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La supériorité des théories organisationnelles par rapport aux théories économiques pour la modélisation envisagée

DISPOSITIF DE CONTROLE DE GESTION : PROPOSITION D’UN MODELE EXPLICATIF

Chapitre 3. Vers un modèle général de la place relative des budgets dans le dispositif de contrôle de gestion budgets dans le dispositif de contrôle de gestion

3.1. De la mise en œuvre de la méthodologie de recherche

3.1.1. La nature du problème et les démarches de résolution possibles

3.1.1.1. La supériorité des théories organisationnelles par rapport aux théories économiques pour la modélisation envisagée

Nous avons par ailleurs montré dans la première partie de ce travail que deux piliers théoriques assurent l’assise des théories du contrôle de gestion – les théories économiques et les théories des organisations1. Les théories économiques et notamment la théorie de l’agence ont dans le passé servi de fondement à de multiples recherches empiriques visant à modéliser de manière rigoureuse les relations entre les acteurs de l’entreprise (Baiman, 1990). Cet ancrage théorique reste peut-être encore privilégié aux États-Unis (Ryan et al., 2002 ; Zimmerman, 2001). En France des thèses de doctorat ont également utilisé cette référence (cf. par exemple: Mass, 1994). La recherche de fondements théoriques dans les théories économiques semble toutefois peu appropriée aux objectifs de la présente recherche.

En effet, la théorie de l’agence pourrait être mobilisée pour modéliser de manière générale les décisions individuelles et les relations contractuelles entre la hiérarchie et les subordonnés. Comme il a été souligné précédemment, cette utilisation de la théorie de l’agence au sein de la théorie positive de la comptabilité s’est révélée très fructueuse pour l’explication du phénomène du slack budgétaire ainsi que dans les propositions de modèles incitatifs de rémunération pour lutter contre le slack budgétaire dysfonctionnel. Néanmoins, il s’agit ici de modélisations globales des comportements des acteurs organisationnels qui ne peuvent pas expliquer la complexité des comportements individuels dans les multiples cas particuliers où les axiomes de l’économie néoclassique2 ne sont pas vérifiés (Ryan et al., 2002). Selon Luft et Shields (2003) les théories économiques (et notamment les théories informationnelles) ont été utilisées en contrôle de gestion dans trois grands programmes de recherche : (1) pour modéliser les conditions de mesure de performance et proposer des modèles incitatifs de rémunération, (2) pour modéliser les contrats de contrôle des micro-processus et (3) pour expliquer le jugement individuel lors de la prise de décision. Nous ajouterons à cette liste l’utilisation de la théorie des coûts de transaction dans l’interprétation de l’apparition et du développement des pratiques budgétaires dans les entreprises de plus en plus grandes et complexes. La théorie économique serait en revanche incapable d’expliquer

1 Selon Kovaleski et al. (2003) il existe trois courants de recherche dans le domaine des budgets – les recherches fondées sur les théories économiques, celles fondées sur les théories psychologiques et enfin celles utilisant les théories sociologiques. La théorie organisationnelle dont nous faisons référence ici utilise dans ses fondements aussi bien les théories psychologiques que les théories sociologiques.

2 Annexe 2 extraite d’un article fondateur de Caplan (1966) permet de se rendre compte des axiomes très peu réalistes de la théorie économique par comparaison à celles de la théorie comportementale. Ces axiomes ont en partie évolué quelques années après la publication de l’article de Caplan avec la théorie de l’agence de Jensen et Meckling mais restent toujours très peu fidèles à la réalité surtout en ce qui concerne les hypothèses sur l’objectif unique des entreprises et la rationalité des agents économiques.

de manière détaillé les phénomènes organisationnels plus divergents où les décisions sont prises non seulement pour satisfaire les intérêts individuels des acteurs organisationnels mais aussi pour réaliser les objectifs propres à l’organisation qui émergent au-dessus des individus (Hopwood, 1976; Hopwood, 2002). De multiples comportements organisationnels divergents et circonstanciels sont alors traités comme des exceptions ou du bruit statistique alors que leurs origines peuvent être très bien expliquées par les théories organisationnelles qui prennent en compte le contexte dans lequel les intérêts économiques sont défendus (Chenhall, 2003). Tel serait également le cas avec des entreprises qui rejettent ou modifient l’utilisation de l’outil budgétaire.

Les théories organisationnelles et notamment la théorie comportementale sont donc plus à même de saisir les comportements qui dépassent la simplicité des relations bilatérales engageant les intérêts économiques des seules parties personnifiées intervenantes. (Hopwood, 1976; Hopwood, 2002 ; Luft et M.D.Shields, 2003; Luft et Shields, 2002). Des théories sociologiques et psychologiques plus fidèles à la réalité des motivations individuelles et des comportements des groupes d’individus ont fourni des appuis plus fiables aux modèles comportementaux de l’entreprise. Ces approches sociologiques et psychologiques sont plus aptes à expliquer les comportements divergents des individus et organisations (Covaleski et al., 1996). La théorie de la contingence abreuvée par les postulats comportementaux a ainsi permis d’accepter mais aussi d’expliquer les écarts du « one best way » si caractéristiques de la réalité et si peu compris par les théories économiques. Sans contester le pouvoir explicatif des théories économiques sur certains sujets, nous avons noté lors des derniers développements de la première partie de la thèse, que les théories organisationnelles et notamment la théorie de la contingence ont déjà été mobilisées avec succès pour expliquer la contingence des critiques au sujet des budgets (Bescos et al., 2004) ainsi que la contingence des mesures « équilibrées » de performance (le Balanced Scorecard) (Germain, 2004). De surcroit, des modèles sur l’utilisation contingente des outils de contrôle ont déjà été proposés, mais étant fondés sur des études de cas (Tillema, 2005) ou des démarches statistiques exploratoires (Chenhall et Langfield-Smith, 1998), leurs auteurs ont recommandé des tests ultérieurs à travers des études confirmatoires.

Il est possible toutefois que les affirmations précédentes provoquer le désaccord de certains lecteurs. À cet effet, il nous semble opportun d’approfondir nos arguments en partant du cadre théorique développé récemment par Poincelot et Wegmann (2005) pour expliquer l’utilisation d’indicateurs non financiers de performance. Les deux auteurs construisent leur

discours en écho de l’appel de Zimmerman pour la construction d’une véritable théorie qui justifierait l’utilisation de la notion de création de valeur en contrôle de gestion. Ils considèrent au départ qu’il existe deux notions de création de valeur : une transactionnelle et une cognitive. « Dans un cas, la performance et la création de valeur sont appréhendées

comme les résultats d’actions (conception contractuelle), tandis que dans un autre cas, elles sont assimilées à la façon dont se déroulent les actions elles-mêmes (conception plutôt cognitive) » (p. 111). Dans les deux cas, des théories respectives – transactionnelles

(économiques) dans le premier et cognitives (fondée sur la connaissance) dans le second – peuvent être mobilisées pour justifier l’utilisation de mesures non financières de performance. En parallèle les auteurs envisagent deux courants théoriques en stratégie organisationnelle l’un fondé sur la planification stratégique normative et l’autre sur la définition de la stratégie comme processus émergent. Puisque la stratégie est le fondement du contrôle de gestion, les auteurs relient « par analogie » le premier courant en stratégie à l’approche contractuelle de la création de valeur et le second à l’approche cognitive. Ils justifient ainsi l’idée que la vision très normative de la stratégie organisationnelle adoptée par Kaplan et Norton à la conception du Balanced Scorecard suppose l’acceptation d’une vision contractuelle de la performance. Dans cette vision contractuelle les critères non financiers de performance : (1) facilitent la cohérence entre la stratégie et l’allocation des droits décisionnels en jouant un rôle informationnel et (2) participent à la réduction des conflits d’intérêts. En revanche, dans la vision cognitive de la stratégie fondée sur les théories de l’apprentissage organisationnel et sur le courant des ressources et compétences, les critères non financiers de performance servent à susciter les apprentissages, à anticiper les évolutions et à faire émerger les stratégies. Bien que les auteurs remarquent que « les grilles de lecture contractuelle et cognitive

s’opposent sur un nombre important de points » (p. 122) ils affirment que les deux approches

peuvent mobiliser des arguments théoriques justifiant l’utilisation des critères non financiers de performance. Autrement dit, en s’appuyant sur ce cadre théorique, la disqualification du budget comme outil principal de contrôle peut venir aussi bien d’une logique transactionnelle (ou économique) que d’une logique cognitive (ou comportementale par extension). Cependant, bien que les justifications économiques de l’utilisation du Balanced Scorecard aient été l’argument préféré de Kaplan et Norton pour prouver l’utilité de leur outil dans l’ensemble des entreprises, des études récentes ont démontré la contingence de cet outil et des mesures non-financières en général par rapport à un certain nombre de facteurs. Certains des facteurs de contingence avancés sont la stratégie de l’entreprise et l’orientation vers la relation client (Chenhall, 2005; Hoque, 2004; Malina et Selto, 2004; Perera et al., 1997),

l’environnement externe et ses caractéristiques (Baines et Langfield-Smith, 2003; Hoque, 2004) ainsi que d’autres facteurs de divergence entre les organisations (Bhimani et Langfield-Smith, 2007; Chenhall, 2005 ; Malina et Selto, 2004).1 De surcroit, les études empiriques sur le lien entre d’une part l’utilisation d’indicateurs non financiers de performance et d’autre part la performance financière ou encore la création de valeur pour l’actionnaire – lien qui devrait justifier d’un point de vue purement économique l’utilité de ces indicateurs – n’ont pas apporté des conclusions convaincantes2.

En outre, Poincelot et Wegmann mobilisent les théories économiques et notamment la théorie de l’agence et les théories informationnelles, mais citent ensuite les recherches fondées plutôt sur les théories comportementales qui relativisent (ou ne confirment que partiellement) l’utilité des critères non financiers de performance (ibid. p. 114). En d’autres termes, même si les théories économiques peuvent justifier l’utilisation de mesures non financières de performance et l’éventuelle baisse de l’intérêt pour le budget, il reste difficile de les mobiliser pour expliquer la large variété des pratiques observée aussi bien dans le mode d’utilisation du Balanced Scorecard que dans son degré de substitution aux budgets. Selon Choffel et Meyssonnier (2005), par exemple, seules les théories comportementales mobilisées de concert avec la théorie de la contingence peuvent permettre d’expliquer les raisons des pratiques divergentes en termes d’utilisation du Balanced Scorecard. Ce sont par conséquent ces deux corpus théoriques qui vont être employés dans le présent travail pour expliquer la place relative du budget dans le contrôle de gestion moderne.

3.1.1.2. Le positionnement de la modélisation par rapport aux différentes démarches

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