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La « gestion sans budget » - réalité ou discours ?

Conclusion du chapitre

Chapitre 2. L’utilité des budgets mise en question

2.3. La place des budgets dans le nouveau contrôle de gestion : entre abandon et renouvellement

2.3.1. La « gestion sans budget » - réalité ou discours ?

Le précurseur du mouvement radical de la « gestion sans budget » est sans doute J. Wallander. Il décide, en prenant en 1979 le poste de directeur général de la banque suédoise Svenska Handelsbanken, d’abandonner la pratique « vicieuse » de confectionner des prévisions budgétaires qui ne servent à rien d’autre qu’à borner les initiative managériales dans un cadre très arbitraire de prévisions qui ne se réalisent jamais (Wallander, 1999). Pourtant, l’idée de se « débarrasser des budgets » s’est répandue bien plus tard - au début des années 1990 (Berland, 2002a) - car c’est à ce moment que les nouveaux outils de contrôle ont commencé à se structurer et que les changements imminents de l’environnement économique se sont fait sentir.

En décembre 1997, presque deux décennies après la première expérience de J. Wallander, deux consultants, Jeremy Hope et Robin Fraser, publient dans Management

Accounting l’article « Au-delà des budgets… », devenu par la suite une référence incontournable. Dans cet article ils accusent les budgets d’être « la barrière vers l’âge de

l’information » en rendant la gestion de l’entreprise trop rigide et indifférente aux vrais

facteurs de création de valeur. Les deux auteurs se lancent, par la suite, dans des études sur la gestion sans budgets au sein du CAM-I1 et signent de multiples articles dans d’autres revues et magazines professionnels. Ils publient en 1999 un deuxième article dans Management

Accounting qui récapitule leurs travaux. Ils y présentent une liste des raisons pour lesquelles

« les budgets doivent partir » et exposent les principes de la gestion sans budgets. Hope et

1 Cet acronyme signifiait au départ Computer Aided Manufacturing – International pour devenir ensuite

Consortium for Advanced Management – International. C’est une coopérative de réflexion qui réunit de grandes

Fraser réalisent de multiples recherches sur des entreprises ayant abandonné les budgets ou prêtes à le faire. Leur exemple favori c’est bien sûr le pionnier dans le domaine la Svenska Handelsbanken. La liste de adeptes de la « gestion sans budget » s’élargit avec le temps et en 2002 inclut selon les données de CAM-I (Berland, 2002a) des sociétés d’importance internationale comme : SKF, Borealis A/S, Volvo Car Corporation, BULL, BP Amoco Chemicals, General Electric, Lloyds TSB, Asea Brown Boveri (ABB), British Petroleum, Microsot, IKEA, Ericsson etc. On remarque, par ailleurs, la diversité des secteurs d’activité auxquels appartiennent ces sociétés.

Quant au fonctionnement de la « gestion sans budget », il est expliqué d’abord par Hope et Fraser qui, suite aux observations effectuées dans le cadre du projet de CAM-I, formulent ses dix grands principes. Selon ces auteurs, au centre de la « gestion sans budgets » reposent deux nouveaux outils : les Rolling forecasts et le Balanced Scorecard (voir Schéma 2.5.). Les Rolling forecasts ont notamment pour but de se substituer aux budgets classiques et d’assurer la planification et le contrôle financier à cour terme. Ils restent toutefois moins détaillés au niveau de la planification et plus souples lors du contrôle pour donner ainsi plus de marge à l’initiative et à l’apprentissage individuels et permettre au final une meilleure adaptation aux changements imprévus.

Vision Stratégie Plan et budgets Contrôle “Keep on track” Objectifs Stratégie Plans Rolling forecasts Rapports Cycle annuel Focalisation comptable

Modèle traditionnel Modèle émergent

Culture : contrat, conformisme et contrôle Culture : entreprendre et apprendre Processus continu Cycles révisables Centré valeur

Les nouveaux mécanismes de gestion

Le Balanced Scorecard est certainement l’outil le plus important dans la « gestion sans budgets ». Il regroupe les principaux indicateurs stratégiques et leurs dérivées pour la gestion à court terme en faisant ainsi la transition du contrôle stratégique au contrôle de gestion. Le but principal du Balanced Scorecard est de transmettre les objectifs stratégiques à tous les niveaux de l’entreprise en formulant également les actions à réaliser et les indicateurs de mesure pour chaque objectif stratégique (Kaplan et Norton, 2001). Ici les objectifs financiers ne constituent qu’une partie des objectifs stratégiques et leur suivi est assuré par les

Rolling forecasts. L’obligation pour les managers d’accomplir les objectifs financiers n’est

pas absolue car elle est contrebalancée ou « équilibrée » par les exigences de réussite dans les autres axes : Clients, Interne et Innovation et Apprentissage. En outre, la détermination des objectifs dans la « gestion sans budget » se veut moins arbitraire car elle se fait à l’aide d’un autre « nouvel » outil - le Benchmarking (Hope et Fraser, 1999c; Wallander, 1999).

En observant de plus près la « gestion sans budget » l’on peut constater qu’il ne s’agit pas nécessairement de l’application d’un mode de contrôle particulièrement différent de celui effectué par les budgets. En effet si l’on retient la classification des modes de contrôle d’Eve Chiapello (1996)1, selon le critère « moyens, procédés et instruments de contrôle utilisés » on peut classer la « gestion sans budget » dans le même groupe que la gestion budgétaire, à savoir celui du contrôle par l’organisation et ses règlements et procédures. Le contrôle sans budget s’inscrit donc, lui aussi, dans le modèle cybernétique fondé sur la mesure. Il s’agit, par ailleurs, d’un mode de contrôle administratif (Merchant, 1981) ou encore fondé sur les résultats (Merchant, 1985a). Simons (1995: p. 66) cite même le Balanced Scorecard comme exemple d’outil de contrôle diagnostic, bien qu’il précise que dans d’autres conditions et sous une autre forme d’utilisation il peut se révéler un outil du contrôle interactif. Tout cela ne rend pas la gestion sans budget d’emblée plus adaptée à la structure organique ou à la forme-N. En revanche, au sein du même mode de contrôle, sa supériorité par rapport au contrôle budgétaire devrait apparaître au niveau des mesures plus adéquates des divers paramètres de la performance, ainsi qu’au niveau de la représentation plus réaliste du modèle économique.

Quant aux résultats économiques de l’application de la gestion sans budget, l’on peut dire aujourd’hui qu’ils sont assez divergents. Parmi les entreprises dans la liste de CAM-I l’on

1 À partir d’une revue de la littérature Eve Chiapello propose un classement des modes de contrôle selon plusieurs critères. Selon le critère « Quels sont les moyens, les procédés et les instruments de contrôle ? » elle propose la typologie de synthèse suivante : a) Contrôle par le marché, pression des clients ; b) contrôle par l’organisation : règlements et procédures, bureaucratie, modèle cybernétique fondé sur la procédure, DPO, structure formelle ; c) contrôle par la culture : de l’organisation, clan, de la société des professions ; d) contrôle par les interactions individuelles : petits groupes, leaders…

remarque certaines qui se portent plutôt bien comme SKF, General Electric ou IKEA et d’autres qui vont assez mal comme l’exemple français - Rhodia. Il est, en effet, difficile d’attribuer l’état de santé d’une entreprise au seul fait d’utiliser ou pas les outils traditionnels de contrôle de gestion (Ekholm et Wallin, 2000).

Mis à part ce petit groupe de « révolutionnaires » qui, parfois pour des raisons essentiellement de politique interne (Berland, 2002a), déclarent ne plus utiliser les budgets même si les Rolling Forecasts dont ils se servent leur ressemblent beaucoup, la plupart des entreprises reconnaissent continuer à utiliser le budget sous une forme ou une autre.

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