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Vers une clarification de la place actuelle des budgets par rapport aux autres outils de contrôle

Conclusion du chapitre

Chapitre 2. L’utilité des budgets mise en question

2.3. La place des budgets dans le nouveau contrôle de gestion : entre abandon et renouvellement

2.3.3. Vers une clarification de la place actuelle des budgets par rapport aux autres outils de contrôle

6) Nombre

d’indicateurs Indicateurs nombreux

Indicateurs en nombre limité

Propositions théoriques

7) Flexibilité des

indicateurs /

Flexibilité des indicateurs adaptée à un environnement turbulent

2.3.3. Vers une clarification de la place actuelle des budgets par rapport aux autres outils de contrôle

Le lecteur a sûrement remarqué en observant les références utilisées dans les précédentes sections que la mise en cause radicale du budget a été motivée à son début en grande partie par les critiques provenant des praticiens du contrôle ou des conseillers en management. Les travaux de recherches académiques qui ont suivi, aussi bien sur les nouveaux outils et les méthodes de contrôle que sur la gestion sans budget, se sont également profilés dans l’esprit de l’appel lancé par Kaplan à rattacher la théorie du contrôle aux préoccupations de la pratique. Mais, la pratique suffit-elle pour motiver des recherches

académiques ? À l’issue d’une revue de la littérature sur les recherches empiriques en contrôle de gestion relevant du courant dont le pilier central est le paradigme de création de valeur, Ittner et Larcker (2001: p. 395) formulent la proposition suivante :

« Pour que la recherche en contrôle de gestion puisse avancer, les chercheurs devront renoncer à motiver leurs papiers par l’enthousiasme [autour de certains sujets] dans la presse des affaires et devront plutôt indiquer pourquoi les pratiques ou les caractéristiques des recherches peuvent intéresser du point de vue théorique. »

Dans cet esprit, le propos de la présente analyse va au-delà du simple intérêt pour les sujets posés par la pratique. Le lecteur a découvert tout au long de cette première partie qu’en dehors des agitations autour de la « gestion sans budget » des carences conceptuelles importantes sont apparues dans la théorie classique du contrôle de gestion où le budget est érigé en outil principal de planification et contrôle. La nouvelle place du budget au sein du contrôle de gestion moderne est exigée, en même temps, par les changements dans les pratiques et par l’accumulation de critiques et de propositions théoriques novatrices. Aussi convient-il de synthétiser ici les éléments clés de l’analyse historique que nous venons de présenter afin d’aider le travail sur la définition d’un nouveau modèle théorique d’utilisation des budgets et du contrôle budgétaire.

L’analyse du développement historique du budget depuis son entrée dans les pratiques des entreprises, en passant par sa consolidation en tant qu’outil privilégié du contrôle de gestion et jusqu’à sa mise en cause fait émerger trois principales sources d’impulsion que nous appelons « moteurs de changement » :

o Les conditions (intra-) organisationnelles :

Il s’agit ici des conditions « matérielles » internes à l’organisation qui définissent les besoins en termes d’outils de gestion. Les premières mises en place de pratiques de planification et de contrôle budgétaire émanaient, nous l’avons vu, d’un véritable besoin d’outils de surveillance du pouvoir délégué dans des organisations grandissantes et complexifiées. Un besoin adjacent à celui là était également satisfait par l’outil budgétaire – celui ressenti par les managers pour un outil d’aide à la direction et au suivi des activités. Puisque le budget est utilisé pour régir les relations contractuelles entre les managers et leur hiérarchie, il est tout à fait naturel que les indicateurs financiers qu’il contient soient déclinés sur l’activité courante, aux niveaux hiérarchiques inférieurs, pour structurer et aider la prise de décisions opérationnelles. Plus tard, les relations sur les marchés étant devenues plus concurrentielles, plus instables et moins prévisibles dans

leurs aspects purement financiers, le besoin de contrôler les facteurs clés de succès et les facettes non financières de l’activité se sont fait ressentir aussi bien au niveau de la planification stratégique qu’au niveau de la gestion opérationnelle. Dans ces conditions, la structure organisationnelle est devenue plus « organique », plus transversale et matricielle et donc moins hiérarchique et a suscité le besoin d’adapter en conséquence l’outillage de gestion. Le budget s’adapte alors à ces conditions et son mode d’utilisation évolue - budget par activités, budget transversal ou encore Rolling forecasts.

o Les conditions de l’environnement économique

Ce sont les conditions « matérielles » externes à l’organisation qui sont évoquées ici. Elles sont interconnectées avec les conditions organisationnelles et les définissent en grande partie. C’est notamment grâce au progrès technologique, à l’accumulation des richesses et la croissance de la demande, à l’augmentation de la fréquence et du volume des transactions que les entreprises ont augmenté en taille et se sont complexifiées1 à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Nous avons vu également que les conditions économiques ont également fortement influencé les changements organisationnels récents. Les conditions économiques, technologiques et en général environnementales sont donc indirectement à l’origine des changements observés dans les besoins internes de planification et de contrôle. De là sont influencés à leur tour l’apparition, le développement et la mise en cause des budgets comme outil de contrôle gestion.

o Les idéologies dominantes dans la société, les paradigmes en vogue dans la théorie de gestion et la théorie des organisations

Les idées et valeurs dominantes dans la société, les idéologies qui se confrontent dans l’espace public et l’équilibre entre elles, les discours des différents intervenants et des groupes ou organisations qu’ils représentent sont également un facteur très important du développement et de la mise en cause du budget comme outil de contrôle de gestion. La simple acceptation du paradigme de la spécificité de l’activité managériale, l’œuvre des praticiens, des auteurs et autres acteurs de l’espace public pour la promotion de certaines valeurs managériales ou technocratiques sont indéniablement un facteur important dans le processus qui a érigé le budget en outil principal de la planification et du contrôle. De même des courants de pensées opposés aux précédents mais dont le mode de

1 Nous avons évoqué à ce sujet dans le premier chapitre les analyses historiques de Johnson et Kaplan (1987) et Chandler (1989) inspirées par la théorie des coûts de transaction.

fonctionnement est strictement similaire à ceux-là sont à la base de la récente contestation de la pertinence de l’outil budgétaire.

De manière générale il peut être suggéré à partir des analyses dans cette première partie de notre travail que les modifications des conditions de l’environnement ont influencé les conditions intra-organisationnelles. Celles-ci ont à leur tour conduit à une redéfinition des idées et paradigmes sur l’entreprise et sa gestion. Ainsi le budget a vu son statut changer de la position de nouvelle technique de gestion très prometteuse mais employée par quelques rares entreprises, en outil principal de gestion, et finir enfin traité de « mal inutile ».1 Toutefois, le cheminement inverse des évènements peut également être défendu, et c’est précisément la proposition des théories alternatives de la comptabilité – lors de chaque étape historique que nous avons étudiée, la construction de nouvelles idéologies relatives à l’environnement économique, technologique et social et au mode de gestion des entreprises dans cet environnement peuvent être à l’origine des réels changements observés dans la vie matérielle des entreprises. Néanmoins, nous éviterons ici de prendre position sur la primauté de l’une des sources d’impulsion des changements historiques sur les autres. Cela reviendrait à ramener la question au difficile débat philosophique sur le poids des forces matérielles et intellectuelles dans le cours de l’histoire. Ce débat dure au moins depuis la confrontation idéologique ayant opposé le matérialiste Marx à son prédécesseur, l’idéaliste Hegel. Nous ne pensons pas avoir collecté les nécessaires preuves pour clore ce débat avec le présent travail, dont le sujet est par ailleurs strictement différent. Notre préoccupation est ici très pragmatique : Qu’en est-il aujourd’hui de ces trois sources d’impulsion ? Comment peuvent-elles déterminer l’utilisation actuelle du budget ?

Dans les conditions organisationnelles actuelles, le budget, nous l’avons montré, présente toujours un intérêt indiscutable car il est nécessaire pour assurer le suivi des paramètres financiers et comptables de l’activité. Les caractéristiques de son utilisation dépendent toutefois de trois facteurs qui rejoignent les moteurs de changement historique précités :

o L’organisation interne et ses éléments – stratégie, structure, technologie – peuvent conduire à des besoins plus ou moins forts de prévision et de suivi des paramètres financiers de l’activité. Ainsi une structure organisationnelle organique (aplatie, matricielle ou en réseau) adaptée à une stratégie concurrentielle de différenciation entrainera probablement

une modération de l’utilisation classique des budgets. La question qui reste à élucider est s’il s’agira ici d’un passage vers des outils moins comptables ou d’un vrai changement du mode de contrôle. La structure et la stratégie peuvent ainsi influencer directement l’utilisation du budget, mais elles peuvent également véhiculer une influence indirecte exercée par les conditions de l’environnement dont elles sont dépendantes.

o L’environnement externe peut, à travers ses conditions concurrentielles et technologiques, favoriser directement l’activité de prévision en facilitant ainsi l’application des budgets dans leur forme traditionnelle. D’autre part, en présentant des conditions plus turbulentes et fortement concurrentielles, l’environnement peut imposer un retrait du budget et une adaptation de son mode d’application.

o Le paradigme socio-économique auquel adhère la direction de l’entreprise ou bien celui qu’elle est en train de construire seule ou avec l’aide des personnalités externes peut également influencer très fortement le degré et le mode d’utilisation du budget classique. Une direction attachée aux valeurs traditionnelles d’optimisation financière à travers le contrôle des tâches et des résultats va probablement utiliser de manière très appuyée le budget traditionnel. La direction utilisera alors le budget pour véhiculer une certaine représentation de l’environnement externe de l’entreprise, ainsi qu’une vision des valeurs, de la mission et des stratégies internes assurant la place de l’entreprise dans cet environnement. Au contraire, une direction adhérant au nouveau paradigme définissant l’environnement comme de plus en plus incertain, revendiquant la stratégie construite de bas en haut et présentant l’entreprise comme une structure apprenante va probablement utiliser le budget dans une moindre mesure que les outils de gestion innovants afin de véhiculer une représentation proactive du contrôle.

L’on peut dès lors suggérer que, par exemple, dans des organisations dont l’environnement est jugé incertain, l’organisation est basée sur des contrôles souples et la stratégie est de se différencier des concurrents, les budgets traditionnels se montreront moins adaptés (Bescos et al., 2004). Dans ce cas le budget va souvent être dépendant d’un Tableau de bord stratégique/Balanced Scorecard ou, du moins, il sera complété par des Tableaux de

bord non financiers. La planification budgétaire se fera sur des périodes plus courtes que l’année (semestre ou trimestre) ou même à horizon glissant, en transformant ainsi le budget en un véritable Rolling Forecast selon la terminologie anglo-saxonne. De surcroît, le contrôle budgétaire ex-post deviendra moins important que l’effort de planification et de redéfinition des opportunités stratégiques (Gervais et Thenet, 1998).

L’étude de l’évolution de la technique budgétaire dans le temps a apporté des arguments théoriques importants sur besoin de redéfinir la place des budgets dans les dispositifs de contrôle de gestion. Cette redéfinition est déjà en route et ses premières étapes ont été le mouvement pour le contrôle de gestion stratégique, le développement de nouveaux outils de planification et contrôle, et enfin le nouveau cadre conceptuel du contrôle proposé par Simons.

Il est nécessaire, pour éclairer les conditions d’utilisation conjointe de plusieurs outils de gestion, d’utiliser l’idée développée précédemment concernant les éléments moteurs des changements historiques pour établir un modèle théorique global expliquant la place actuelle du budget dans le contrôle de gestion. Il convient ensuite de confronter ce modèle théorique à la réalité des pratiques dans les entreprises pour corroborer ou rejeter les hypothèses du modèle. Les deux questions auxquelles le modèle théorique doit répondre sont les suivantes : Quelles sont les configurations envisageables entre budgets, tableaux de bord stratégiques et opérationnels, Rolling Forecasts etc. ? Quelles sont les facteurs environnementaux et organisationnels qui vont conduire à l’utilisation d’une configuration donnée plutôt qu’une autre ? Ces questions feront l’objet de la deuxième partie de ce travail.

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