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Notion de motivation

6. JEU, PLAISIR ET MOTIVATION

6.7. Notion de motivation

Fabien Fenouillet, Jonathan Kaplan, Nora Yennek identifient 101 théories de la motivation (Fenouillet, Kaplan et Yennek, 2009, p.43). En s’appuyant sur les travaux de Lepper et Malone69

d’une part et en convoquant ceux de Deci et Ryan70

d’autre part, les trois chercheurs distinguent : « les motivations qui sont de l’ordre du fun, du captivant ou de l’amusant, de celles

69

Lepper, M. R., Malone, T. W. (1987). « Intrinsic motivation and instructional effectiveness in computer-based education »,

In R. E. Snow & M. J. Farr (Eds.), Aptitude, learning and instruction: III. Conative and affective process analyses. Hillsdale,

NJ: Erlbaum, pp.255-286.

Malone, T. W., Lepper, M. R. (1987). « Making learning fun: A taxonomy of intrinsic motivations for learning », in R. E. Snow

& M. J. Farr (Eds.), Aptitude, learning and instruction: III. Conative and affective process analyses, Hillsdale, NJ: Erlbaum,

pp.223-253.

Malone, T. W. (1981). « Toward a theory of intrinsically motivating instruction », Cognitive Science, 5, pp.333–369. Malone, T. W. (1981). « What makes computer games fun? », Byte, 6, pp.258-277.

70

Deci, E. L., Ryan, R.M. (2002), « The “What” and “Why” of Goal Pursuits: Human Needs and the Self-Determination of Behavior », Psychological Inquiry, 11, 4, pp.227–268

liées à une obligation, un devoir ou une contrainte » (ibid.). A travers ces écrits, nous percevons

désormais ce que Lavigne définit comme « plaisir ludique » : c’est sans doute à rapprocher d’une « motivation ludique » dans la mesure où la nature de la motivation semble quant à elle plurielle. Précisons également que pour Reeve, « la récompense est essentielle à la motivation » (Reeve, 2017, p.71). Avec une telle relation, nous comprenons mieux pourquoi l’expérience de jeu n’est pas la seule à pouvoir être associée à des signatures de récompenses, dans la mesure où la motivation peut être reliée « à une obligation, un devoir ou une contrainte ». Cela conforte et explique également les différentes observations recensées par le Tableau 4 ainsi que la déduction de la possibilité « c » basée sur nos propres expérimentations et analyses (cf. 6.2.). Encore une fois, nous pouvons en déduire qu’il n’est pas obligatoire d’adopter une attitude ludique face à un jeu sérieux pour viser les objectifs utilitaires dans la mesure où les motivations trouvent des récompenses adaptées. Fenouillet, Kaplan et Yennek expliquent dès lors qu’il existe des motivations de nature intrinsèque et extrinsèque. Dans le premier cas, les personnes trouvent les sources de motivation par elles-mêmes en lien avec « l’intérêt et pour le plaisir de pratiquer l’activité en elle-même ». Pour le second cas, les personnes trouvent la motivation par une source extérieure qui peut être de la récompense, mais aussi de la punition ou de la pression sociale. Dans ce cas « peu importe le caractère ludique

de l’activité ». Les trois chercheurs précisent : « L’envie d’apprendre pour faire plaisir à sa mère ou pour montrer aux autres qui est le meilleur, reste une motivation extrinsèque quel que soit le support d’apprentissage. Le fun et le plaisir intrinsèque ne permettent donc pas d’expliquer l’envie d’apprendre dans ce cas » (Fenouillet, Kaplan et Yennek, 2009, p.43). Les

personnes qui présentent des motivations intrinsèques en lien avec du fun représentent donc le public que l’on cherche prioritairement à motiver par la mise en place de jeux sérieux dans une perspective utilitaire en situation formelle. Les personnes présentant d’autres motivations intrinsèques comme le goût de l’activité en lien avec la visée utilitaire elle-même ou celles qui ont des motivations extrinsèques pouvant coller au prescrit seront quant à elles probablement plus en lien avec la possibilité « c » que nous avons recensée (cf. 6.2.).

Pour les personnes qui ne présentent ni motivation intrinsèque en lien avec le « fun », ni extrinsèque permettant de s’inscrire dans le prescrit, nous nous inscrirons dans la possibilité « d » (cf. 6.2.). Motiver par l’expérience de jeu sera sans doute vain dans ce cas. Rappelons cependant notre côté « pluriel » abordé avec Lahire (cf. 1.3.). Ainsi, une même personne peut ne pas montrer de la motivation face à l’activité de jeu proposée à un instant donné et manifester de la motivation à un autre instant pour cette même activité. Les expériences de jeu seront alors

proposés, la motivation peut également différer. Si nous reprenons les propos de Koster, un jeu trop facile peut ennuyer, un jeu trop compliqué peut frustrer (cf. 5.1.2.) voire susciter de l’anxiété comme nous allons le voir sous peu.

Abordons à présent les approches théoriques que l’on peut convoquer dans le cadre de la motivation en lien avec du jeu et notamment le jeu sérieux. Les trois chercheurs recensent auprès de Malone quatre ingrédients en lien avec la motivation : « le challenge, la curiosité, le

contrôle et la fantaisie » (ibid.). Notons que nous retrouvons deux de ces items dans la liste des Aesthetics telle que définie par Hunicke, LeBlanc et Zubek (cf. 5.4.4.). Il s’agit de « Fantasy »

et « Challenge ». À présent, passons-en revue ces quatre « ingrédients » :

- Pour « le challenge » : Fenouillet, Kaplan et Yennek précisent que pour « Malone, il s’agit

avant tout d’un défi contre soi-même, l’ordinateur devenant une sorte de révélateur des limites de l’individu ». Les théories de la motivation convoquées sont « le flow, le positionnement de l’objectif et la prédiction difficile ». Ces dernières étant « étroitement liées à la motivation intrinsèque » (ibid., p.45).

Détaillons rapidement ces trois théories :

* Le flow correspond à « l’état dans lequel sont plongées les personnes absorbées par

une activité qui seule semble importer, et qui ignorent totalement leur environnement tout en appréciant la tâche à accomplir et tout en éprouvant du plaisir (fun) en la faisant » (Csikszentmihalyi, 1990, p.4)71

. Pour Csikszentmihalyi éprouver une telle expérience impliquerait de réunir les neufs critères suivants :

« 1- la tâche que sous-tend l’expérience est réaliste, même si elle représente un

challenge qui requiert des prédispositions 2- elle exige de mobiliser son attention 3- son objectif est bien défini

4- sa mise en œuvre procure un feed-back immédiat 5- elle induit l’implication et l’oubli de l’effort

6- elle provoque l’oubli des soucis de la vie quotidienne 7- elle procure un sentiment de contrôle sur l’action 8- elle renforce le sens de soi

9- elle altère le sens du temps » (ibid., p.58-59).

71

Traduction de l’auteur. Texte original : « The state in which people are so involved in an activity that nothing else seems to

Ainsi, durant l’expérience de jeu, certain(e)s joueur(se)s peuvent se retrouver dans l’état de flow. Il est possible de faire un rapprochement avec l’idée que lorsque la personne trouve le challenge proposé par le jeu, ni trop facile, ni trop difficile, elle puisse alors s’inscrire dans cet état de flow.

* Le positionnement de l’objectif : pour Fenouillet, Kaplan et Yennek, dans le cadre du jeu l’idée serait de ne pas toujours préciser les objectifs « ce qui permet à l’individu

d’attribuer ses échecs aux difficultés inhérentes à l’environnement qu’il doit affronter. Cette « mécanique » attributionnelle se retrouve dans les émotions d’accomplissement (liées aux échecs et aux réussites) et il semble important que les jeux vidéo génèrent davantage d’émotions positives que négatives [PEKRUN 06]72

» (Fenouillet, Kaplan et

Yennek, 2009, p.44).

* La prédiction difficile rejoint l’idée abordée avec Brougère que l’issue du jeu doit être incertaine (cf. 1.3.). Fenouillet, Kaplan et Yennek expliquent que « l’individu ne doit

pas avoir la moindre certitude quant à sa réussite ou à son échec. Dans le premier cas, il va rapidement s’ennuyer et dans le deuxième cas, le jeu va générer chez lui une anxiété qui le rendra rapidement aversif » (ibid.). Ces deux derniers cas empêcheraient

également l’état de flow.

- Pour « la curiosité » : les trois chercheurs expliquent qu’il ne faut pas trop stimuler le(a) joueur(se) sur ce plan, faute de quoi, cela pourrait conduire à un contre-effet de nature à le décentrer. En revanche, en stimulant faiblement « cela va initier des recherches allant dans le

sens d’une plus grande variété de stimuli, d’amusement et donc de curiosité. […] La curiosité peut être sensorielle et donc principalement visuelle et/ou sonore dans le cadre des jeux vidéo mais aussi cognitive, c'est-à-dire reposer sur des connaissances qui peuvent par exemple être incohérentes entre elles. Ce dernier aspect est particulièrement important dans les jeux de réflexion » (ibid., p.45).

72

- Pour « le contrôle » : nous retiendrons parmi les approches exposées par Fenouillet, Kaplan et Yennek celles de Peterson et de ses collègues73

qui stipulent que « les organismes doivent

impérativement établir une contingence entre leur action et un résultat dans l’environnement. Si un organisme ne peut établir cette contingence alors il cesse d’agir car il estime que son action ne permet pas de contrôler l’environnement. Dans le cadre d’un jeu vidéo, il est donc impératif que le joueur ait la sensation que les réactions du jeu lui sont entièrement imputables » (ibid.).

- Pour « la fantaisie (ou le fantasmé) » : les trois chercheurs expliquent que « l’aspect

fantaisiste est défini de deux manières. Les fantaisies exogènes sont des environnements dans lesquels le côté fantastique dépend de la compétence en cours d’acquisition. Par exemple, le jeu du pendu dépend bien de la compétence du joueur mais celle-ci peut être de n’importe quel ordre (math, français, histoire…). A l’inverse, dans les fantaisies endogènes, la compétence requise et la fantaisie dépendent l’une de l’autre. Certains jeux ne pourront être résolus qu’avec une habileté spécifique au jeu et pas une autre. Pour Malone, les fantaisies exogènes sont intrinsèquement moins motivantes que celles qui sont endogènes » (ibid., p.46).

Ces explications et recommandations données par Fenouillet, Kaplan et Yennek, en lien avec la notion de motivation, mettent en perspective qu’elle est d’abord bien plus complexe que la notion de plaisir. Elle est de ce fait plus complexe à appréhender au regard des 101 théories recensées. De plus, l’échantillon de paramètres que nous venons de passer en revue démontre également une complexité à la mobiliser. Pour autant, nous comprenons également que cette notion de motivation est indispensable pour convier une personne à s’engager concrètement dans une activité de jeu, et ce, qu’elle soit dédiée à une visée utilitaire mais aussi de divertissement.

Les explorations des notions de « plaisir » et de « motivation » étant établies, nous disposons désormais d’éléments pour tenter de répondre à notre question : pourquoi proposer du jeu en situation formelle ?

73

Peterson, C., Maier, S. F., Seligman, M.E.P. (1993). « Learned Helplessness: A theory for the age of personnal control »,