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Chapitre 5. Islam en Afrique de l'Ouest, Islam au Maghreb : quels liens

5.3 Un rôle plus important de la religion en Afrique de l'Ouest?

5.3.3 Islam et programmes de planification familiale

Makhlouf Obermeyer (1992) rapporte des exemples de soutien de l'Islam à la planification familiale dans des pays musulmans. En Égypte par exemple, les méthodes contraceptives traditionnelles ont d'office été acceptées alors que les méthodes modernes ont été admises sous certaines conditions fixées à par des fatwas (avis juridique des spécialistes de la loi islamique). Cela n'a pas été le cas dans le Niger contemporain où toute mesure politique touchant à la famille et la reproduction se heurte à une opposition de plus en plus frontale des associations religieuses (Sounaye, 2011). Comme conséquence, le soutien politique timide en faveur de la planification familiale semble aménager les susceptibilités des activistes religieux afin d'éviter toute friction avec la conviction religieuse d'une partie (majoritaire?) de la population. Le contraste est encore plus saisissant face à l'exemple de l'Iran où les leaders religieux ont reconnu le caractère légal de la planification familiale (McQuillan, 2004) et où

"les mosquées, répandues partout dans le pays, ont été un moyen important de communication sur le planning familial de l'État" (Ambrosetti, 2011).

L'existence des organismes de société civile religieusement engagés et très actifs sur les problématiques touchant à la famille, à la femme ou à la procréation est une raison supplémentaire de penser que l'effet de l'Islam sur les comportements reproductifs est beaucoup plus pressant dans les pays Ouest-africains. Au Mali par exemple, la réforme du code de la famille  qui visait à limiter à 18 ans l'âge minimum au mariage pour les filles et à supprimer le devoir d’obéissance de la femme envers son mari  a donné lieu à des vagues de protestations des associations musulmanes en 2009. Au Niger, l'acceptation mitigée de la contraception moderne comme moyen d'espacement des naissances a été éprouvée au lendemain de la conférence du Caire: "[...] les échos des polémiques des religieux sur leur contenu de limitation des naissances ont entraîné des manifestations à Niamey où le centre de planification familiale a été saccagé et les panneaux publicitaires vantant ses mérites, brûlés." (Locoh et Makdessi, 1996).

L'avènement de la démocratisation de la sphère politique entamé dans les années 1990 a curieusement joué un rôle paradoxal dans le rapport de l'Islam à la vie sociopolitique. Avec la démocratie, les organisations non gouvernementales (ONG), y compris les organismes à base communautaire et les organismes de la société civile, ont proliféré pour défendre ou promouvoir certains intérêts publics. Ce fut un tournant positif inédit qui marqua l'entrée active des "forces vives de la nation" dans la vie sociopolitique du pays. Mais dans le même temps, "d’une association islamique jusqu’en 1990, le champ islamique nigérien s’est fragmenté en associations multiples (plus d’une quarantaine aujourd’hui) qui envisagent l’Islam sur le mode public, mettant généralement en avant l’idée que c’est à l’Islam de définir et de déterminer les conditions de réalisation du bien commun au Niger" (Sounaye, 2011). Cette multiplication d'acteurs religieux fut synonyme d'une multiplication d'interlocuteurs pour les gouvernements successifs. De plus, elle a induit une surenchère de visibilité publique, laquelle a certainement contribué au renforcement de l'emprise de l'Islam dans l'espace public nigérien.

Plus mobilisées et mieux organisées, les associations islamiques se sont opposées aux normes et politiques sociales qu'elles considèrent comme non, voire anti islamiques. En effet, "les campagnes de promotion de la planification familiale invitant à l’usage du préservatif dans le cadre de l’espacement des naissances, les tentatives d’institution d’un Code de la famille, la ratification de conventions internationales promouvant les droits des femmes, ont ainsi suscité la critique, l’opposition et le rejet de cette société civile islamique qui prend de plus en plus un rôle public" (Sounaye, 2011). Or, en Tunisie par exemple, le Code du statut personnel a été promulgué depuis août 1956, quatre ans avant que le Niger n'accède à son indépendance en août 1960. D'après Ayad et Jemai (2001), toujours en Tunisie, "les progrès de la législation, accompagnant très tôt toutes mesures, réformes ou velléités de transformation des structures sociales, ont donné au mouvement un dynamisme et une force, celle de la loi, sans lesquels les résultats spectaculaires obtenus dans la maîtrise de la croissance démographique n'auraient pas pu être atteints". Cela montre comment certains pays Maghrébins ont réussi à institutionnaliser islamiquement certaines mesures relevant de leurs politiques de développement ou de population.

5.4 Synthèse

On pourrait finalement conclure que la religion n'a certainement pas joué et ne joue peut-être pas aujourd’hui encore le même rôle sur les comportements des individus de part et d'autre de ces deux sous-régions africaines. En faveur de l'hypothèse des caractéristiques, son emprise sur les comportements individuels de façon générale, et sur les comportements reproductifs en particulier, dépendrait de l'histoire des États, de leur gouvernance politique et de leur degré d'ouverture sur l'extérieur. Le rôle de l'instruction dans l'appropriation du système de croyance (Kouaouci, 1995) implique un avantage des pays Maghrébins par rapport à ceux de l'Afrique de l'Ouest. De plus, comme facteur clé de l'érosion de la barrière linguistique, l'instruction serait aussi un résultat principal du brassage culturel avec l'Europe; ce brassage culturel que Courbage (2002) tient pour responsable de la rapide transition de la fécondité au Maghreb.

Quasiment absente des pays Ouest-africains, la régulation étatique de la religion pourrait avoir facilité l'acceptation religieuse de la planification familiale évoquée par McQuillan (2004) et Ambrosetti (2011). Certains pays comme la Tunisie ont même islamiquement institutionnalisé leurs politiques de population.

A cela s'est ajoutée la nature des politiques démographiques, lesquelles ont souvent pris la forme des réformes sociales en profondeur pour certains pays Maghrébins alors qu'elles ont été introduites en Afrique de l'Ouest comme une mesure de limitation des effectifs et de rationnement d'une forte demande sociale. Cette posture a sans doute favorisé la farouche opposition islamique au contrôle des naissances et à l'échec des premières politiques de population en Afrique de l'Ouest. La vision tournée vers des objectifs centrés sur le bien-être des populations, conseillée par la CIPD, est arrivée avec les versions révisées de ces politiques. C'était déjà tard. Dans le cas du Niger, le processus de démocratisation des années 90 a conduit à une prolifération des associations islamiques (Sounaye, 2011) dont le rôle sur la sphère publique est toujours d'actualité.

Globalement, il reste difficile d'affirmer que l'Islam a joué un rôle décisif dans la transition démographique rapide qu'ont connu les pays Maghrébins. Si son rôle semble limité dans ce contexte, cela n'est pas le cas pour les pays musulmans Ouest-africains; surtout au Niger où, l'histoire, le faible niveau de développement socioéconomique, le manque de régulation étatique de la religion et le poids de la population musulmane convergent vers des conditions propices à une plus grande présence sociale de l'Islam et donc propices à un conditionnement religieux plus poussé des comportements individuels.

A la lumière de ce qui précède, les liens entre l'Islam et les comportements reproductifs au Niger doivent prendre en compte non seulement la dimension économique, mais aussi et surtout la dimension d'autonomie de la femme. Cette dernière devrait inclure son degré d'implication dans la gestion de son ménage et de sa vie reproductive ainsi que son rapport à son environnement social.

Établie à un niveau agrégé, l’importance de ces facteurs reste à être examinée au niveau individuel. À travers une étude qualitative, le chapitre suivant explore la marge de manœuvre de la femme en matière d’entrée en union et de choix reproductifs dans une région du Niger (Zinder).

Chapitre 6. Fécondité au Niger entre aspirations