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Le changement du contexte économique et organisationnel et la mise en exergue des défauts conceptuels du budget classique

Conclusion du chapitre

Chapitre 2. L’utilité des budgets mise en question

2.2. L’émergence d’un mouvement pour le renouvellement du contrôle de gestion : de nouveaux outils pour un contrôle de gestion adapté à

2.2.2. Le changement du contexte économique et organisationnel et la mise en exergue des défauts conceptuels du budget classique

Les changements intervenus dans l’environnement économique depuis le début du siècle dernier sont considérables. Aujourd’hui, cent ans après son idée de génie, Henry Ford ne pourrait plus inonder le continent nord-américain avec des millions d’automobiles identiques1. Aujourd’hui les conditions économiques ne sont plus celles de la production de masse classique : dans de nombreux secteurs l’offre dépasse la demande en capacité et poussée par le progrès technique, la concurrence entre les offreurs est menée non seulement sur le prix, contrairement aux théories économiques traditionnelles, mais aussi sur les produits et leur adaptation aux exigences des clients. Autant dire que le client dicte aujourd’hui les conditions du marché. Cela pousse les entreprises à innover constamment, à développer leurs

1 Sloan avait déjà remarqué cette tendance dans les années 1920 et la diversification de General Motors a porté ses fruits dans la bataille contre Ford. Cependant, la réalité actuelle s’avère encore plus complexe et l’ère de l’information modifie encore plus la donne. À ce sujet un intéressant aperçu sur les évolutions du marché international de l’automobile est présenté dans KATZ H.C. et SABEL C.F. (1985), "Industrial Relations and Industrial Adjustment in the Car Industry", Industrial Relations, Vol. 24, N° 3, Fall, pp. 295-315

ressources humaines et à réorganiser leur mode de fonctionnement pour l’adapter à une offre sur mesure. Le développement considérable du secteur des services dans la période après la Deuxième guerre mondiale avait déjà changé les exigences en termes de gestion et mis en avant le rôle des ressources humaines. Aujourd’hui le boom du secteur des nouvelles technologies de l’information et de la communication impose lui aussi de nouveaux besoins en termes d’outils de gestion. Des besoins différents de ceux qu’avait l’entreprise industrielle du début du siècle dernier et qui ont trouvé leur reflet dans la technique budgétaire traditionnelle. Les budgets montrent aujourd’hui de nouveaux défauts, différents de ceux des années 1970-1980, car liés davantage à certains aspects du concept même de l’outil qu’à son application technique. Il est utile d’étudier ici plus en détail ces défauts et leurs conséquences sur l’utilisation des budgets.

2.2.2.1. Le réductionnisme des indicateurs comptables et financiers

Nous l’avons noté précédemment, le budget est conçu exclusivement comme un outil comptable et financier. Or, la stratégie ne s’exprime pas uniquement en termes financiers, encore moins si l’on veut la rendre proche du terrain, des activités et des préoccupations des opérationnels (Kaplan et Norton, 2001; Senez, 1996a). Ainsi, une des critiques le plus souvent prononcées à l’encontre du budget est qu’il traduit mal la stratégie (Berland, 2002a; Bescos et al., 2004; Chauvot, 2001; Deschamps, 1997; Hope et Fraser, 1999c; 1999b; 1999a; 2003; Marcino, 2000). Il est impossible selon ces auteurs de représenter la complexité des facteurs clés de succès et des leviers d’action qui sont capables de les contrôler à travers les quelques indicateurs financiers très synthétiques que regroupe un budget. Il faut alors enrichir et compléter les mesures financières de performances avec des outils incluant des mesures non financières.

2.2.2.2. Inadaptation à la structure de l’entreprise moderne

Selon J. Hope et R. Fraser (1997; 1999c) le contrôle de type comptable effectué à travers les budgets est caractéristique des entreprises de forme-M travaillant dans un environnement stable. Aujourd’hui les entreprises dont les environnements sont incertains et turbulents ont adapté la forme-N, beaucoup plus souple mais incontrôlable à travers les budgets classiques.

R. H. Chenhall (2003) propose un important état de l’art des travaux faisant référence à la théorie de la contingence et qui portent sur les caractéristiques des systèmes de contrôle de gestion. L’auteur observe qu’une grande partie des travaux associe les budgets et les

contrôles comptables à l’entreprise à structure mécaniste, alors que l’entreprise à structure organique suppose des contrôles sociaux, des contrôles par les comportements, la culture, le clan ou encore par des budgets souples ou participatifs. Ces modes de contrôle propres à l’entreprise organique doivent être appuyés par l’apprentissage individuel et organisationnel pour lesquels le budget semble être un frein. Nous avons déjà discuté de cette insuffisance conceptuelle des budgets et des recherches empiriques du courant de la contingence qui l’ont révélée au cours des années 1970-1980. Un tel type de défaillance suppose une relecture des principes reposant au sein du noyau théorique du contrôle de gestion (universalité du modèle financier, découpage fonctionnel de l’organisation, découpage en centres de responsabilités etc.). Ce travail n’a cependant pas été réalisé jusqu’au milieu des années 1990 et les budgets ont conservé leur place primordiale au sein de la théorie du contrôle de gestion.

2.2.2.3. L’incapacité de gérer la création de valeur par les budgets

Même en tant qu’outil financier et comptable, les budgets ne permettent pas de prévoir, mesurer et contrôler la création de valeur pour les actionnaires. C’est du moins le reproche formulé par J. Hope et R. Fraser (1997; 1999c). Selon ces auteurs l’entreprise moderne est appelée à gérer des actifs incorporels de plus en plus importants. Ces actifs qui forment une partie considérable de la valeur des firmes, restent invisibles pour la comptabilité et donc pour les budgets. On rejoint ici, dans une certaine mesure, la première critique formulée plus haut. En revanche, ce dernier reproche est beaucoup plus profond car il remet en cause la capacité même des indicateurs budgétaires à fournir des moyens d’action pour assurer la maitrise de l’ultime critère financier de performance qu’est la création de valeur pour l’actionnaire.

2.2.2.4. Les difficultés d’application des budgets en environnement incertain

C’est la conclusion générale de Hope et Fraser (1999c) et la raison principale pour laquelle « les budgets doivent partir ». Pour J. Wallander (1999), le directeur général de Svenska Handelsbanken et ancien chercheur en économie déçu de l’incapacité prévisionnelle des méthodes statistiques, il n’est pas question de garder les budgets car ils sont trop rigides pour l’environnement actuel si turbulent. Dans un tel environnement le seul repère c’est le positionnement par rapport à la concurrence.

La planification et le contrôle sont dans le système budgétaire deux fonctions étroitement liées : c’est sur la base du cadre posé par la planification qu’on effectuera ensuite le contrôle de gestion par le système des budgets. Or, comment peut-on contrôler quand la

planification échoue systématiquement à poser un cadre relativement stable et pertinent dans un environnement trop turbulent et complexe ? L’incapacité de l’homme à prévoir dans un environnement incertain (Gervais et Thenet, 1998; Wallander, 1999) rend les chiffres budgétaires irréalistes peu de temps après leur fixation. Cela provoque ensuite des problèmes de poursuite d’objectifs erronés, des problèmes d’évaluation des performances, des problèmes de motivation etc. (Berland, 2002a). De plus, la période budgétaire d’un an généralement pratiquée ne correspond plus au rythme avec lequel changent les conditions de l’environnement. Pour conserver la pertinence des standards il faudra réviser les budgets tous les trimestres et même parfois mensuellement – une tâche impossible pour les systèmes budgétaires traditionnels trop lourds et trop coûteux (Berland, 2002a).

Pour un environnement turbulent et complexe dont les caractéristiques changent de façon imprévisible le seul moyen de voir plus clair dans le futur est de suivre l’évolution des facteurs qualitatifs et non financiers. Car ce sont ces derniers qui conditionnent le changement des indicateurs financiers et qui sont les vrais inducteurs de valeur (Hope et Fraser, 1999c; Kaplan et Norton, 2001; Wallander, 1999).

Pour résumer, il existe deux problèmes conceptuels majeurs qui risquent de provoquer un changement profond dans la théorie des budgets. Le premier c’est l’incertitude de l’environnement qui rend difficile la planification et exige l’utilisation d’indicateurs de gestion autres que les indicateurs comptables ainsi que la mise en place d’un contrôle plus stratégique. Le deuxième problème conceptuel et le changement de la vision de l’entreprise et donc de son mode de gestion : l’importance de l’apprentissage organisationnel, des facteurs clés de succès qui ne sont pas nécessairement financiers et le besoin de contrôles plus souples exercés par la culture ou par les comportements. On peut supposer que ce changement de la vision de l’entreprise et de son mode de gestion est en partie dû (ou au moins lié positivement) aux changements observés dans l’environnement (Hope et Fraser, 1997).

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