choisie pour explorer les mutations en cours à travers les discours des femmes.

6.1.2 Orientation théorique

Comme signe de prise de position individuelle par rapport aux valeurs dominantes, l'ambivalence est une condition nécessaire à un changement de comportement. En matière de projet de fécondité par exemple, avoir la capacité de se distancer des normes est un premier pas vers une conception personnalisée de la descendance ou de la famille. Cette distance entre le projet individuel et les normes est qualifiée d’ambivalence. Elle correspond, selon la terminologie de Sauvain-Dugerdil (2005b) à un "positionnement flou entre les attentes normatives et les intentions personnelles" (voir aussi chapitre 3). Cette dynamique de négociation, entre la société (ou le groupe) qui impose des valeurs communément acceptées et l’individu qui défend son projet, renvoie au processus d'individuation, lequel privilégie l'appartenance symbolique qu'il redéfinit au détriment d'un sentiment d'affiliation (Fleury, 2016).

Les discussions de groupe fournissent en général une vision consensuelle d'ensemble, des images ou des valeurs collectivement partagées. Comme le précisaient Sauvain-Dugerdil et al. (2012), dans ces conditions, "l’idée est que les comportements individuels – et les décisions qui les sous-tendent

correspondent plus ou moins aux normes prévalant à cet égard dans la population d’appartenance". Mais en plus des valeurs collectives socialement partagées, des positions plus individuelles émergent souvent, donnant ainsi lieu à des débats tendus. En ce sens, les prises de positions excentriques ou marginales lors des discussions en groupe sont porteuses d'informations: elles annoncent, notamment, le début d'une diversification des points de vue; une augmentation de l'hétérogénéité dans les opinions, laquelle précède en général tout changement dans les comportements.

Lors des discussions, cela implique la nécessité de surveiller les prises de positions des participantes tout en accordant une importance particulière à leurs argumentations, notamment lorsque ces positions défient un consensus partagé au sein du groupe. Si elle indique un début, la transition de l'ambivalence vers un changement comportemental est conditionnée, au moins en partie, par les caractéristiques individuelles, aussi appelées facteurs individuels de conversion dans le sens des Capabilités (Sen, 2003).

6.1.3 Guide d'entretien

Idéale pour explorer l'émergence des nouvelles idées, la technique de discussion de groupe (focus group discussion) est employée dans le cadre de cette enquête. En effet, c'est dans un cadre "collectif et contradictoire" qu'il

convient de mettre en évidence l'émergence des nouvelles idées ou des nouvelles aspirations individuelles, si les précautions sont prises pour assurer leur libre expression (homogénéité du groupe). La discussion de groupe semi-structurée est donc idéale pour saisir "les prises de positions en interaction les unes avec les autres et non de manière isolée", de sorte à rendre accessibles les différences entre ce qui relève d'un accord partagé, d'un désaccord ou d'une position originale (Duchesne et Haegel, 2004). Il est ainsi possible de se faire une idée des valeurs du groupe et de situer à la fois les perceptions et les opinions individuelles en prise avec cette vision dominante.

En plus des questions ouvertes du guide d'entretien (annexe 3.2) et des relances spontanées, des petites histoires imaginaires (vignettes) ont été présentées et discutées au sein des groupes. Ces vignettes consistent en des scénarios imaginaires, mais assez réalistes, présentant des phénomènes sociaux à propos desquels les participantes sont appelées à discuter librement.

Duchesne et Haegel (2004) estiment que ce genre de matériau, dit projectif, est recommandé pour saisir "le flou ou l'ambivalence" qui "ouvrent le champ à un plus grand éventail d’associations et d’interprétations et permettent d’accéder aux contradictions éventuelles des systèmes de représentations" (Bloor et al, 2001).

6.1.4 Sites, groupes et sélection des participantes

Compte tenu de la nature exploratoire de cette étude et des contraintes économiques (fonds disponibles) et pratiques (temps disponible), le nombre des groupes et leurs tailles sont relativement limités. L'enquête est réalisée au niveau de trois sites urbains (quartiers de la ville de Zinder) et deux sites ruraux (villages environnants de la ville de Zinder). Les discussions ont lieu au sein de six (6) groupes de femmes âgées de 15-49 ans dont trois (3) groupes de femmes urbaines et trois (3) groupes de femmes rurales. Chaque groupe compte six (6) femmes préalablement sélectionnées.

Tableau 6.2 – Profils des participantes et géographie des groupes

Profil des femmes Répertoire des communes (RENACOM) établi par l'Institut national de la statistique (INS), RGPH 2001. Le taux moyen de croissance annuel retenu est de 3,3%.

La procédure de sélection des participantes est identique à celle de l'enquête organisée par Hope Consulting en 2013. En effet, les six femmes de chaque groupe sont recrutées au sein de différents quartiers et dans diverses catégories économiques; cela, afin d'assurer une certaine représentativité socio-économique au contenu des échanges. L'âge, la situation matrimoniale et la maternité (avec ou sans enfants) sont les critères de base pour la constitution des groupes. Pour réduire le biais de sélection, les femmes qui ont participé à l'enquête qualitative de Hope Consulting (2013), celles qui ont participé à une quelconque enquête avec discussion de groupe dans les 6 mois passés et celles qui travaillent dans le domaine de la planification familiale (ou domaines connexes) ont été systématiquement exclues. Pour les femmes âgées de 15 à 17 ans non-mariées, le consentement des parents est requis; celles qui sont déjà mariées à cet âge sont par contre considérées comme majeures (émancipées).

A l'image de ce qu'évoque Beaud (1996) à propos de l'entretien sociologique, les discussions de groupe ne se limitent pas à une simple communication entre participants. C'est une relation sociale complexe entre des individus de caractéristiques différentes, où, les rapports de force (ou de pouvoir) interviennent et donc où l'esprit de domination prévaut. Par conséquent, le soin a été pris de ne pas inclure, dans les groupes, les femmes ayant un statut social

"supérieur" aux autres (responsables d'associations ou groupements féminins, éducatrices religieuses, femme du chef de village, etc.). L'objectif final est ici la constitution des groupes relativement homogènes pour "éviter des situations où l’aisance et la maîtrise des uns inhibent les autres et les empêchent de prendre la parole" (Duchesne et Haegel, 2004).

6.1.5 Déroulement des discussions

Les discussions sont animées par le chercheur à l'aide d'un guide (annexe 3.2).

D'une durée d'une heure et demi à deux heures, ces discussions sont menées en langue Hausa et sont audio-enregistrées. L'entretien est de style semi-directif, avec au besoin un encadrement des discussions dans les limites des thématiques prédéfinies.

Notre rôle se résume aux trois fonctions classiques de l'animateur du groupe citées par Blanchet (1982) à savoir: (1) la fonction de production (ouverture, relance, demande de précisions), (2) la fonction de confirmation (corroboration, reformulation) et (3) la fonction d’orientation (recentration des propos, relance thématique, déductions, mises en parallèle) (Baribeau, 2009). Il s'agit donc d'introduire les sujets et d'écouter les femmes s'exprimer librement, avec une attention particulière sur les références culturelles, les allusions, les sous-entendus, les symboles ou tout autre signe susceptible d'éclairer l'analyse et l'interprétation du discours.

Pour chaque phénomène présenté sous forme de "vignette", les discussions ont abordé les perceptions de ses causes et conséquences, les expériences connexes vécues (souvent sous forme d'anecdotes), des pistes de solutions, etc. Les relances ont particulièrement été assez fréquentes lorsqu'il s'est agit de représenter l'enfant dans le schéma global de l'épanouissement de la femme.

6.1.6 Exploitation des discussions

Les enregistrements audio issus des six groupes de discussion ont été intégralement transcrits en français. Plutôt que de se limiter aux résumés des discussions, nous avons transcrit intégralement les discours, en conservant, autant que faire se peut, les sens des interventions, leurs figures de styles et leurs tournures d'origine (images, répétitions, sauts, silences, rires, etc.)36. Les textes transcrits et les notes prises lors du déroulement des entretiens sont utilisés ici pour présenter, à titre exploratoire, quelques constats préliminaires37 qui servent à éclairer la problématique posée plus haut.

Les idées qui ressortent des "petites histoires" sont appuyées par d'autres idées soulevées ailleurs au sein d'un même groupe. Il ne s'agit donc ni d'une présentation linéaire des constats qui se dégagent des échanges, ni d'une comparaison systématique entre les différents groupes. Cependant, nous procédons à des rapprochements pour souligner le contraste entre les visions collectives des jeunes et des anciennes générations, des citadines et des femmes rurales, etc. Pour illustrer certaines idées, des citations sont extraites des discussions. Il s'agit en général des échanges qui soulignent le caractère conflictuel de l'émergence des idées plus "innovantes" ou "marginales" par rapport à la vision du groupe.