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Conclusion du chapitre

Chapitre 2. L’utilité des budgets mise en question

2.1. Les défaillances des budgets reconnues et intégrées dans la théorie classique du contrôle de gestion

2.1.2. Les problèmes de mise en œuvre du contrôle budgétaire et les solutions envisagées

2.1.2.1. Le budget en environnement incertain

Pour pallier à l’impossibilité humaine de prévoir correctement l’avenir plusieurs propositions d’amélioration du budget ont vu le jour. Une des premières améliorations, pratiquée déjà par Du Pont de Nemours et General Motors était l’utilisation de budgets flexibles. Les budgets flexibles s’appliquent sur l’analyse des écarts de coûts et de recettes. Ils ont pour trait caractéristique la correction des objectifs de coût et de chiffre d’affaires par le niveau réel d’activité lors de la phase d’analyse des écarts. Il s’agit d’attribuer les écarts budgétaires globaux soit à une différence dans le niveau d’activité (production/ventes), soit à une différence dans les coûts et les prix. Cette approche a de l’intérêt si les coûts sont, dans leur majeure partie, variables (Merchant et Van der Stede, 2003). Elle permet en effet une meilleure analyse des écarts mais n’améliore pas la procédure de fixation des standards budgétaires.

La flexibilité des systèmes de planification en environnement incertain est étudiée en 1977 par Igor Ansoff à travers une approche historique. L’auteur oppose au modèle de type Plans–Programmes–Budgets, qui sur la période 1960-1975 constitue aux Etats-Unis la conception dominante en matière de planification, un nouveau modèle qui naît à la fin de cette période et qui assure une plus grande flexibilité du processus de planification. Il introduit aussi la notion d’incertitude de l’environnement interprétée dans le sens de turbulence et d’imprévisibilité. En effet, le modèle traditionnel de planification devient trop lourd à manier pendant cette période de forte agitation économique car il oblige, à chaque apparition d’une nouvelle menace ou opportunité, une révision des plans, ensuite des programmes, et enfin des budgets. Pour éviter que le processus de planification ne devienne une source de perpétuelle agitation dans l’entreprise il est nécessaire de faire une distinction entre activités nouvelles et activités habituelles (ou de routine). Ansoff (1977) soutient que ces deux types d’activités doivent être traités séparément et en parallèle, et non pas de manière uniforme comme cela est fait dans le modèle Plans–Programmes–Budgets. La place accordée aux budgets dans ce nouveau système est limitée exclusivement au traitement des activités routinières. Dans un environnement incertain on distingue ainsi la gestion par budgets des activités courantes et routinières et la gestion par projets des activités nouvelles, peu formalisables ou exceptionnelles. Anthony (1988) reprend, lui aussi, ces idées et présente le budget comme outil de contrôle uniquement des activités opérationnelles (ou routinières). En revanche, dans la gestion d’un projet les activités de programmation et budgétisation sont regroupées. Ainsi les coûts du projet sont contrôlés en même temps que l’état d’avancement des activités

techniques. Par, ailleurs, les recettes d’un projet sont généralement considérées comme fixes et le contrôle et l’optimisation de l’activité ne se concentrent que sur les frais et la consommation de ressources.

Cette nouvelle vision du processus de planification va gagner de multiples partisans dans les années 1980. Cependant, comme le note Ansoff, elle ne pourra pas remplacer partout l’approche traditionnelle. Les deux approches vont cohabiter grâce aux réalités socio-économiques différentes dans les différentes entreprises. Mais l’on y voit déjà une demande pour le retrait de l’utilisation du budget vers le domaine des éléments routiniers et prévisibles de l’activité.

Un véritable moyen d’intégration de l’incertitude de l’environnement dans la préparation du budget est l’élaboration de budgets probabilistes (Teller, 1976). Dans la technique traditionnelle du contrôle budgétaire une seule hypothèse est généralement retenue pour chaque élément budgété. De plus, c’est souvent la plus probable. Or, selon la théorie de la décision rationnelle cela représente un grand défaut car « une probabilité plus ou moins

faible subsiste malgré tout pour la réalisation d’hypothèses sensiblement différentes » (ibid).

Robert Teller, s’inscrivant dans un courant d’amélioration de la technique budgétaire1, propose d’appliquer la théorie des probabilités sur la préparation des budgets en envisageant encore deux hypothèses : une pessimiste et une optimiste.

Le modèle des budgets probabilistes proposé par Teller est fondé sur les axiomes suivants :

- Le volume des ventes est une variable aléatoire qui suit la loi normale ;

- Tous les autres indicateurs budgétaires sont définis en fonction du volume des ventes ; - Le modèle du budget repose sur une distinction entre coûts variables et coûts fixes ; - Le décideur est capable de définir la réalisation la plus probable du volume des ventes et

sa dispersion ;

- Le stock initial de produits finis est connu ; le stock minimum indispensable est défini par la politique pratiquée ; le taux d’impôt sur les bénéfices est donné ainsi que l’amortissement fiscal.

Connaissant les propriétés de la loi normale l’on peut définir, à partir de l’hypothèse la plus probable concernant le volume des ventes E(Q) et son écart type σ(Q) donnés par le décideur, les deux autres hypothèses :

1 De nombreux auteurs américains travaillent dans les années 1970 sur l’amélioration de la technique budgétaire et des moyens de prévision. Teller (1976) et Anthony (1988) évoquent plusieurs autres publications sur le sujet.

- L’hypothèse pessimiste : E(Q) – 1,5 σ(Q) - L’hypothèse optimiste : E(Q) + 1,5 σ(Q)

Compte tenu des axiomes du modèle définis plus haut il s’avère facile de calculer les différents éléments constitutifs d’un budget : la production nécessaire, les charges attendues, le bénéfice attendu, l’impôt sur les bénéfices et le cash-flow prévisionnel ; et cela dans les trois cas de figure envisagés : le cas optimiste, le plus probable et le pessimiste. Les propriétés de la loi normale permettent aussi un calcul facile du budget mensuel, ainsi que du budget d’une entreprise à produits multiples. L’auteur va encore plus loin en introduisant un modèle à six variables aléatoires de base : le marché total, la part de marché de l’entreprise, le prix de vente, le coût de la main d’œuvre directe, les autres coûts variables et les coûts fixes. La variable résultante - le bénéfice - est définie en fonction de ces six variables. Cependant, le nombre élevé de variables aléatoires rend le modèle très complexe. Cette complexité peut toutefois être enlevée par le recours aux techniques de simulation qui permettront d’aboutir à une représentation approximative de la courbe du bénéfice attendu probabilisé. En faisant référence à un modèle préconisé par D.B. Hertz pour les choix d’investissements, Teller propose un schéma très compréhensible et simple à utiliser. La démarche à suivre pour arriver à ce schéma est la suivante : Le décideur définit les distributions de probabilités affectées aux six variables de base citées plus haut. Ensuite, un programme informatique est créé en tenant compte de la formule de calcul du bénéfice et des distributions des probabilités. L’ordinateur sélectionne, au hasard, une valeur pour chacune des variables et calcule le bénéfice correspondant. La dernière opération est répétée un nombre suffisant de fois pour permettre de dessiner la courbe du bénéfice. La forme de cette courbe donne instantanément une idée pour le bénéfice le plus probable, mais surtout pour sa dispersion (l’écart-type). La courbe donne aussi une idée sur la probabilité d’atteindre le point mort. Ce modèle de calcul du bénéfice attendu à six variables aléatoires est présenté par l’auteur à titre indicatif, car d’autres modèles peuvent être envisagés de façon à mieux refléter le modèle économique de l’entreprise concernée. Il est possible de créer ainsi un véritable budget probabilisé qui donne, en plus des valeurs les plus probables, une image compréhensible du risque associé à l’activité. D’autres indicateurs de gestion prévisionnelle peuvent aussi être calculés de cette manière (la rentabilité, le taux de retour sur investissements). Le plus important avantage de cette méthode est le caractère très réaliste du budget obtenu (Gervais, 1983). Le budget probabiliste peut devenir alors un véritable outil d’aide à la décision. Cependant, il est bien

connu par les statisticiens que pour obtenir des estimations réalistes il faut sacrifier leur précision. Et c’est le là principal défaut de la méthode.

Le modèle des budgets probabilistes possède donc des avantages mais aussi des inconvénients. Le premier avantage d’un tel modèle stochastique est, nous l’avons dit, la facilité de compréhension. Deuxièmement, il utilise la puissance des outils informatiques pour traiter un grand nombre de données autrement intraitables. Il est évident, en revanche, que cela n’est qu’un modèle de la réalité. Les hypothèses de distribution des probabilités des différentes variables sont soumises à cette inévitable limite du cerveau humain qui ne lui permet pas d’imaginer le futur autrement qu’en extrapolant le passé (Gervais et Thenet, 1998). Ce modèle repose aussi sur l’hypothèse d’un environnement où l’incertitude est probabilisable. Néanmoins, pour rendre le modèle plus réaliste Teller propose aussi un algorithme de révision des coûts après une obtention d’information nouvelle. Cela permet d’intégrer l’hypothèse d’imperfection de l’information et de rationalité procédurale. Malgré cette extension plus réaliste, le problème de l’incertitude de l’environnement se pose en matière de contrôle budgétaire d’une manière tout à fait différente. Il s’agit d’une incertitude perçue et donc mathématiquement non formalisable ; une incertitude qui ne permet ni la définition des états futurs possibles, ni les probabilités qui leurs sont associées.

Lauzel et Teller (1994: p. 381) trouvent, pour leur part, deux limites d’un modèle probabilisé des budgets. La première limite concerne le niveau d’analyse et le nombre de points d’incertitude : le modèle raisonne au niveau du produit, il néglige ainsi le problème de mesure des éléments de coût en se limitant à la distinction entre charges fixes et charges variables. De plus, des indicateurs autres que le résultat d’exploitation peuvent apparaître plus importants. La deuxième limite du modèle concerne le degré de dépendance entre les variables critiques et la façon de mesurer cette dépendance : le modèle suppose que toutes les variables de base sont indépendantes. Si une telle dépendance existe (p. ex. une dépendance volume – prix de vente) le modèle devient bien plus compliqué.

Anthony (1988: p. 89) critique vigoureusement les budgets probabilistes. Pour lui, dans la pratique « les managers passent la plupart de leur temps à préparer les meilleures

estimations des moyennes et obtiennent les autres chiffres par extrapolations approximatives ». Les écarts-types n’ont pas vraiment besoin d’être formellement indiqués

dans le budget puisqu’ils sont sous-entendus et pris en compte par les managers et la hiérarchie. Pour cette raison, les budgets probabilistes sont rarement utilisés dans la pratique.

Un autre inconvénient possible de ce modèle probabiliste des budgets est son application restreinte à l’exercice d’une partie des fonctions budgétaires. Du fait des chiffres peu précis le budget probabiliste ne permettra sûrement pas l’accomplissement correct des rôles de vérification, d’évaluation et de motivation. Il est évident qu’il va plutôt servir d’outil d’aide à la décision au responsable budgétaire que de moyen de poser des objectifs ambitieux et motivants ou d’évaluer la performance des managers. En exploitant la puissance des outils informatiques un budget probabilisé peut vraisemblablement aider les managers à simuler différentes actions alternatives et les résultats qui en découlent, y compris les plus improbables, pour découvrir le risque qui leur est associé.

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