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Conditions d'une vie épanouie pour la femme et place de l'enfant 139

Chapitre 6. Fécondité au Niger entre aspirations individuelles et

6.2 Bilan des constats préliminaires

6.2.1 Conditions d'une vie épanouie pour la femme et place de l'enfant 139

dans un même village, sans précisions sur leur nombre d'enfants et la qualité de leurs relations de couple. L'une d'elles est toujours joyeuse, très ouverte et chaleureuse. L'autre, par contre, n'est jamais heureuse. Triste, elle se plaint tout le temps. Il s'agit pour le groupe de discuter des motifs à la base de cette différence d'humeur. Un accent particulier est mis sur les références aux avantages ou inconvénients d'une descendance nombreuse ou réduite, aux rôles des grands enfants, etc. Le cas échéant, la mention de l'un de ces aspects est suivie de relances pour un approfondissement.

Il ressort clairement que les femmes font un lien entre la qualité de vie et un certain nombre de facteurs comme, entre autres: l'instruction, l'exercice d'une activité économique, la situation du mari, l'entente dans le couple et la charge d'enfants. La femme régulièrement de mauvaise humeur est identifiée à une femme ayant beaucoup d'enfants en bas âge, n'ayant pas été à l'école et qui n'a aucune source de revenus. Son mari serait en difficulté financière et ne pourrait donc pas lui être d'un grand secours. Même s'il est riche, il ne serait pas un "bon mari", ce qui la prive de son soutien pour elle et ses nombreux enfants.

36 Avec une taille moyenne de 12 pages, les textes trancrits pour les 6 groupes font au total un document de 72 pages.

37 Une analyse de contenu est prévue avec le logiciel Atlas-ti, suivant la technique d'un codage ouvert. Mais cette analyse intégrale n'est pas encore effectuée.

Au contraire, celle qui est toujours joyeuse est représentée comme une femme avec moins d'enfants ou, à la limite avec de grands enfants susceptibles de lui apporter un soutien. Elle aurait été à l'école et travaille maintenant, ou exerce un travail qui lui procure un revenu. Son mari gagnerait bien sa vie et il y aurait une meilleure entente au sein de son couple. Les femmes plus jeunes sont surtout celles qui expliquent la bonne humeur de la femme par une moindre charge d'enfants et une bonne entente entre les conjoints. Il existe une certaine unanimité autour des liens directs entre la qualité du logement et l'autonomie financière de la femme par rapport à son mari.

"Pour les meubles par exemple, on ne peut même pas comparer celle qui a étudié et qui travaille à celle qui ne fait rien. L'une a son salaire à la fin de chaque mois alors que l'autre ne se contente que de ce qu'elle trouve à travers son mari, si jamais il donne quelque chose. Souvent, la femme doit, elle aussi, contribuer aux dépenses du ménage. Si ce que le mari lui donne n'est même pas suffisant pour le ménage, elle ne peut rien espérer de plus" (Femmes 25-34 ans, village de Tchintchindi).

En milieu urbain surtout, les femmes plus jeunes soulignent l'effet de la charge d'enfants sur l'hygiène et le confort du logement, deux dimensions de la qualité de vie de la femme et même de son ménage. Pour l'ensemble des groupes, les désavantages d'un nombre élevé d'enfants apparaissent lors des échanges sur la responsabilité des parents envers les enfants. Cela peut s'expliquer par les différences entre les responsabilités des pères et des mères envers leurs enfants. Les premiers ont en général un rôle indirect (recherche de subsistance, éducation, logement, etc.) alors que les secondes restent en contact direct avec les enfants qu'elles doivent faire manger, laver, habiller, blanchir, envoyer à l'école, à l'école coranique, mettre au lit, soigner en cas de maladie, etc. C'est donc la femme qui semble la plus préoccupée quand le nombre d'enfants devient important.

"Les enfants mélangent tout dans sa maison et versent tout ce qu'elle dépose. Elle amène toujours les enfants à l'hôpital car ils sont malades tout le temps. Il n'y a rien dans sa chambre à part une simple natte"

(Femmes 15-24 ans, village de Tchintchindi, à propos de la femme triste).

"Dès que le nombre d'enfants dépasse un ou deux, il y a des problèmes.

Rien que pour les laver et les faire manger, c'est un problème. (réplique) Mais il se peut que celui qui en a beaucoup s'occupe mieux de ses enfants que celui qui en a peu. (répl.) Ce n'est pas possible, il y a une différence. (répl.) Si on trouve quelqu'un de courageux ... (répl.) Même s'il est courageux, il ne fera jamais comme celui qui en a peu." (Femmes 35-49 ans, quartier de Franco, à propos de la responsabilité des parents envers les enfants).

En plus de la bonne volonté de bien prendre soin de sa progéniture, malgré la charge que cela implique, la question du nombre est ici bien soulignée. La vivacité des échanges précédents montre un démarquage net par rapport à la vision fataliste selon laquelle "il faut de la patience; il faut même demander l'appui de Dieu, prier pour que Dieu les guide pour toi" (Femme, Groupe 35-39

ans, Dadin Sarki). La longue liste des responsabilités des parents envers les enfants, même en milieu rural, renvoie à la reconnaissance sociale des droits fondamentaux de ces derniers. Dans les comportements par contre, le respect de ses droits butte inévitablement aux contraintes imposées par le contexte (pauvreté, nombre d'enfants, normes, etc.).

Les enfants sont aussi une source d'épanouissement de la femme. Les charges liées à leur entretien sont souvent considérées comme négligeables face aux bénéfices attendus (quand les enfants seront grands). Aussi, dans les villages surtout, la mortalité des enfants est parfois évoquée pour souligner les inconvénients d'une descendance peu nombreuse. Cela suggère que la réduction globale du niveau de mortalité (mentionnée plus haut) n'est pas perceptible dans toutes les couches socioéconomiques. Dans les groupes urbains, la vision traditionnelle ou religieuse de "l'enfant comme bénédiction" se confronte souvent à une vision rationnelle tournée vers le concept de capital humain. L'opposition quantité/qualité refait alors surface. Si le consensus n'est pas toujours obtenu, ce genre de situation a le mérite de montrer l'émergence conflictuelle d'une vision plus pragmatique de la valeur de l'enfant:

"Celle qui a peu d'enfants n'est comparable à celle qui en a beaucoup.

Même leur récompense auprès de Dieu n'est pas la même. (répl.) Si Dieu te donne des enfants bénis, celui qui en a 2 peut même dépasser celui qui en a 10. (répl.) On cherche des enfants bénis, c'est vrai. (répl) La bénédiction ne signifie beaucoup d'enfants. (répl.) Toi qui a 10, tu peux être dans une situation inconfortable et celle qui en a 2 seulement très bien entretenue. On peut avoir beaucoup d'enfants sans qu'ils ne soient d'un grand secours. Il faut plutôt souhaiter un enfant béni, qui a pitié. (répl.) De sorte que même les autres femmes t'envient." (Femmes 35-49 ans, quartier de Franco).

Ce discours montre que la vision de l'enfant comme source de sécurité ou de

"secours" reste assez présente. Mais d'un autre côté, l'exercice d'une activité génératrice apparait comme un facteur déterminant de l'épanouissement de la femme dans ses relations sociales. Exercer un petit commerce par exemple accorde une crédibilité et une notoriété à la femme dans son entourage social. Il lui ouvre l'accès aux petits crédits dont elle a souvent besoin pour faire face aux dépenses de son ménage:

"Si tu fais un commerce par exemple, même tes relations avec les voisins sont différentes. Pour un prêt, c'est facile pour toi. Alors que si tu ne fais aucune activité qui te rapporte de l'argent, même si les voisins vont te prêter, ils le feront avec beaucoup d'hésitation: me remboursera-t-il ou non? (répl.) Même si tu ne prêtes pas aux gens, on te prêtera parce qu'on sait que tu as un petit commerce" (Femmes 25-34 ans, quartier de Toubori).

Ainsi, à travers la crédibilité qu'elle accorde, une activité génératrice des revenus réhabilite l'affirmation de soi et contribue à l'épanouissement personnel.

En plus des revenus qu'elle génère, l'activité économique conditionne donc le soutien et le rôle du capital social, d'où son importance pour la qualité de vie.

En conclusion, trois éléments importants apparaissent comme ayant un lien avec la qualité de vie et l'épanouissement de la femme: l'autonomie (instruction et activité économique), la charge d'enfants en bas âge et la qualité de relation avec le mari (amour), y compris sa situation économique. La pauvreté d'une manière générale, la santé, les caractères de l'un ou l'autre des conjoints (hygiène, hypocrisie, impatience, etc.) sont tant d'exemples d'éléments évoqués pour expliquer la faible qualité de vie de la femme. Même si elle apparait à côté d'autres facteurs, la fécondité (charge d'enfants) a le mérite d'être mentionnée comme l'un des éléments centraux de la qualité de vie de la femme. C'est surtout en parlant de la responsabilité des parents envers les enfants que les femmes soulignent les mérites d'une descendance moins nombreuse.

6.2.2 Mise en couple, premier mariage et droits de la fille Mise en couple et droits de la fille

La fécondité réalisée dépend en partie de la capacité de la femme à négocier ses choix avec son conjoint. Cette capacité de discuter, y compris sur les questions relatives à la procréation, est souvent tributaire des conditions en amont de la mise en couple. La seconde vignette présente la situation d'un homme de 40 ans qui épouse une fille de 16 ans (annexe 3.2). Pour lui, c’est maintenant le moment d’avoir des enfants alors que la jeune fille souhaite attendre. Les discussions ont débouché sur le droit de la femme de choisir son conjoint et la responsabilité (condamnée) des parents dans ce genre d'unions.

Sans que le cas ne mentionne explicitement la scolarité, les plus jeunes soulignent spontanément l'incompatibilité entre les études de la jeune fille et la maternité. En plus de la charge liée à la garde d'éventuels enfants, la responsabilité d'un foyer pour une si jeune fille leur parait lourde. Pour elles, la réussite des études dans le cadre du mariage n'est possible que si le ménage à un certain niveau de vie; de sorte que la femme puisse s'occuper exclusivement de ses études, laissant la charge des travaux domestiques aux aides familiales.

"Cela va être compliqué pour une fille de 16 ans. Elle risque de ne pas pouvoir étudier. La garde des enfants et les études ensemble? Pour une fille de 16 ans? C'est une affaire difficile; avec la gestion de la maison en plus, car ce n'est pas simplement la garde des enfants" (Femmes 15-24 ans, quartier de Oungouwal Gandou).

Les femmes plus âgées (25-34 ans) font plutôt référence à l'immaturité physique de la fille. Celles-ci estiment qu'il est imprudent pour elle de tomber enceinte et d'accoucher à cet âge. D'autres par contre, en soulignant que des filles de son âge ont des enfants, estiment que l'espacement pourrait être une solution. Le débat s'étend aux négociations lors de la mise en couple. A la relance "Doit-elle (la jeune fille) attendre oui ou non? Et pourquoi?", une des participantes répond:

"Il fallait discuter de tout ça avant le mariage. Qu'elle dise qu'elle ne veut pas d'enfants dès le début et qu'elle souhaite attendre. S'ils ne tombent pas d'accord, le mariage ne devrait pas avoir lieu" (Femme du Groupe 15-24 ans, village de Tchintchindi).

La question du droit de la fille à négocier les conditions de son mariage se pose.

Même en milieu rural, les jeunes femmes évoquent le droit et la liberté de la fille de choisir son conjoint. Pour elles, elle peut refuser tout choix imposé par ses parents.

"Tu as le droit de refuser si tu ne veux pas. Mais si tu acceptes le choix des parents, c'est un signe de respect. (répl.) Non, qu'on te laisse choisir pour toi même, c'est mieux. (répl.) Tu n'as pas vraiment le droit de refuser souvent ... (répl.) Mais si! C'est ton droit, qu'on te laisse choisir, tu n'aimes pas la personne, il ne faut pas qu'on te fasse un mariage forcé! Tu as le droit de dire qui tu aimes" (Femmes 15-24 ans, quartier de Oungouwal Gandou).

La référence à l'amour comme condition de la mise en union montre que les filles aspirent à des unions libres et consensuelles avec les maris de leurs choix.

Leurs arguments se réfèrent souvent au changement de la "mode" ("ce n'est pas comme avant ...", "les choses ont changé ...", "le monde d'aujourd'hui", etc.). Mais il subsiste encore la pesanteur sociale qui s'exprime à travers le respect dû aux parents, mentionné sous forme d'option dans les échanges précédents. L'aspiration à un mariage consensuel et "d'amour" est sensible dans les critères qui définissent un bon mari. Dans tous les groupes, on retrouve les références explicites à la capacité du bon mari à respecter sa femme, à la comprendre, à la rendre heureuse, à l'aimer, etc., tant des critères qui renvoient à une vie de couple épanouie. Les notions de "bons comportements", "bons caractères", "courtois et éduqué", etc. sont également autant d'autres attributs associés à une meilleure qualité de vie conjugale pour la femme.

Tableau 6.3 – Les caractéristiques d'un bon mari selon les groupes et par milieu les citadines et "avoir un travail" pour les femmes rurales) peuvent s'interpréter différemment: elles peuvent être relevées d'une dépendance assumée ou d'une prise de conscience de la nécessité des moyens matériels pour une vie plus épanouie. Il convient de le souligner, les critères énumérés par les jeunes filles non mariées (15-24 ans), rurales comme urbaines, se recoupent assez bien avec ceux mentionnés par les femmes plus âgées. C'est dire qu'elles ont une vision précise des attentes des femmes à l'égard de leurs conjoints.

Premier mariage: comment et quand?

"Regardez le cas de Hawa. Elle a passé un seul jour et elle a fuit.

Maintenant elle est divorcée. Son mariage a à peine duré un jour. Elle disait qu'elle ne voulait pas ... Son ancien mari, lui, s'est déjà marié tranquillement après l'avoir rendu divorcée" (Femme du Groupe 15-24 ans, village de Tchintchindi).

Toutefois, un signe d'espoir vient de l'indignation et de la désapprobation collective du comportement des parents, jugés premiers responsables de cette situation. Lorsque nous relançons, "Qu'en pensent les parents de Hawa?", les avis sont tranchés: pour des raisons économiques, ce sont eux qui sont à la base de cette situation. Pour les jeunes femmes, le changement de statut de célibataire à divorcée est sans doute l'un des plus grands dommages causés à la fille. Il semble bien que ce changement dénote, plus que le premier mariage, le passage à une nouvelle étape de la vie: celle d'une femme divorcée, dorénavant contrainte à une nouvelle expérience matrimoniale.

"Que peuvent-ils dirent? Ce sont eux qui l'ont forcé à ce mariage. Ils ont même finalement remboursé la valise reçue (un ensemble de cadeaux, y compris des habits et des bijoux), avec un jugement jusqu'à chez le roi. Ils ont transformé leur fille en divorcée, ... une vraie divorcée même.

Tout le village les insulte pour cela. Maintenant elle a fuit pour s'installer chez ses autres parents dans un autre village" (Femmes 15-24 ans, village de Tchintchindi).

Pour les femmes plus âgées, aujourd'hui, les filles refusent plus fréquemment le mariage forcé que par le passé. De plus en plus, les filles osent refuser le choix de conjoint opéré par leurs parents. Les échanges montrent que, dans le cas où ils choisissent, ces derniers sont guidés par des critères économiques, sans consultation préalable de la jeune fille concernée:

"Ce genre de mariage arrive quand la famille du garçon est riche et que les parents insistent à marier leur fille à celui-ci. Dès que tu vois que les parents insistent et forcent leur fille, alors sûrement que le mari est riche ou il vient d'une famille riche. Ils savent qu'il y a de l'argent là-dessous."

(Femmes 25-34 ans, quartier de Toubori).

Malgré la reconnaissance des droits de la fille au choix de son conjoint et la dénonciation de l'intervention des parents, il n'y pas de consensus à propos de l'âge idéal pour le premier mariage. A la question "à quel âge est-ce trop tôt pour se marier?", certaines femmes avancent l'âge de 14, 15, ..., jusqu'à 18 ans. Mais c'est sans doute en milieu rural et parmi les plus jeunes que des limites d'âge inférieures sont proposées (13, 14 ou 15 ans). On retrouve la même absence de consensus à propos de "l'âge auquel il est trop tard" pour se marier. Mais les réponses à l'âge plafond témoignent d'une plus grande capacité de situer le mariage dans le projet ou les circonstances de la vie, avec notamment la prise en compte des études. Mais dans la pratique, contrairement à ce qui a été dit dans le premier cas étudié, ces dernières semblent de plus en plus compatibles avec le mariage.

"A partir de 20 ans par exemple (rires). Même 20 ans ce n'est pas tard, il faut à partir de 21 ans. (Réplique) Il faut même dire à partir de 25 ans ou même à partir de 30 ans. (répl.) Ah, toi aussi, 30 ans c'est trop; là vous dites ce qui vous arrange (deux filles ont 21 ans dans ce groupe). (répl.) Toi aussi, 20 ans? Donc nous, sommes-nous en retard? Et si la fille va à l'école? (répl.) Certaines sont mariées alors même qu'elles vont à l'école ... et continuent leurs études" (Femmes 15-24 ans, village de Tchintchindi).

Pour souligner qu'il n'est plus une exception que de rester tardivement célibataire, les femmes évoquent le cas de plusieurs connaissances âgées de 30 à 35 ans et célibataires (jusqu'à 26 ans en milieu rural). Quant à l'âge au premier mariage, les jeunes femmes rurales soulignent explicitement que la corpulence (physionomie) compte plus que l'âge: "le grand est celui qui a grandit".

6.2.3 Pratique contraceptive: les marges de manœuvre de la femme