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Le budget : un outil primordial pour le contrôle de gestion classique

LE BUDGET COMME OUTIL PRINCIPAL DU CONTROLE DE GESTION : EVOLUTIONS ET REVOLUTIONS

Chapitre 1. La conception traditionnelle de l’outil budgétaire

1.2. L’âge de la maturité du contrôle budgétaire : consolidation des pratiques budgétaires et construction de la théorie

1.2.1. La place du budget dans la définition classique du contrôle de gestion

1.2.1.2. Le budget : un outil primordial pour le contrôle de gestion classique

L’importance du budget dans les premières conceptions du contrôle de gestion est indéniable. La consolidation de la théorie du contrôle sur les bases des théories économiques néoclassiques et des théories behavioristes ainsi que la définition systémique du positionnement de la fonction dans le cadre organisationnel sont accompagnées d’une consolidation de la place centrale du budget. Cette place s’exprime d’abord par le rôle central du budget dans le processus de planification et de contrôle mais apparaît également à travers les multiples fonctions attribuées au budget.

a) Une place centrale pour le budget dans le processus de planification et contrôle

Pendant les années 1970-1980 la théorie du contrôle trouve une stabilité relative et permet le développement d’une importante quantité de recherches. À la fin de cette période la place du budget dans la théorie et dans les pratiques des entreprises est consolidée. Vingt ans après qu’Antony ait proposé sa première définition du contrôle de gestion, le paradigme behaviouriste a généré une masse considérable de travaux scientifiques (Hopwood, 1989). La définition initiale que l’auteur donne au contrôle de gestion évolue en conséquence et l’on y voit intégrés les comportements humains. Le rôle purement économique du contrôle est relativisé :

« Le contrôle de gestion est le processus par lequel les dirigeants influencent les membres de l’organisation pour mettre en œuvre les stratégies organisationnelles » (Anthony, 1988: p. 34)

Cependant, Antony s’empresse de préciser que même si « les considérations d’ordre

comportemental sont importants dans la compréhension du processus [de contrôle] », « les critères sur lesquels sont jugés les actions des dirigeants [demeurent] l’efficacité et l’efficience » (ibid.). Pour atteindre cette efficacité et efficience le rôle du budget est

primordial. Il permet la transformation des programmes à long terme en projets d’actions concrètes de court terme prêts à être exécutés. De surcroît, le budget assure la boucle

récursive permettant le contrôle rétroactif et la correction des actions dans la direction des objectifs (cf. Schéma 1.3.).

Il ressort de ce schéma l’idée que la budgétisation est un maillon important du cycle de contrôle de gestion. Sans ce maillon la chaîne serait incomplète tant au niveau de la transformation des programmes en action que pour la réalisation du contrôle rétroactif (feedback).

En plus de ce côté clairement cybernétique Anthony s’attaque également aux aspects comportementaux du contrôle de gestion. Là aussi le rôle du budget est très important. Il permet d’engager une discussion entre la direction et les managers des centres de responsabilité et favorise ainsi l’ajustement entre les objectifs personnels des différents acteurs. L’auteur reconnaît également la création des poches de sécurité avec cette négociation (le slack budgétaire dont nous allons discuter dans le chapitre suivant) mais affirme que sans cela le budget est irréaliste car les hommes ne travaillent que rarement à leur capacité maximale. Le budget et les objectifs budgétaires sont donc vus par Anthony comme un moyen adéquat pour atteindre une motivation et un rendement raisonnables.

Il est intéressant de remarquer que, selon les critères de Geert Hofstede (1981) (cf. Annexe 1), le processus de contrôle de gestion présenté par Anthony est de nature

Révision des budgets Évaluation Exécution Programmation Budgétisation Action Stratégies Informations externes Informations externes Informations externes Informations externes Développement de nouvelles stratégies

Schéma 1.3. Les phases du contrôle de gestion

cybernétique car il suppose au moins que les objectifs sont clairs et les résultats mesurables. La métaphore du thermostat proposée par Anthony au début de l’ouvrage illustre bien ces hypothèses même si l’auteur n’utilise jamais le terme « cybernétique »1. Par ailleurs, même s’il souligne l’importance des comportements humains et l’intention de les diriger par le contrôle de gestion vers les objectifs organisationnels, le mode de contrôle dont il discute les paramètres, ne vise pas les comportements eux-mêmes mais leurs résultats. Selon la classification de Merchant (1985a) il s’agit donc d’un mode de contrôle organisationnel par les résultats. C’est dans ces conditions que le budget trouve sa véritable place d’outil privilégié du contrôle de gestion

C’est également dans ce cadre conceptuel que le budget est proclamé comme le principal outil de contrôle de gestion par les auteurs français. Pour M. Gervais (1983: p. 6) :

« ...le contrôle de gestion s’exerce, d’une façon privilégiée, au moyen d’un système, comprenant des budgets et un processus de contrôle budgétaire et que l’on appelle système budgétaire. »

L’auteur reconnaît également les facteurs comportementaux influençant la mise en place du contrôle budgétaire. Toutefois la posture de Gervais, qui discute de la conception d’un système budgétaire, est différente de celle d’Anthony qui parle plutôt d’un système budgétaire existant (ibid.) :

« dans la mesure où [le budget] porte sur des groupes d’individus, il ne pourra pas être opérationnel que s’il est accepté. La connaissance du groupe humain auquel il s’applique est donc une condition essentielles de sa réussite »

Pour Gervais le « contrôle de gestion ne se réduit pas au système budgétaire ». Toutefois sans le budget le contrôle de gestion « prendra d’autres formes, souvent moins

sophistiquées » (ibid.). Les autres outils de contrôle sont également utilisés, mais le rôle du

système budgétaire est prédominant « car bien souvent les ratios, les tableaux de bord, les

informations extra-comptables s’établissent et se jugent par rapport [au budget] » (Gervais,

1983: p. 10). Le système complet de contrôle de gestion comprend selon l’auteur un plan stratégique, un plan opérationnel, des budgets et un processus de contrôle budgétaire.

Henri Bouquin (1992) présente une vision tout à fait similaire de la place des budgets dans le contrôle de gestion. Il propose de visualiser les relations entre stratégie, programme et budgets de manière suivante (cf. Schéma 1.4 – page suivante).

1 L’approche cybernétique dont on parle ici est plus ouverte comparée à celle du premier ouvrage d’Anthony car elle tient compte des facteurs comportementaux et des contingences de l’environnement. L’auteur n’insiste plus de manière explicite sur la description systémique du concept mais consacre toutefois un chapitre au système d’information du contrôle de gestion et un autre aux facteurs externes qui influencent le contrôle de gestion.

Il s’agit ici du bien connu triptyque Plans-Programmes-Budgets défendu par Igor Ansoff (1977). Le choix stratégique consiste à retenir un parmi plusieurs axes de développement possibles. Il est effectué après la définition du métier de l’entreprise et après le recensement des alternatives stratégiques. Le choix stratégique donne ainsi les grandes finalités. Encore faut-il que ces finalités soient rendues opérationnelles. Ceci est fait dans la phase suivante d’élaboration des Plans d’action. Une fois les actions à engager définies, il faudra les décomposer par étapes élémentaires, affecter chaque étape à une personne responsable, définir les ressources et le temps nécessaire et enfin définir les conséquences attendues. C’est la phase de la formulation des programmes. Pour H. Bouquin (1992) toutes ces phases jusqu’ici s’articulent dans un langage économique. C’est maintenant que les budgets interviennent pour transformer cela en langage financier. Ainsi, pour l’auteur les budgets représentent le chiffrage financier et comptable des programmes.

Cette interprétation du rôle des budgets dans le système de planification est loin d’être la seule. Pour Jean Meyer (1988: p. 15) par exemple, la planification concerne « le moyen (ou

long) terme de l’entreprise, dans son ensemble, traduit en termes économiques et financiers.

[…] La planification est à une période de cinq ans ou plus, ce que la gestion budgétaire est à

l’année ». Pour cet auteur les budgets ne sont pas une traduction comptable et financière des

plans. Ils représentent tout simplement le découpage de ces plans en tranches annuelles – un modèle annuel, économique et financier de l’activité déduit du modèle à moyen (long) terme.

Le rôle central du budget dans le contrôle de gestion s’exprime non seulement par sa place dans le processus de planification et contrôle mais aussi par son rôle de structuration et de responsabilisation pour les différentes parties de l’organisation. La répartition de

Choix Stratégique

Plans

d’Action Programmes Budgets

Langage économique Langage financier

Schéma 1.4. Les phases de la démarche de planification et la place

l’organisation en centres de responsabilités et l’attribution des responsabilités budgétaires respectives semble être un phénomène récent qui s’est greffé à l’outil budgétaire :

Bien que les coûts standards et le contrôle budgétaire soient développés dans les premières décennies du vingtième siècle, ce n’était qu’à la fin des années 1950 et début des années 1960 que c’est développée rapidement la gestion par centres de responsabilité [responsibility accounting]... (Scapens, 1911 : p. 17)1

Ainsi, Anthony dédie une section entière à la gestion par centres de responsabilité dans son ouvrage de 1988 en précisant les objectifs pertinents pour chaque type de centre. Cependant, pour Michel Gervais (1983: p. 134) « le problème de la détermination des

responsabilités financières à assigner au responsable d’un budget en fonction des caractéristiques techniques et économiques de l’entreprise est relativement complexe à résoudre ». Il s’agit ici de distinguer a priori les facteurs sur lesquels le responsable peut

effectuer une certaine influence (facteurs endogènes) de ceux qui restent hors de sa portée (facteurs exogènes). La nature des facteurs permet de définir le type de centre de responsabilité, pour cerner ensuite le champ de responsabilité financière qui va être attribuée au manager à travers le budget. Cinq types de centres de responsabilité peuvent être distingués : centres de coûts standard, centres de dépenses discrétionnaires, centres de recettes, centres de profit, centres d’investissement. Dès le début du XXe siècle, les premières utilisations du budget étaient, nous l’avons montré, intimement liées au besoin de contrôler le management délégué. En raison de sa structure comptable et financière parfaitement adaptée à la gestion par centres de responsabilité, le budget devient dans les années 1960 le principal outil de contrôle aussi bien des centres d’investissement et de profit pour lesquels il a été développé initialement que des centres de coût, de dépenses discrétionnaires et de recettes.

b) Une multitude de fonctions attribuées au budget

La place centrale du budget dans le processus de contrôle lui vaut l’attribution de multiples fonctions. Certaines d’entre elles dépassent ce pourquoi l’instrument était conçu à l’origine et ont pour but de répondre aux nouvelles exigences des théories comportementales de la firme. Berland (1999a) propose une synthèse très complète des fonctions attribuées au budget dans la littérature de la deuxième moitié du XXe siècle (Tableau 1.2. – page suivante).

1 R.W. Scapens, (1991), “Management Accounting: A Review of Recent Developments”, 2e éd., Macmillan, London, cité par Boyns (1998: p. 270)

Tableau 1.2. Les fonctions du système budgétaire (selon Berland, 1999a)

Études Fonctions du budget

R. Baudet [1941] 1. la prévision et l’établissement du programme d’activité, 2. l’observation continue des événements capables de

modifier les prévisions,

3. la recherche des causes d’écarts et la fixation des responsabilités,

4. la coordination entre les différents services,

5. le contrôle comptable des coûts de revient standards. G. Hofstede [1967] 6. autorisation de dépenses

7. planification 8. prévision

9. mesure des résultats A. Hopwood [1974] 10. coordination 11. délégation d’autorité 12. planification 13. motivation E.M. Barrett, L.B. Fraser [1977] 14. planifier 15. coordonner 16. motiver 17. éduquer 18. évaluer

D.T. Otley [1977] 19. les budgets sont des objectifs, ils servent d’instruments de motivation,

20. les budgets sont des prévisions, 21. ils sont un moyen de communiquer,

22. les budgets sont des standards pour évaluer la performance,

23. ils sont un moyen d’augmenter la satisfaction au travail grâce à la participation.

L. Samuelson [1986]

24. planification 25. coordination

26. contrôle des résultats

27. détermination des objectifs financiers 28. comparaison des performances 29. motiver financièrement

30. aider à la décision

31. habituer à penser avec une logique financière 32. rituel, habitude

S.R. Lyne [1988] 33. les budgets servent à faire des prévisions plus qu’à motiver,

34. ils servent à contrôler et à expliquer les écarts, 35. ils n’exercent pas de pression sur les salariés, 36. le degré de participation n’est pas grand,

P. Bunce et al.

[1995] 38. prévision financière 39. permet le contrôle des coûts d’exploitation et d’investissement

40. gestion des flux de trésorerie

41. fixation des objectifs pour l’entreprise mais aussi à titre personnel

42. planification des moyens et affectation des ressources 43. évaluation des performances

44. outil de communication qui accroît la visibilité 45. établissement des prix de cession

46. utile pour la détermination des coûts standards H. Bouquin [1997] 47. instrument de coordination et de communication

48. outil essentiel de gestion prévisionnelle 49. outil de délégation et de motivation

La multitude apparente de fonctions attribuées au budget peut être résumée en trois grandes fonctions classiques :

a. planification et gestion prévisionnelle : le budget est utilisé pour imaginer le futur, y situer l’entreprise, simuler les conditions de l’environnement et envisager les décisions alternatives ;

b. coordination : le budget sert à assurer l’harmonie entre les différentes fonctions, départements et divisions de l’organisation ;

c. contrôle et suivi : dans un sens cybernétique (comparer le réel au prévu et corriger les actions), et dans un sens organisationnel (surveiller les responsabilités déléguées).

Une quatrième fonction s’ajoute à celles-là. Elle est liée aux aspects comportementaux de l’utilisation de l’outil budgétaire et concerne la motivation des individus et l’animation sociale. Aussi, commence-t-on à parler depuis les années 1970 de la participation budgétaire comme remède au manque de motivation des managers et des employés dans l’exécution des budgets définis par la hiérarchie sans aucune concertation (Brownell, 1981; 1982b; Shields et Shields, 1998). Les discussions sur la question de la participation budgétaire semblent remonter aux ouvrages des initiateurs de l’approche behavioriste dans la comptabilité managériale - Argyris (1952) et Hopwood (1976). Selon des recherches plus récentes, la participation à l’établissement des budgets entrainerait une intériorisation des objectifs budgétaires, une meilleure satisfaction au travail, plus de motivation de la part des employés, moins de distorsions de l’information, moins de slack budgétaire et au final une meilleure performance (Brownell, 1981; Brownell, 1982b; DeCoster et Fertakis, 1968; Hopwood, 1976). Cependant cette relation ne serait pas universelle mais dépendrait de plusieurs facteurs come l’incertitude de l’environnement, la précision/l’incertitude des tâches et la pression au

travail (Brownell et Dunk, 1991; Brownell et Hirst, 1986; Chenhall et Brownell, 1988; Dunk, 1993a; 1993b; Govindarajan, 1986a; Merchant, 1985b). Toutefois, la participation budgétaire n’a pas uniquement des adeptes : certaines études empiriques révèlent qu’elle peut augmenter le slack budgétaire et donc réduire la performance générale (Dunk, 1990; 1993a; Schiff et Lewin, 1970). Les recherches sur la participation budgétaire ouvrent ainsi la voie aux discussions confrontant les approches budgétaires « top-down » et « bottom-up ».

Bien qu’en général les fonctions budgétaires soient nombreuses, les recherches récentes montrent que, dans les pratiques, pour une seule et même organisation, le budget n’accomplit qu’une partie des rôles qui lui sont attribués dans la littérature théorique. Il semble par exemple que l’utilisation du budget se fait en fonction du type de management stratégique mis en œuvre par la direction (Berland, 1999a).

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