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Notions de plaisir et de « plaisir ludique »

6. JEU, PLAISIR ET MOTIVATION

6.6. Notions de plaisir et de « plaisir ludique »

Michel Lavigne évoque la notion de « plaisir ludique » et tente d’étudier les sources associées. Pour ce faire, le chercheur propose pour commencer un questionnaire à ses étudiants. Les 48 réponses recensées pour identifier ces sources de plaisir sont « extrêmement diverses et, malgré

des tentatives de regroupement, restent éparpillées en 23 critères » (Lavigne, 2012). En outre

parmi ces critères, que ce soient les graphismes ou bien les scénarios de jeu proposés, Lavigne recense des données contradictoires. Les étudiant(e)s pouvant s’amuser tout autant avec des titres très travaillés qu’avec des réalisations très minimalistes. Lavigne recense également comme sources de plaisir : « la socialité (jouer avec des amis), l’esprit de compétition, ou au

contraire celui de coopération, le dépassement de soi, le défoulement dans la violence, l’incarnation d’un personnage, la transgression (faire des choses qu'on ne peut pas faire dans la réalité), le développement de la réflexion logique, la sensation de liberté, la construction d’un univers… ». Ces sources de plaisir semblent nous ramener au concept d’Aesthetics défini

par Hunicke, LeBlanc et Zubek (cf. 5.4.4.), car il nous semble que Lavigne recense ici une liste de ressentis qui peuvent être en lien avec des sensations.

Le chercheur conclut : « Ces multiples réponses font apparaître la difficulté de définir la notion

de plaisir ludique, son imprécision et son caractère subjectif […] En conséquence il serait assez vain de vouloir définir un ou des critères généraux du plaisir dans le jeu vidéo ou dans les serious games ». Lavigne précise : « Cette difficulté témoigne aussi de la multiplicité des dispositifs vidéoludiques qui convoquent des expériences très différenciées et font appel à des motivations et types de plaisirs tout aussi diversifiés. […] Le plaisir apparaît comme le résultat d’un contexte particulier et de la conjonction de multiples paramètres qu’il est difficile de hiérarchiser ou de synthétiser » (ibid.). Cette conclusion rejoint les écrits de Laudati et

Leleu-Merviel précisant que « l’expérience n’est pas « modélisable » et ne peut pas être prévue » (cf. 5.3.2.). Notons également que Lavigne évoque la notion de « motivation » sur laquelle nous reviendrons sous peu.

En attendant, il est intéressant de noter que Lavigne passe désormais d’un « plaisir ludique » au singulier à l’idée de « plaisirs diversifiés ». Cependant, nous devons nous interroger quant à l’emploi de ce pluriel. En effet, il s’agit là d’introduire l’idée qu’il existerait des plaisirs de

principale de plaisir en lien avec l’activité de jeu serait l’apprentissage. Ce dernier se traduisant concrètement par la découverte de nouveaux schémas (patterns). Qu’en est-il concrètement avec l’expérimentation de Lavigne et les différentes sources de plaisir recensées par les étudiants ? S’agirait-il finalement de sources qui ont à chaque fois un lien avec de l’apprentissage ?

Rappelons que Tricot a évoqué trois types d’activités pouvant correspondre à des sources d’apprentissages : « le jeu, l’exploration de l’environnement et les interactions entre pairs » (Tricot, 2016, p.8). Etablissons à présent des correspondances entre les sources d’apprentissages de Tricot et les quelques critères parmi les 23 que Lavigne mentionne dans ses écrits :

- pour « le jeu », nous pouvons relier les critères « le dépassement de soi » et « la compétition » que l’on peut relier à l’Agôn (compétition) de Caillois, puis les items « l’incarnation d’un

personnage », « la construction d’un univers », « la transgression », « le défoulement dans la violence » et « la sensation de liberté », peuvent quant à eux être reliés à la « Mimicry »

(simulacre). Nous pouvons également voir ces différents items comme des sensations vécues par les joueur(se)s, au sens d’Aesthetics. Dans ce cas, nous pouvons convoquer Aristote pour établir un lien entre « savoir » et « sensation » : « Tous les hommes désirent naturellement

savoir ; ce qui le montre, c’est le plaisir causé par les sensations, car, en dehors même de leur utilité, elles nous plaisent par elles-mêmes et plus que toutes les autres, les sensations visuelles » (Aristote, 2008, pp.83-84). Si Aristote prône notamment « les sensations visuelles »,

par ses écrits nous pouvons également établir le lien entre « sensation » et acquisitions de connaissances en général : « La cause en est que la vue est, de tous nos sens, celui qui nous fait

acquérir le plus de connaissances et nous découvre une foule de différences » (ibid., p.84) ;

- pour « les interactions entre pairs » nous pouvons associer les critères : « jouer avec des

amis », et la « coopération ». Nous pouvons de nouveau associer la « compétition » lorsqu’il

s’agit de jeux collectifs ;

- pour « l’exploration de l’environnement », nous pouvons associer les items : « graphismes » et « scénarios » si l’on considère que l’environnement se rapporte à tout ce qui touche au « dehors » selon Winnicott. La personne mise en présence d’œuvres fait donc une exploration de l’environnement via des représentations et des histoires créées par autrui. Nous pouvons également rappeler que la contemplation de graphismes ou vivre un scénario est source de « sensations ». Ce qui peut se relier à « savoir » avec les écrits d’Aristote.

- Notons enfin le critère : « le développement de la réflexion logique » qui se rapporte explicitement à de l’apprentissage.

Ainsi, nous semblons pouvoir ramener toutes les sources de plaisir recensées par Lavigne à des apprentissages. Avec une telle correspondance, nous pouvons donc nous interroger lorsque Lavigne évoque des « types de plaisirs tout aussi diversifiés ». Il se peut en effet que dans le cadre du jeu, le plaisir ne soit pas pluriel ou du moins très peu diversifié, dans la mesure où il semble à ce stade toujours avoir pour origine un apprentissage qui déclenche le circuit de la récompense comme le suppose Koster. Les écrits de Johnmarshall Reeve confirment ce lien entre récompense et apprentissage (Reeve, 2017, p.71). Si Reeve mentionne l’apprentissage, en revanche, le jeu ou le ludique ne sont pas mentionnés comment reliés au circuit de la récompense. De ce fait, c’est l’expérience de jeu, aussi diversifiée soit-elle, qui peut être source « d’apprentissages », ces derniers ayant pour signature l’activation du circuit de la récompense. Dit autrement, c’est quand l’expérience de jeu permet des apprentissages que l’on recense du plaisir.

Si l’on souhaite à présent appréhender le plaisir au pluriel, dans le cadre de l’expérience de jeu, nous devons sans doute explorer d’autres registres que ceux évoqués par Lavigne. C’est-à-dire au lieu de regarder la diversité d’expériences permettant de susciter du plaisir, regardons ce qui peut être à même d’activer le circuit de la récompense lui-même. Sur ce plan, Reeve précise que la récompense « est essentielle à la survie, à l’apprentissage, au bien être et à la production

d’efforts orientée vers un but » (ibid.). Cela correspond finalement à quatre possibilités.

Sont-elles toutes en lien avec l’expérience de jeu ? Mettons de côté l’apprentissage puisque nous avons déjà étudié la question. Pour les autres items de Reeve, l’expérience de jeu peut effectivement être source de « bien être » si l’on pense aux jeux de divertissement ou aussi aux jeux sportifs. L’expérience de jeu peut aussi être liée « à la production d’efforts orientée vers

un but » si l’on pense au jeu sérieux dont la finalité est utilitaire (cf. 2.6.3.). Pour « la survie »,

c’est Koster qui avance l’idée que l’identification de schémas serait un processus vital notamment pour le cerveau dans la mesure où cela permettrait de libérer le canal conscient. Mais nous mettrons cependant une réserve sur cette dernière catégorie. Lorsque nous fuyons un danger immédiat, nous ne pouvons pas réellement parler de jeu, ou alors dans le cadre d’une certaine inconscience.

Le pluriel associé au plaisir dans le cadre de l’expérience de jeu pourrait donc éventuellement se situer à ce niveau, dans trois orientations utilitaires que l’on pourrait venir récompenser via le circuit de la récompense : « apprentissage », « bien être » et « production d’efforts orientés

vers un but ». Mais la nature du plaisir en elle-même reste toujours finalement associée au

possible de percevoir le plaisir au pluriel en se référant à la notion d’intensité qui pourrait correspondre à la quantité de neurotransmetteurs délivrée par le circuit de la récompense. Mais cela ne semble pas s’inscrire dans les propos de Lavigne.

Si nous sommes interrogatifs quant à la pluralité du plaisir, nous rejoignons en revanche l’approche de Lavigne quant il relie la notion de « plaisir ludique » à « imprécision » et

« caractère subjectif ». En effet, le plaisir n’est pas en soi « ludique » puisqu’il est la résultante

d’un circuit de récompense déclenché par un apprentissage, voire aussi « d’un bien être » ou encore « d’une production d’efforts orientés vers un but » qui sont en lien avec l’expérience de jeu. De ce fait, il devient selon nous hasardeux d’établir systématiquement une correspondance entre le plaisir ressenti par le(a) utilisateur(rice) face à un jeu et le fait qu’il ou elle adopte nécessairement une « attitude ludique ». En effet, l’apprentissage n’est pas l’apanage du jeu comme nous l’enseigne Tricot, sachant qu’explorations de l’environnement et interactions

sociales sont aussi sources d’apprentissages. Dans ces deux derniers cas, l’attitude ludique n’est

pas nécessairement convoquée. En outre, nous avons recensé quatre possibilités lorsqu’un(e) utilisateur(rice) se trouve face à un jeu sérieux (cf. 6.2.). La possibilité « c » montre qu’il est tout à fait possible de percevoir la dimension utilitaire sans pour autant adopter une attitude ludique. Rien n’empêche ainsi que cet(te) utilisateur(rice) puisse éprouver du plaisir en ayant appris sans pour autant avoir adopté une attitude ludique.

Maintenant que nous avons mieux appréhendé la notion de « plaisir », et que nous avons remis en question le concept de « plaisir ludique », étudions à présent la notion de « motivation ».