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Le « Play », une activité cantonnée à la situation informelle ?

3. PLAY ET SERIOUS PLAY

3.3. Le « Play », une activité cantonnée à la situation informelle ?

Kendall Blanchard, professeur d’anthropologie à l’université de Lamar, se base sur la suggestion de Norman K. Denzin selon laquelle le travail et le jeu (Play) ne sont pas nécessairement des pôles opposés dans la mesure où l’on peut aussi bien jouer que travailler durant une activité de jeu (Denzin, 1975, p.474). En partant de cette suggestion, Blanchard propose un graphique intitulé « The Dimensions of Human Activity » (Les dimensions de l’activité humaine) qui croise l’axe « Play » et « Not-Play » (Non-jeu) avec l’axe « Work » (Travail) et « Not-Work » ou « Leisure » (Loisir) (Blanchard, 1995, p.46). Il obtient de la sorte quatre cadrans :

- le cadran A « Playful work » (Travail ludique) qui associe « Play » et « Work » ; - le cadran B « Playing at leisure » (Loisir ludique) ;

- le cadran C « Non-play Work » (Travail non ludique) ; - le cadran D « Non-play Leisure » (Loisir non ludique).

Blanchard précise que les cadrans A et B sont en lien avec du plaisir (Pleasure), alors que ce n’est pas le cas pour les cadrans C et D (Not- Pleasure). Il précise également que les cadrans A et C, en lien avec le travail, sont reliés à des objectifs externes (External Goal), alors que les cadrans B et D sont en lien avec des objectifs internes (Internal Goal). Ces notions d’objectifs

externes et internes ne sont pas sans rappeler les notions de « dedans » et de « dehors » de Winnicott que nous avons abordées précédemment (cf. 1.6.).

Rieber, Smith, et Noah précisent que le graphique de Blanchard couvre toutes les combinaisons possibles d’activités humaines et invitent à transposer ce modèle aux enfants en remplaçant le contexte du travail « Work » dédié aux adultes à celui de « l’école ». Les trois chercheurs considèrent ainsi que c’est le « job » des enfants que de travailler à l’école (Rieber, Smith et Noah, 1998). Par une telle transposition, nous pouvons de la sorte associer au pôle « Travail / Ecole » la notion de « situation formelle » de Brougère et dans celui du « Loisir », celle de la situation informelle. Nous obtenons de cette manière le graphique présenté par la Figure 7.

Figure 7 : « The Dimensions of Human Activity » (Blanchard, 1995) avec transposition de l’école (Rieber, Smith et Noah, 1998) ainsi que le positionnement des situations formelles

et informelles (Brougère, 2007) avec traductions en français

Avec la Figure 7, nous voyons apparaître plusieurs choses. Tout d’abord que le jeu (Play) peut se retrouver dans le contexte du travail et de l’école. Mais aussi que du non jeu (Not-Play) peut se retrouver dans la sphère du loisir. Ce qui signifie que l’activité de jeu n’est pas une obligation

dans le fait de se divertir. Par exemple, regarder la télévision fait partie du divertissement mais ce n’est pas pareil que jouer comme nous l’explique Mann (Mann, 1996, p.449). Ensuite l’activité de jeu (Play) pourrait aussi se rattacher à un objectif externe contrairement à ce qu’avance le critère « Hors de la vie ordinaire » recensé par Salen et Zimmerman (cf. Tableau 2). Ce qui revient à questionner l’idée que le jeu serait nécessairement « frivole car

limité dans ses conséquences » comme abordé précédemment avec Brougère (cf. 1.3.). Ainsi,

comme l’enseigne Jérôme Seymour Bruner, il existe des jeux paradoxaux où le joueur a plus à perdre qu’à gagner à l’instar du jeu de la roulette russe (Bruner, 1983, p.79).

Enfin, l’activité de jeu pourrait s’inviter aussi bien dans des situations formelles ou informelles.

Ce qui vient remettre en question notre hypothèse selon laquelle l’activité de « Serious Play » s’inscrit nécessairement dans une situation formelle et celle du « Play » dans une situation informelle.

Cependant, si les paramètres « objectif externe » et « objectif interne » de Blanchard sont questionnés au regard du critère « Volontaire » recensé à la fois par Salen et Zimmerman (cf. Tableau 2) ainsi que par Fromberg, nous ouvrons une nouvelle perspective. En effet, dans son modèle « The Dimension of Human Activity », Blanchard ne précise pas qui propose le jeu dans le cadre du travail et du loisir. Ainsi, si dans le cadre du travail la personne convoque le jeu de manière volontaire, cela n’a rien à voir avec une situation où le jeu est imposé par l’employeur. Dans ce cas, comme nous le suggère Denzin, nous pouvons nous retrouver en situation de travailler durant une activité de jeu. Et si le jeu n’est pas vécu par l’employé comme un plaisir, nous basculons dans le cadran C du schéma de Blanchard. C’est ce type de tension entre jeu et travail que nous avons pu étudier avec Lydia Martin dans le cadre de l’utilisation d’un jeu imposé à des cadres lors d’une formation. Quatre situations ont de ce fait été recensées comme l’illustre le Tableau 4 (Martin et Alvarez, 2017) :

L'apprenant maintient une attitude ludique, il prend plaisir et négocie des règles

L’apprenant ne rentre pas dans le jeu, il s’auto-évalue et se sent évalué par ses pairs et l’instructeur

L’apprenant est exclu par le groupe et reste en marge du jeu

L’apprenant réalise ce qu’on lui demande, il colle au prescrit

Toutes ces situations observées sur le terrain et regroupées dans le Tableau 4 démontrent qu’imposer un jeu dans le cadre du travail ne conduit pas nécessairement à une attitude ludique chez les employés. De même, si le jeu est imposé dans la sphère du loisir par une tierce personne, nous pouvons également basculer dans le cadran D du modèle de Blanchard. C’est ce que nous explique Colas Duflo : « Il n’y a de jeu que choisi, ou du moins consenti comme

tel. Un jeu auquel je suis obligé de jouer n’est plus pour moi un jeu » (Duflo, 1997, pp.37-38).

D’où l’importance du critère « Volontaire » qui sous-tend que la personne s’engage avec envie. L’aspect « volontaire » ne sous-tend pas pour autant que le choix du jeu vient du joueur lui-même. En effet, un jeu peut être proposé par un tiers. Libre ensuite de vouloir ou non participer à l’activité proposée. Ce qui renvoie au Modèle sémiotique du gameplay de Genvo (cf. 1.5.). Avec l’emploi d’un Serious Game ou d’un Jouet Sérieux, si nous sommes en situation formelle pour viser un objectif d’ordre utilitaire (objectif de nature externe) en lien avec le cadre de l’école, d’une entreprise, ou encore d’un hôpital, le jeu est précisément proposé à l’utilisateur(rice) par un tiers qui représente le système organisé, ce dernier étant incarné par l’enseignant(e), le formateur/formatrice, l’employeur(e), le médecin ou l’infirmier(ère). Si l’utilisateur(rice) utilise un Serious Game ou un jouet sérieux de sa propre initiative dans une situation informelle, ce n’est pas la même chose. Nous nous retrouvons dans des formes d’apprentissages décrites par Schugurensky : « tacites », « fortuits » ou « autodirigés ». Autrement dit, nous devons à présent recenser impérativement les deux critères suivants pour être en situation d’activité de « Serious Play » :

1) Se trouver dans une situation formelle pour viser un objectif utilitaire