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Consensus et controverses à propos de la baisse de la fécondité

Chapitre 1. Des courants explicatifs de la fécondité à la notion de projet

1.1 Consensus et controverses à propos de la baisse de la fécondité

réduction de la mortalité infantile dans les pays en développement, cette hantise du nombre demeurera longtemps encore un sujet de préoccupation.

En l'absence des données statistiques pour accompagner les analyses, les premiers travaux sur la population furent de nature philosophique, politique ou idéologique. Avec l'arrivée des enquêtes sur la fécondité, comme la grande enquête de Princeton sur la fécondité en Europe (1963), une étape a été franchie. Au-delà des idéologies, l'on s'efforce à expliquer la variation spatio-temporelle et sociale de la fécondité à travers les masses des données désormais disponibles. Dans les pays en développement, l'avènement des recensements généraux de la population et des grandes enquêtes comme les enquêtes mondiales sur la fécondité (EMF) et dernièrement les enquêtes démographiques et de santé (EDS) a davantage facilité l'expansion d'une approche rigoureuse en sciences de la population. On sait depuis lors qu'il existe une certaine tendance "universelle" à la baisse de la fécondité, même si l'histoire récente de cette baisse dans les pays du Sud montre que des stagnations ou même des retournements de tendance sont possibles (Bongaarts, 2008; Sandron, 2013; Garenne, 2013).

1.1 Consensus et controverses à propos de la baisse de la fécondité

1.1.1 De la baisse généralisée de la fécondité

En dépit des exceptions africaines, il existe aujourd'hui encore un consensus à propos du schéma global d'évolution de la fécondité: d'un niveau élevé, la fécondité des pays passerait à un niveau faible, tombant parfois en dessous du seuil de remplacement des générations. Ce changement de niveau de fécondité serait précédé d'une baisse de la mortalité, laquelle se stabiliserait aussi à un

4 "This was what I call the 'politicization' of fertility, that is, the use of arguments based on theories of fertiliy to seek and design policies which may or may not have a direct bearing on fertility but which are important in their own right or for other political reasons." (Basu, 1997).

niveau bas (Notestein, 1953). Ce schéma théorique postule le passage d'un régime de forte fécondité et de mortalité élevée à un régime de faibles fécondité et mortalité. Sans suivre le processus théorique postulé, ce phénomène est avancé dans les pays développés. Par contre, dans d'autres parties du Monde, il se présente à des stades différents selon les pays et les régions. Plus avancé en Asie et en Amérique Latine, et à un niveau intermédiaire en Afrique du Nord, ce phénomène n'est qu'à son début en Afrique Sub-saharienne (Bongaarts and Watkins, 1996). Là encore, le paradigme tenace de la théorie de la transition démographique, lequel postule le passage d'un équilibre à un autre, ne semble pas se vérifier. La timide baisse de la fécondité engagée dans les années 1990 dans les pays Subsahariens s'est en moyenne estompée dans les années 2000.

Plus de la moitié de ces pays ont en effet connu une stagnation de la fécondité durant cette période (Bongaarts, 2008), et ce, malgré le recul de la mortalité infanto-juvénile.

L'hétérogénéité est donc grande même au sein d'une sous-région comme l'Afrique Subsaharienne. Certains pays comme le Ghana, le Kenya ou le Zimbabwe affichent aujourd'hui un indice synthétique de fécondité de 4 enfants par femme5. D'autres par contre, à l'instar du Mali et du Niger restent en marge de ce mouvement d'ensemble. Du reste, même dans ces contextes d'exception, si elle n'est pas perceptible à l'échelle d'un pays, la baisse de la fécondité l'est au moins dans certaines couches sociales (Talnan et Vimard, 2009).

1.1.2 Controverse autour des causes à l'origine de la baisse

Ce qui est un sujet de controverses n'est pas la baisse de la fécondité elle-même, mais les facteurs à l'origine de celle-ci. Des travaux précurseurs aux études plus récentes, les chercheurs n'ont jamais été unanimes sur les facteurs qui expliquent le déclenchement, la poursuite (parfois la stagnation) et l'accomplissement de la transition de la fécondité (Piché et Poirier 1992, 1995;

Leridon, 2014). D'ailleurs, aucun sujet en démographie n'a fait autant l'objet d'analyses théoriques et empiriques que la transition de la fécondité (Durlauf et Walker, 1999). Le débat sur ses causes a été  et est toujours âpre, fait de rebondissements et marqué par "une saine remise en question des certitudes simples, voire simplistes des années 60" (Locoh, 1985). Comme le souligne Leridon (2014), les chercheurs s'accordent de plus en plus sur l'existence non pas d'une théorie, mais des théories explicatives de la fécondité (Greehalgh, 1990; Cleland et Wilson, 1987; Van de Kaa, 1996).

L'une des premières explications avancées est celle formulée par Notestein (1953), un des pionniers de la théorie de la transition démographique. Pour lui, la baisse de la fécondité est liée au passage d'une société traditionnelle et agricole à une société moderne et industrielle. La première est caractérisée par la nécessité d'une fécondité élevée pour compenser la forte mortalité et assurer le besoin en main-d'œuvre agricole. Dans la seconde, les progrès en matière de santé et d'éducation entrainent une baisse de la mortalité, à travers notamment

5 D'après les EDS 2014, l'ISF est de 3,9 enfants par femme au Kenya et 4,2 au Ghana. Il est de 4,1 enfants par femme au Zimbabwe (EDS, 2010-2011).

une meilleure survie des enfants. La technologie réduisant le besoin d'une main-d'œuvre nombreuse, il s'en suit un recul de la fécondité, d'autant plus important que la mortalité est réduite.

Cette explication a fait l'objet de nombreuses critiques et des schémas explicatifs alternatifs ont vu le jour. Très souvent, les explications proposées n'ont été valables que dans des contextes socio-historiques précis. L'exercice de généralisation se heurtait toujours à des contre-exemples. En revisitant la théorie de la transition démographique, Coale (1973) montre qu'il existe une diversité de schémas d'évolution de la fécondité aussi bien avant que pendant la phase dite de transition. Il souligne que des pays à des stades de développement économique différents se trouvent parfois à la même étape de la transition démographique, du fait simplement des similitudes socioculturelles qu'ils partagent. Dès lors, la recherche d'une explication "universelle" fédérant la diversité des contextes historiques et des frontières socioéconomiques et culturelles parait sans issue.

Les pays en développement ne dérogent pas à ce constat. Les conclusions des travaux sur les facteurs explicatifs de la fécondité dans ces pays ne sont pas toujours convergentes. A parcourir la vaste littérature sur le sujet, le bilan des facteurs reconnus comme déterminants de la fécondité conduirait à une longue liste de variables entre lesquelles l'interdépendance n'est pas exclue. Tout de même, suivant la posture adoptée, certains facteurs semblent plus faire l'unanimité que d'autres. Dans la perspective des déterminants proches de la fécondité par exemple, le mariage et l'allaitement constituent les principaux déterminants de la fécondité en début de transition, ce qui est typiquement le cas pour une grande majorité des pays Subsahariens (Bongaarts, 1982). D'un point de vue de la condition féminine, ce sont le niveau d'instruction et le statut de la femme qui déterminent le plus la fécondité dans ces pays (Basu, 2002).

Ceux-ci sont modulés par des facteurs contextuels parmi lesquels, la structure familiale, les normes socioculturelles, etc. L'explication de la fécondité dépend donc toujours de la posture théorique adoptée par le chercheur.

Toute analyse explicative de la fécondité se fonde sur un cadre théorique balisé, explicite et plus ou moins accepté. Bien que notre travail n'ait pas pour objet d'expliquer la fécondité au Niger, il convient néanmoins de revenir sur quelques principaux courants explicatifs de la fécondité et d'en expliciter les chaines causales. Discuter de la pertinence de ces courants explicatifs dans le contexte Subsaharien aide, par la suite, à comprendre l'importance des aspirations individuelles en matière de fécondité, particulièrement dans une perspective

"offre-demande" d'enfants.

1.2 Retour aux premières explications de la transition de