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La réalité des pratiques en termes de contrôle budgétaire

Conclusion du chapitre

Chapitre 2. L’utilité des budgets mise en question

2.3. La place des budgets dans le nouveau contrôle de gestion : entre abandon et renouvellement

2.3.2. La réalité des pratiques en termes de contrôle budgétaire

Des chercheurs finlandais (Ekholm et Wallin, 2000), britanniques (Lyne et Dugdale, 2004) et français (Villesèque-Dubus, 2005) ont découvert que l’engouement dans la littérature pour la gestion sans budget est loin d’être suivi par les entreprises et que le budget et le contrôle budgétaire restent ancrés dans leur activité quotidienne. Les études empiriques ont montré que, dans la pratique, un très grand nombre d’entreprises utilisent les nouveaux outils de gestion (Balanced Scorecard, gestion stratégique par activités) mais conservent toujours leur système budgétaire, qui parfois demeure même très important (Lyne et Dugdale, 2004). Les raisons pour conserver le traditionnel budget peuvent être aussi bien économiques et organisationnelles (prévision des équilibres financiers, délégation des responsabilités et suivi des facteurs clés de succès ou des facteurs de risque stratégique (Ekholm et Wallin, 2000; Jorissen et al., 1999)), que sociales et psychologiques (orientation des comportements, sécurisation des individus (Gignon-Marconnet, 2003), réduction des ambiguïtés (Marginson et Ogden, 2005)). Même dans une entreprise moderne « à organisation matricielle et coordination transversale » le budget rester l’outil privilégié du contrôle de gestion (Thomas, 2003). Cela demande en revanche une adaptation de l’approche traditionnelle qui suppose l’existence d’un savoir centralisé. Le processus budgétaire dans son usage innovant présume un contexte d’incomplétude des contrats au sein de l’organisation, une connaissance imparfaite de l’environnement et donc un besoin de partager les savoirs et les compétences. Le budget peut ainsi « participer activement à la mise en place d’une double régulation

conjointe effective en redistribuant les initiatives et les sanctions » (p. 185). Thomas souligne

que, dans l’entreprise où elle a réalisé sa recherche, la nouveauté consiste non pas en l’outil budgétaire lui-même mais en son utilisation. L’ampleur de ces nouvelles utilisations « transversales » des budgets a été confirmée par Villesèque-Dubus (2005) dans une recherche récente sur un échantillon de 65 entreprises. Près de 60 pourcents des entreprises

enquêtées semblent utiliser les budgets transversaux. L’auteur souligne que ces utilisations du budget rompent avec les traditionnels modes de pilotage hiérarchico-fonctionnels, très fréquemment associés aux produits et aux marchés. Le budget transversal en revanche est un budget par activité, processus, projets... ce qui suppose une vision et un découpage de l’entreprise plutôt matriciel que fonctionnel. Plus intéressant encore, l’auteur remarque la présence simultanée et complémentaire des deux modes - traditionnel et transversal – d’organisation des pratiques budgétaires, et constate que le budget transversal est estimé compléter le budget traditionnel dans un esprit d’amélioration du système de diagnostic au sens de Simons (1995). En revanche, l’utilisation interactive, c’est-à-dire dans l’optique de faciliter l’émergence stratégique, est très peu évoquée par les entreprises même pour ce qui concerne le budget transversal. Dans une autre recherche Bescos et al. (2004) vont plus loin et montrent que les critiques adressées aux budgets sont contingentes aux configurations entre les caractéristiques de l’environnement externe et les paramètres internes de l’entreprise. Modifier les outils utilisés servirait alors à mieux adapter le contrôle de gestion aux conditions de contingence. En revanche, pour Bourguignon et Jenkins (2004), dans les deux cas qu’ils étudient, cette cohérence est recherchée non seulement pour servir la performance ou le succès de l’organisation mais également pour satisfaire aux besoins psychologiques des acteurs. En outre, Berland (2004) évoque une étude approfondie de sept cas d’entreprises ayant appliqué la « gestion sans budgets » ou ayant simplement diversifié leur système de contrôle par des nouveaux outils non financiers. Il démontre que les critiques envers le budget sont contingentes aux fonctions que les entreprises attribuent à cet outil traditionnel. L’auteur révèle que les budgets sont moins critiqués quand ils servent à planifier et programmer et deviennent source de mécontentement quand les managers insistent dessus pour l’évaluation des performances et la coordination des services. Dans tous les cas, les budgets sont utilisés en même temps que les tableaux de bord, alors que les fonctions interactive et diagnostique attribuées aux deux outils varient selon les cas. Dès lors, l’on peut suggérer que l’outil budgétaire n’a perdu sa place prioritaire au profit des nouvelles techniques que pour certaines des entreprises où la cohérence avec les facteurs de contingence l’exige. À partir de là, une cohabitation différente s’impose entre le budget et son principale concurrent parmi les techniques modernes de contrôle - les Tableaux de bord (ou le Balanced Scorecard).

Dans la cohabitation entre budgets et tableaux de bord on peut distinguer trois cas de figure. Dans un premier cas, très classique, les budgets restent l’outil principal de planification et de contrôle. Cela signifie d’abord que les objectifs non financiers sont fixés en

fonction des objectifs budgétaires. De leur coté les objectifs budgétaires, donc comptables et financiers, représentent l’essence de ce qui est estimé être une bonne performance pour l’entreprise. Les facteurs clés de succès pour réaliser cette performance sont eux aussi majoritairement de nature financière.

Dans un deuxième cas de figure le budget fait partie d’un dispositif de planification et contrôle plus large et à vocation stratégique, organisé principalement autour du Balanced

Scorecard ou du Tableau de Bord Stratégique. Dans ce cas le poids des objectifs budgétaires

est équilibré par des indicateurs non financiers (Ekholm et Wallin, 2000; Kaplan et Norton, 2001). La bonne performance est ici perçue au-delà des paramètres financiers de l’activité. Les facteurs clés de succès sont considérés majoritairement comme non financiers. Kaplan et Norton parlent même de deux types de budgets : le budget stratégique qui fait partie du processus de planification et contrôle stratégiques et est incorporé dans le dispositif du

Balanced Scorecard et le budget opérationnel qui est préparé par chaque unité pour assurer le

suivi de sa gestion. Néanmoins, les deux types de budgets ne représentent qu’une partie du système de planification et contrôle – la partie financière.

Enfin, le troisième cas de figure est celui de l’égalité a priori entre les budgets et le Tableau de bord (Balanced Scorecard). Ici les deux outils jouent un rôle complémentaire l’un par rapport à l’autre. Dans des situations particulières l’un de ces deux outils est plus ou moins privilégié compte tenu des affinités des dirigeants ou d’autres facteurs d’influence. Ils peuvent également être employés pour réaliser des fonctions différentes et conflictuelles par nature – motivation, prévision, coordination, évaluation... (Ekholm et Wallin, 2000).

Dans une réflexion théorique sur les dix ans d’évolution du Balanced Scorecard Choffel et Meyssonnier (2005) présentent une synthèse de trois idéaux-types d’utilisation des tableaux de bord : gestion centralisée sans budget ; gestion décentralisée peu instrumentalisée et fondée sur une culture partagée et gestion avec budget mais évolutive avec pilotage de processus ou de projets (cf. Tableau 2.2. – page suivante). Cette synthèse se rapproche sensiblement de celle que nous venons de proposer plus haut. En revanche, notre vision est établie du point de vue de l’utilisation du budget et non pas du tableau de bord.

Tableau 2.2. La proposition théorique sur les modes d’utilisation des tableaux de bord en

contrôle de gestion (selon Choffel et Meyssonnier, 2005, p. 75)

Idéaux types de référence Idéal type 1 : Gestion centralisée sans budgets Idéal type 2 : Gestion décentralisée peu instrumentalisée fondée sur une culture partagée

Idéal type 3 : Gestion avec budget

mais évolutive avec pilotage de processus ou de projets 1) Tableau de bord stratégique Déclinaison de la stratégie

Co-construction de la stratégie et du tableau de bord

2) Déploiement du

tableau de bord Démarche top-down et alignement Démarche bottom-up et coordination Modélisation et alignement (démarche top-down et bottom-up) 3) Tableau de bord et budgets Le tableau de bord est un système central de pilotage

Le tableau de bord est un outil parmi d’autres

4) Systèmes d’incitations (intéressement) et système de présentation (indicateurs) Évaluation individuelle couplée au tableau de bord

Pas de couplage Évaluation collective sur des indicateurs agrégés 5) Facteurs de contingence identifiés Début de cycle de vie ; Technologie ERP ; Pouvoir centralisé / 6) Nombre

d’indicateurs Indicateurs nombreux

Indicateurs en nombre limité

Propositions théoriques

7) Flexibilité des

indicateurs /

Flexibilité des indicateurs adaptée à un environnement turbulent

2.3.3. Vers une clarification de la place actuelle des budgets par rapport aux autres

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