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Stratégies en lien avec les advergames

7. RECHERCHE DE STRATEGIES ASSOCIEES AUX JEUX SERIEUX

7.1. Stratégies en lien avec les advergames

Les marchés de la publicité ou de la communication nous semblent constituer un point de départ pertinent pour débuter notre exploration visant à recenser de potentielles approches stratégiques qui seraient inscrites au sein de jeux sérieux comme artefacts. En effet, l’idée pour de tels produits, est de susciter auprès des joueur(se)s des actes d’achats ou d’adhésion à une marque. Cela implique donc de susciter de la motivation pour pousser l’utilisateur(rice) à agir.

Pour le support vidéoludique, au début des années 80, on recense des jeux vidéo publicitaires comme par exemple Chase the Chuckwagon (Spectravision, 1983) (Montfort et Bogost, 2009, p.124) ou encore Kool-Aid Man (Mattel Electronics, 1983) pour promouvoir respectivement de la nourriture pour chien et des poudres pour fabriquer des boissons aromatisées (Alvarez et Djaouti, 2012/2010, pp.121-122). Comme abordé précédemment, les jeux qui délivrent des messages d’ordre publicitaire sont appelés « Advergames » ou « jeux publicitaires » en français (cf. 2.2.). Jane Chen et Matthew Ringel, deux spécialistes en stratégie de communication de la société américaine KPE, sont les auteurs d’une des premières définitions de l’advergaming qui représente « l’utilisation de la technologie interactive du jeu vidéo pour diffuser un message

publicitaire destiné aux consommateurs. […] En résumé, le message publicitaire est au centre du gameplay » (Chen et Ringel, 2001, p.2). Chen et Ringel définissent également trois types

d’advergaming pour mettre en valeur crescendo une marque. Ils sont nommés respectivement : « Associative, Illustrative et Demonstrative » (ibid. p.2). Les deux auteurs les définissent de la sorte :

- Associative : L’advergaming met en valeur la marque en associant le produit à l’univers ou à l’activité proposée par le jeu ;

- Illustrative : L’advergaming peut mettre en évidence le produit lui-même au sein du gameplay. Le produit est utilisé en tant qu’accessoire. Ceci afin de stimuler l’interaction de l’utilisateur. Mais le produit n’est pas la composante principale du jeu ;

- Demonstrative : L’advergaming mobilise tout le potentiel interactif pour permettre au consommateur de tester le produit dans le jeu lui-même.

Ces trois approches présentent trois stratégies distinctes pour proposer un message via du jeu. L’approche « Associative » porte le message par des aspects graphiques ou sonores. Nous retrouvons de la sorte l’idée de susciter la motivation de l’utilisateur(rice) via des sensations visuelles ou sonores qui, comme nous l’enseigne Aristote, sont à relier à des apprentissages (cf. 6.5.).

Dans le cas de l’approche « Illustrative », la possibilité est donnée d’interagir avec le produit. Mais aucun objectif n’est assigné au joueur. On reste donc dans de l’amusement, au sens de « Paidia ». La stratégie repose donc sur la motivation intrinsèque en lien avec le « fun » ou encore avec la curiosité que peut susciter l’élément à manipuler si l’on se réfère à l’approche de Malone. Dans les deux cas, l’idée est à nouveau de procurer des sensations pour stimuler l’apprentissage. On notera que l’approche « Illustrative » peut inclure « Associative ». En effet, rien n’empêche de jouer avec le produit et de mettre des représentations graphiques ou sonores en lien avec la marque dans l’univers du jeu.

Enfin, pour « Demonstrative », les objectifs du jeu portent le message. Ce qui implique que si une personne veut gagner, elle doit s’approprier le message. Notons que l’approche « Demonstrative » peut a fortiori inclure les approches « Associative » et « Illustrative ». Cette approche « Demonstrative » s’apparente à celle décrite par Jean-Noël Portugal qui voit dans le fait de gagner ou de perdre un moyen de vérifier si le(a) joueur(se) a su mobiliser les enseignements proposés par le jeu : « les objectifs pédagogiques aux yeux de l’apprenant, sont

un produit de la mission. Si je réussis ma mission, alors c’est qu’implicitement, j’aurais atteint les objectifs pédagogiques que l’on m’a proposés » (Alvarez, 2007, p.424). Et comme le sel du

jeu repose précisément sur l’envie de gagner en reconsidérant les stratégies selon Jesper Juul (Juul, 2009, p.237), il est possible que le(a) joueur(se) recommence le jeu si la partie est perdue. Dans ce contexte, nous sommes dans une stratégie qui s’apparente à l’approche pédagogie dite « d’essais et erreurs ». Bien identifiée dans le cadre du Game design car elle permet de distiller les règles du jeu au fil de l’eau (Genvo, 2014, p.81), cette approche constitue précisément l’un des arguments avancés par les partisans du jeu sérieux : « Un autre avantage des serious games

est la mise à disposition de l’apprenant d’un espace d’expérimentation dans lequel il est invité à exercer ses capacités à réfléchir. La plupart des serious games s’appuient sur un mode d’apprentissage par essais et erreurs : l’apprenant construit mentalement une « hypothèse », avant de la tester dans le jeu. L’intérêt de l’apprentissage par essais et erreurs réside dans la possibilité de laisser l’apprenant commettre des erreurs non seulement pour se rendre compte des conséquences qui en découlent, mais aussi pour lui permettre d’adapter sa stratégie d’apprentissage en fonction de situations différentes. L’objectif est de réduire au fil du temps

l’émergence des comportements qui entraînent des échecs, mais aussi les comportements les moins efficaces. Le joueur doit ainsi affiner son hypothèse jusqu’à trouver la solution qui permet de « gagner », c’est-à-dire celle qui permet d’aboutir de la façon la plus rapide et la plus pertinente. Un bon serious game propose donc au joueur des informations pour l’aider à construire par lui-même une hypothèse pertinente » (Alvarez, Djaouti et Rampnoux, 2016,

p.45).

La stratégie motivationnelle que nous pouvons recenser avec l’approche « essais et erreurs » se base sur la possibilité pour l’utilisateur(rice) d’affiner ses hypothèses par itérations jusqu’à la victoire (ibid., pp.45-46). La possibilité de s’inscrire dans le flow tient au fait que la stratégie proposée est accompagnée d’un résultat immédiat (feedback) qui permet à l’utilisateur(rice) d’apporter des ajustements dans la foulée. En parallèle, cette stratégie « essais et erreurs » permet également de viser un ancrage du message utilitaire par la répétition des parties jouées. Ce qui peut offrir potentiellement un moyen de maximiser chez le(a) joueur(se) une meilleure perception du message utilitaire à défaut d’en donner l’interprétation souhaitée. En effet, comme nous l’avons abordé avec le modèle sémiotique du gameplay de Genvo, nous ne perdons pas de vue que l’interprétation du ou des messages portés par le jeu reste conditionnée par le fait que le(a) joueur(se) puisse disposer des compétences requises pour gagner (pouvoir-faire), soit motivé(e) pour rejouer (vouloir-faire) et dispose du stock de connaissances nécessaires à la bonne interprétation du message (savoir-faire).

Si nous revenons à notre exploration des Advergames, nous devons garder à l’esprit que ce que l’on trouve de réellement inscrit dans un artefact, c’est ce qui relève a minima du game bit et d’une brique Gameplay. Cette dernière représente une règle au sens de Mechanics. Si l’on se réfère aux Figures 4 et 5, rappelons qu’une base minimale de jeu peut présenter ou non un objectif (Goal). Rappelons également que le game bit peut représenter un élément matériel mais aussi symbolique ou immatériel. Un élément immatériel pouvant être du son par exemple. Ainsi, si nous établissons des correspondances entre les advergames et les éléments de Gameplay définis par Brathwaite et Schreiber (cf. 4.3.), nous recensons :

- avec la catégorie Associative une approche visant à composer avec les aspects visuels (Gamebits) ;

- avec Illustrative la possibilité de pouvoir interagir a minima, soit Mechanics ; - avec Demonstrative, ce sont des objectifs qui sont fixés, soit Goal.

Cela constitue un minimum. Après quoi Brathwaite et Schreiber recensent également côté artefact les éléments suivants : « The Game State » (l’état du jeu), « Game Views » (vues

proposées du jeu au joueur), « Avatars » et « Theme » qui peuvent aussi être mobilisés pour constituer des leviers motivationnels. A présent, poursuivons notre exploration avec d’autres artefacts pour recenser si ces différents éléments sont convoqués concrètement pour contribuer à la mise en place de leviers motivationnels.

7.2. « Jeux persuasifs » et « rhétorique procédurale »

L’advergaming fait écho aux travaux de Ian Bogost qui a proposé le concept de « jeux

persuasifs » (Persuasive game) et théorisé le concept de « rhétorique procédurale », basé sur

le potentiel expressif des jeux (Bogost, 2007). Précisons que Bogost a travaillé de concert avec Frasca que nous avons mentionné à plusieurs reprises. Ils ont ensemble réalisé le jeu « The

Howard Dean for Iowa Game » évoqué plus haut et qui se destinait à promouvoir le candidat

démocrate Howard Dean lors de primaires (Alvarez et Djaouti, 2012/2010, p.63). Ainsi, selon Genvo, la distinction entre jeux sérieux et jeux persuasifs selon l’approche de Bogost n’existe pas réellement « quant à leur mode de fonctionnement » (Genvo, 2012). Cependant, il est intéressant d’appréhender la notion de « rhétorique procédurale » qui va nous permettre de recenser des stratégies motivationnelles.

Genvo explique que pour Bogost, la rhétorique est « à comprendre comme l’ensemble des

moyens permettant de souligner des idées et de les rendre attrayantes, le succès d’une bonne rhétorique signifiant dans ce cadre une expression effective et non pas nécessairement une influence effective » (Genvo, 2014, p.103). De ce fait, l’idée de rhétorique qui nous vient à

l’origine de l’art de la persuasion voit sa signification évoluer pour prendre un sens plus en lien avec l’idée de valoriser. En parallèle, la rhétorique n’est pas uniquement à considérer comme verbale mais « en est venue à faire référence à une expression effective, c’est-à-dire, un écrit,

un discours, ou un art qui accomplit à la fois les objectifs de l’auteur et absorbe le lecteur ou le spectateur » (Bogost, 2007, p.20). Bogost et Frasca distinguent cependant le jeu vidéo des

autres médias basés sur de la représentation dans la mesure où il est le seul à se baser sur de la simulation. Bogost désigne cette caractéristique par le vocable « expression procédurale » (ibid., p.29). Genvo explique ce concept de « procéduralité » comme étant « une capacité à

exécuter une série de règles, les systèmes procéduraux générant des représentations à partir de modèles fondés sur des règles » (Genvo, 2014, p.103). Pour illustrer l’approche, nous

pouvons nous référer à l’automate cellulaire nommé Jeu de la vie et créé par John Horton Conway en 197078

. L’application se présente sous la forme d’une grille où des cases

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représentant des cellules s’activent ou s’éteignent en fonction de deux règles très simples. En fonction de la matrice initiale et de la taille de la grille, l’automate produit tout un ensemble de structures dynamiques composées de cases et qui peuvent illustrer cette idée de « générer des

représentations ».

Ainsi, le concept de « rhétorique procédurale » peut être « compris comme l’art de souligner et

d’exprimer des idées par des procédures » (ibid., p.104). Les jeux vidéo seraient, selon Bogost,

adaptés à la « rhétorique procédurale » car « élaborés comme expressions » (Bogost, 2007, p.47) contrairement aux autres logiciels informatiques à l’instar des applications utilitaires notamment. Nous pouvons cependant nous interroger sur une telle affirmation lorsque l’on se réfère à des applications utilitaires dites gamifiées comme l’exemple de Foursquare que nous avons évoqué précédemment (cf. 4.3.).

Avec l’approche de « rhétorique procédurale », nous retrouvons donc une approche basée sur des Mechanics. Cependant, il nous faut nous rappeler le débat entre narratologues et ludologues que nous avons évoqué par l’intermédiaire de Triclot précédemment (cf. 1.8.). De ce fait, si Bogost présente son approche de rhétorique procédurale, il convient de se rappeler qu’il était plutôt dans le camp des ludologues. Nous pouvons donc élargir notre exploration en prenant en compte les approches narratives qui ne sont pas nécessairement portées par des règles, si l’on pense par exemple aux cinématiques que l’on retrouve dans certains titres vidéoludiques. Cela convoque donc la composante « Theme » si l’on se réfère aux ingrédients de gameplay de Brathwaite et Schreiber ou de manière plus large à la composante fictionnelle reliée au concept d’ethos ludique subjectif de Genvo.