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Le budget comme outil de gestion à la disposition des managers

LE BUDGET COMME OUTIL PRINCIPAL DU CONTROLE DE GESTION : EVOLUTIONS ET REVOLUTIONS

Chapitre 1. La conception traditionnelle de l’outil budgétaire

1.1. Les premières utilisations et le développement de la technique budgétaire

1.1.2. Les conditions organisationnelles des premières utilisations des budgets dans le secteur privé

1.1.2.3. Le budget comme outil de gestion à la disposition des managers

Le budget n’est pas uniquement une technique réservée aux entreprise de grande taille, avec une structure divisionnelle et appliquant un contrôle par les résultats. Quail (1997) remarque par exemple que les premières entreprises britanniques ayant adopté les budgets (Austin et Unilever) ne correspondaient pas aux critères définis par Chandler (structure divisionnelle, gestion par la délégation des responsabilités) qui conduisent à l’utilisation d’outils de gestion modernes. Dès les premières utilisations le budget représentait pour les managers de ces entreprises un véritable instrument de gestion opérationnelle (Berland, 1999b; Berland et Boyns, 2002; Boyns, 1998).

H. Bouquin (op. cit.: p. 106) attire l’attention sur le fait que le contrôle de gestion peut être considéré sous deux angles. Une première approche consiste d’envisager le très haut niveau de la hiérarchie organisationnelle où il s’agira pour le contrôle de gestion de diffuser et de surveiller la mise en place de la stratégie « corporate » dans les niveaux inférieurs de l’organisation. On parlera alors du contrôle de gestion comme instrument du gouvernement et de la gouvernance. Pour le management au niveau des divisions et des unités opérationnelles le contrôle de gestion servira à appliquer la stratégie « business ». Les outils de contrôle deviennent alors des outils de gestion opérationnelle.

On voit à travers les travaux des historiens du contrôle budgétaire que la diffusion de la technique en Europe s’est faite surtout pour permettre l’élaboration d’un système de contrôle de gestion opérationnel ce qui a conduit par voie de conséquence, comme nous l’avons indiqué plus haut, à la construction des structures divisionnelles regroupant les unités autonomes. Selon Boyns (1998) pour les entreprises britanniques le but de la mise en place du contrôle budgétaire était surtout la rationalisation de la gestion et la mise en place d’un

management scientifique à travers un contrôle rigoureux des coûts et un suivi rapproché de l’efficience organisationnelle. De plus, les dirigeants de certaines entreprises étudiées par l’auteur déclaraient utiliser les budgets pour simuler des situations futures possibles afin de créer plusieurs plans d’actions alternatifs. La fonction d’outil de planification et de gestion du budget y transparait clairement.

Selon Bouquin (2004), faisant référence à Brown, les managers divisionnels chez GM utilisaient des simulations sur les indicateurs comptables pour mieux comprendre leurs leviers d’action sur le ROI. Ces indicateurs comptables sont bien évidemment calculés à travers une forme de simulations budgétaires fondées sur les relations entre les différentes grandeurs comptables. On y voit là encore, cette fois pour le cas des entreprises américaines, un exemple d’utilisation des budgets comme outil de gestion et d’aide à la décision.

En résumé, les changements organisationnels qu’ont subis les entreprises américaines du début du XXe siècle – croissance de la taille et complexification de la structure en forme-M – les ont amenés à mettre en place des systèmes de contrôle financier et comptable sophistiqués. Le budget a servi dans ces conditions d’outil de contrôle du management délégué pour la direction générale mais également d’outil de planification et d’aide à la décision pour les managers des divisions. En revanche, pour les entreprises européennes la démarche était généralement inversée. C’est la mise en place d’un contrôle budgétaire et la création de centres de responsabilité accompagnés de l’utilisation du budget comme outil d’aide à la décision qui ont conduit aux transformations organisationnelles à l’image de celles subies par les entreprises américaines.

Apparaissent ainsi, de manière semblable au secteur public, trois fonctions primitives du budget caractérisant ses premières utilisations dans le secteur privé : synthèse d’une activité importante et diversifiée dans un projet financier succinct mettant en évidence les principaux objectifs et leviers d’action ; contrôle du management délégué dans une structure décentralisée en forme-M ; outil de gestion et d’aide à la décision (à travers des simulations) pour les managers des divisions.

Néanmoins, la seule rationalité organisationnelle ne suffit pas pour expliquer la diffusion de l’outil budgétaire dans le secteur privé. La compréhension du processus de mise en place de la technique budgétaire ne serait pas complète si on ne tenait compte du contexte économique et social qui l’a conditionnée. Bien que les approches socio-économique et organisationnelle du sujet semblent opposées aux yeux de certains auteurs, l’avantage de leur

combinaison est de donner une vision plus complète des deux facettes du phénomène étudié. Il est important, pour cette raison, de présenter ici un bref aperçu des différents types de travaux historiques en comptabilité managériale (des coûts) et contrôle de gestion.

Anne Loft1, citée par Boyns et al. (1997: pp. 394-396), distingue quatre approches théoriques dans les recherche historiques en comptabilité et contrôle : traditionnelle, néoclassique révisionniste, approche par le processus du travail et foucaultienne. L’approche traditionnelle (avec des représentants comme Littleton, Garner, Solomons) se caractérise par une étude de la littérature comptable antérieure et avance dans ces conclusions l’idée que le développement des systèmes de comptabilité des coûts est étroitement lié au développement industriel des pays et dépend largement des facteurs économiques externes à l’entreprise. L’approche néoclassique révisionniste (Chandler (1989), Johnson et Kaplan (1987), Fleischman et Parker (1992)) reprend l’idée de l’influence de l’environnement sur les pratiques comptables mais procède par des études des pratiques dans les entreprises. Ces auteurs découvrent ainsi des pratiques bien plus développées dans le passé que les auteurs contemporains le laissaient entendre. Ils soutiennent, de surcroît, que les pratiques comptables ont eu un rôle actif dans les transformations organisationnelles de entreprises à la fin du XIXe et au début XXe siècle. Les deux autres approches historiques s’opposent aux précédentes dans le sens où elles empruntent des voies sociologiques dans l’interprétation des faits historiques. L’approche par le travail est fondée sur les travaux de Karl Marx et présente l’évolution des techniques comptables comme fonction des stades de développement du capitalisme, de la socialisation du capital et de l’organisation de la force de travail (Armstrong et al., 1996; Toms, 2005). Enfin, les approches foucaultiennes s’inspirent des travaux de Michel Foucault et présentent les techniques comptables comme la réalisation du pouvoir à travers le contrôle et la surveillance ; le pouvoir lui-même étant engendré par les pratiques discursives et soutenu par la connaissance (Ezzamel et al., 1990; Hoskin et Macve, 2000).

Loft admet également que des influences et des emprunts peuvent exister entre ces différentes approches, ce qui peut avoir comme avantage d’enrichir leurs conclusions. Cependant, Boyns et al. (1997: p. 396) soulignent qu’ « il incombe aux historiens d’essayer

d’isoler l’importance relative des différentes influences, plutôt que de défendre qu’il en existe plusieurs ». Revenant aux fondements épistémologiques de notre travail, nous nous opposons

à cette conclusion de Boyns et al. En nous appuyant sur la démarche dialectique exposée dans

1 A. Loft (1995), “The history of management accounting: relevance found” in D. Ashton, T. Hopper et R.W Scapens (eds) Issues in Management Accounting, London, Prentice Hall, pp. 21-44

l’introduction, nous défendons ici l’idée que la vraie compréhension des phénomènes ne peut se faire que dans l’acceptation de la complexité et des contradictions apparentes des différentes approches historiques. Car chaque approche individuelle néglige certains aspects du phénomène mis en avant par les approches concurrentes.

Nous essayons donc ici de rompre ces clivages. La première partie de notre analyse historique était logiquement fixée autour des facteurs organisationnels (internes aux organisations) de l’apparition et du développement de la technique budgétaire dans le secteur privé car ils présentaient de fortes ressemblances avec le secteur public. Il convient maintenant d’aborder les aspects spécifiques au secteur privé (externes aux organisations), liés généralement à l’environnement économique et aux processus sociaux de propagation et de diffusion des idées et des paradigmes. Cette analyse reposera également sur les approches déterministes de l’environnement socio-économique mais des idées issues des travaux de sociologues vont être mobilisées pour mieux rendre compte de la complexité du phénomène.

1.1.3. Les conditions économiques et sociales de propagation et de diffusion de la

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