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Les raisons de la naissance des budgets et du contrôle budgétaire : une possibilité d’établir des parallèles entre les secteurs public et privé

LE BUDGET COMME OUTIL PRINCIPAL DU CONTROLE DE GESTION : EVOLUTIONS ET REVOLUTIONS

Chapitre 1. La conception traditionnelle de l’outil budgétaire

1.1. Les premières utilisations et le développement de la technique budgétaire

1.1.1. Les raisons de la naissance des budgets et du contrôle budgétaire : une possibilité d’établir des parallèles entre les secteurs public et privé

Selon les historiens de la comptabilité la technique budgétaire n’est pas une invention du XXe siècle mais a des racines bien plus anciennes. Ainsi, T. Boyns (1998), se référant aux travaux de D. Solomons1, voit ses origines dans l’Empire des Pharaons. Quant à l’histoire plus récente, D. Solomons (cité par Boyns) donne comme exemple le gouvernement Britannique qui utilise les budgets et le contrôle budgétaire depuis plus de deux siècles comme technique du financement public (financial procurement). Pour Fleischman et Marquette (1986) ce sont les dispositions de la Magna Carta votée en 1215, qui jetèrent les bases d’un contrôle des finances publiques à travers l’approbation par le Grand Conseil du Royaume de l’impôt perçu par le roi d’Angleterre. Néanmoins, ce fut bien plus tard à la fin du XVIIIe siècle que le premier ministre britannique William Pitt le Jeune, inspiré par les travaux d’Adam Smith, mit en place une véritable politique financière appuyée par une planification et un contrôle budgétaire rigoureux. Par ailleurs, dans son dictionnaire étymologique de la langue française de 1829 B. de Roquefort2 assimile le terme français fisc (d’origine latine -

fiscus - signifiant panier) avec le terme anglais budget (d’origine française – signifiant sac de

1

Solomons, D. (1952) “The historical development of costing”, in Solomons, D. (ed.) Studies in Costing, London: Sweet & Maxwell, pp. 1–52.

2 B. de Roquefort (1829), « Dictionnaire étymologique de la langue françoise, où les mots sont classés par familles : contenant les mots du dictionnaire de l'Académie françoise... » avec dissertation sur l’étymologie de J.-J. Champollion-Figeac., Décourchant Imprimeur-éditeur, Paris. Disponible sur : http://www.europeana.eu

cuir). Dans un autre ouvrage du XIXe siècle P. Larousse1 affirme que le mot anglais budget utilisé très fréquemment dans le français de l’époque dans sa signification anglaise provient en réalité du mot français bougette, dont « le primitif [...] est le mot celtique bolga, bourse, petit sac de cuir » (p. 154).

En France, l’utilisation de la technique des budgets est également ancienne. Boyns cite pour preuve la référence à la technique dans un travail de l’auteur français et propriétaire terrien De Cazaux qui date de 1824 et dont l’objet est la comptabilité agricole. Selon Mattessich (2003), qui cite Solomons (1968 : p. 42)2 De Cazaux fut le « premier auteur [...] à

s’être intéressé à la comptabilité pour le futur ». On peut ajouter à la liste des premiers

auteurs français ayant écrit sur le budget le nom de H. Fedou (1883). Dans son ouvrage sur la comptabilité des Fabriques (les entités locales autogérées de l’Église) la présentation de la technique budgétaire prend une partie entière. Fedou cite pour fondement légal du budget des Fabriques un décret gouvernemental du 30 décembre 1809, ce qui fait remonter la pratique budgétaire de l’Église au moins au début du XIXe siècle. Les prémisses du contrôle budgétaire moderne y apparaissent d’ores et déjà car d’après le décret cité par l’auteur « le

budget d’une Fabrique doit être dressé par le bureau des marguilliers, réglé par le Conseil

[de Fabrique] et arrêté par l’évêque. » (ibid.: p. 5) Le projet préparé par le bureau des gestionnaires de la Fabrique (les marguilliers) qui établit l’équilibre entre les recettes et les dépenses de l’exercice suivant est soumis au vote du Conseil de Fabrique. Il y a là un formidable exemple de contrôle de la gestion. Un contrôle que le Ministre des cultes trouve nécessaire afin de surveiller l’utilisation des fonds des Fabriques mis à disposition par l’État.

Un travail théorique remarquable sur les pratiques budgétaires de l’État est proposé par Leroy-Beaulieu (1906) dans le deuxième tome de son « Traité de la science des finances ». En proposant une analyse théorique et historique approfondie, l’auteur fait des conclusions importantes concernant les conditions qui font naître le besoin pour un État d’utiliser un « état de prévoyance »3 pour contrôler ses finances. Le premier facteur mis en évidence est le montant considérable de recettes et de dépenses gérées par l’État. Car plus ce montant est considérable, plus il peut « prêter […] aux mécomptes, aux entraînements, aux

1 P. Larousse (18...) « Jardin des racines latines : à l'usage des écoles normales et supérieures, des lycées, des pensionnats de jeunes filles de l'enseignement primaire supérieur : livre de l'élève », Librairie Larousse, Paris. Disponible sur : http://www.europeana.eu

2 Solomons, D. (1968) “The historical development of costing”, in D. Solomons (ed.) Studies in Cost Analysis, Sweet and Maxwell, London, UK: pp. 3-49.

3 Expression utilisée selon l’auteur sous l’ancienne monarchie et qui a été remplacée par le terme budget « qui nous est venu des Anglais, lesquels l’avaient emprunté à notre langue populaire » (Leroy-Beaulieu, 1906: p. 2)

gaspillages » (ibid. : p. 3). D’où le fait que les particuliers qui maîtrisent aisément la totalité

de leur fortune établissent rarement ce type d’états de prévoyance.

La délégation des responsabilités de gestion des finances publiques à un gouvernement est un deuxième facteur très important :

« …un particulier est maître absolu de ses recettes et de ses dépenses ; il n’a de compte à rendre qu’à lui-même […] Il a un intérêt si direct à éviter les déficits qu’il est, s’il a du bon sens, peu susceptible d’entraînement. Au contraire, les gouvernements reçoivent et dépensent pour le compte d’autrui, c’est-à-dire des contribuables. Ayant un intérêt moins immédiat à l’économie, ils sont plus exposés à pécher par la profusion. » (ibid. : p. 3)

En effet, l’auteur remarque judicieusement que dans les royaumes où le souverain (ou son gouvernement) n’a pas de compte à rendre au peuple, aux autres membres de la noblesse ou du moins au parlement, le contrôle budgétaire n’a pas été perçu comme nécessaire. C’est bien pour cela que les premières vraies pratiques budgétaires apparaissent en Grande Bretagne et que celles que l’on observait au cours du XIXe siècle en Russie n’étaient « que des

simulacres » (ibid. ). Selon Leroy Beaulieu les pratiques budgétaires apparaissent ainsi pour

la première fois dans les États parlementaires (les pays anglo-saxons : Grande Bretagne, Hollande, Etats-Unis) car le gouvernement y est tenu de demander l’autorisation au représentant de la nation – le parlement – pour ce qu’il va prélever à la nation en termes d’impôt pour financer les besoin de l’État. L’idée de la délégation d’un pouvoir décisionnel et le besoin de contrôler les actions de l’agent à qui ce pouvoir a été délégué sont donc parmi les premiers facteurs qui accompagnent la naissance du contrôle budgétaire public.

Enfin, selon Leroy-Beaulieu, le troisième facteur qui conduit un État à utiliser la technique budgétaire est le caractère fluctuant de ses recettes qui doivent être ajustés à la politique économique mise en place. La conduite d’une politique économique volontariste exige l’établissement des plans de répartition des moyens financiers dans les domaines où l’action du gouvernement sera prioritaire. Par ailleurs, le financement des projets gouvernementaux impose des calculs minutieux du niveau des différents impôts, de l’ensemble des recettes collectées et au final de l’équilibre général entre les recettes et les dépenses. Le constat de cet équilibre ex post tel qu’il a déjà été pratiqué au Moyen âge grâce au développement de la comptabilité ne constitue pas une application de la technique budgétaire (Leroy-Beaulieu, ibid.). Il manque là l’effort de prévision et de programmation des actions futures. Le budget est donc intimement lié à la constitution des projets et à la mise en œuvre d’une politique volontariste.

Ces trois raisons d’être des budgets dans la gestion et le contrôle des finances publiques constituent ce que nous appelons les trois « fonctions primitives » : la synthèse d’un grand nombre d’activités diverses et engageant de moyens importants dans un plan financier succinct ; le contrôle de la délégation des responsabilités sur la conduite des activités et enfin la prévision et la gestion des plans d’actions politiques par la personne à qui les activités sont déléguées. Nous verrons, dans ce qui suit, que ces raisons de la mise en place d’un contrôle budgétaire au niveau de l’État semblent bien proches de celles qui ont poussé les entreprises industrielles à adopter la technique.

Quant à l’utilisation de la technique budgétaire dans le secteur privé, on sait que dès 1871 le professeur de comptabilité viennois Joseph Schrott envisage l’idée de combiner la logique du contrôle budgétaire appliqué par la comptabilité publique avec la partie double répandue dans la comptabilité privée (Mattessich, 2003). Le but était d’introduire un système de contrôle comptable dans les organisations privées, mais cette idée trop novatrice pour son époque a été alors négligée. On peut considérer que la technique budgétaire prend racines dans les pratiques des entreprises françaises et européennes sous la forme que l’on connaît aujourd’hui pendant les années 1930 (Berland, 1999b; Berland et Boyns, 2002; Boyns, 1998). Malgré les informations sur les premiers développements très précoces de la technique dans les grandes entreprises américaines Du Pont de Nemours et General Motors on ne peut pas supposer son adoption massive par l’ensemble des entreprises outre-Atlantique (Berland, 2002b). Selon Berland on peut affirmer que, là aussi, la propagation massive s’est déroulée pendant la période 1930-1940 mais avec une rapidité probablement plus importante.

1.1.2. Les conditions organisationnelles des premières utilisations des budgets dans le

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