• Aucun résultat trouvé

7. RECHERCHE DE STRATEGIES ASSOCIEES AUX JEUX SERIEUX

7.8. Approche de Viau

7.8.1. Les 4 facteurs motivationnels de Viau

Viau recense « quatre facteurs qui influent le plus sur la dynamique motivationnelle des élèves

en classe sont les activités d'apprentissage que l'enseignant propose, l'évaluation qu'il impose, les récompenses et les sanctions qu'il utilise, et lui-même, de par surtout sa passion pour sa matière et le respect qu'il porte à ses élèves » (Viau, 2000). Parmi ces quatre facteurs, nous

notons que l’enseignant(e) lui-même représente une dynamique motivationnelle. C’est un point important à souligner dans la mesure où nous avons vu précédemment que l’une des deux caractéristiques pour être en situation d’activité de « Serious Play » est précisément de « pouvoir recenser un représentant d’un système organisé qui propose le jeu » (cf. 3.3.). Ainsi, puisque ce représentant représente lui-même une source motivationnelle nous pouvons lire cela à deux niveaux : être source de motivation par la passion transmise, mais aussi par les leviers motivationnels proposés durant l’activité de jeu sérieux.

Pour sa part, Viau se focalise sur les activités d’apprentissage proposées aux élèves en classe. Le chercheur précise le périmètre : « Dans les activités d'apprentissage, l'élève est l'acteur

principal ; son rôle n'est pas de recevoir de l'information comme dans une activité d'enseignement (par exemple, un exposé) mais de se servir de la matière apprise pour résoudre des problèmes, ou encore, de réaliser les exercices proposés par l'enseignant. Les activités d'apprentissage comprennent des exercices que l'élève réalise seul ou en équipe, des lectures,

classe, etc » (ibid.). Dans ce périmètre défini par Viau, nous pouvons inclure l’activité de jeu

sérieux dans la mesure où l’on convoque a minima la fonction utilitaire « dispenser un entraînement » que nous avons recensée avec le modèle G/P/S (cf. 2.3.).

7.8.2. Les 10 conditions de Viau pour motiver les élèves lors d’une activité d’apprentissage

En se basant sur différents travaux de recherche menés sur la motivation entre 1994 et 1998, Viau dégage dix conditions à réunir pour motiver les élèves dans le cadre d’une activité d’apprentissage :

- Signifiante : l’activité proposée doit être en lien avec les champs d’intérêt ou projets personnels ou répondre aux préoccupations de l’élève afin de lui faire sens. L’enseignant(e) est invité(e) en parallèle à justifier l’utilité de l’activité.

- Diversifiée : l’activité proposée doit proposer plusieurs tâches de natures variées à accomplir. La notion de contrôle sur les apprentissages par l’élève est convoquée s’il peut choisir ses tâches. L’élève doit également percevoir que l’activité s’inscrit dans une séquence logique. - Défi : l’activité doit inscrire l’élève dans un état de flow (cf. 6.7.) en proposant un défi « ni

trop facile, ni trop difficile ». Les jeux vidéo sont donnés comme référence.

- Authentique : l’activité doit mener à une réalisation concrète pour valoriser les actions de l’élève : affiche, interview de journal, site Internet, pièce de théâtre… et ne pas faire penser à l’élève que cela serve juste l’intérêt de l’enseignant(e) dans un but purement évaluatif.

- Exiger un engagement cognitif : l’activité doit proposer à l’élève de faire des liens avec des

notions déjà apprises. L’idée est de comprendre. S’il s’agit de faire des exercices uniquement de manière mécanique, cela peut constituer une source d’ennui pour l’élève. Cet engagement cognitif doit correspondre au niveau de savoir-faire de l’élève.

- Responsabiliser en permettant de faire des choix : afin de permettre à l’élève d’avoir la

capacité de contrôler ses apprentissages, l’enseignant(e) doit lui permettre d’opérer, dans la mesure du possible, des choix : thème ou durée de travail, membres de son équipe, mode de présentation… Les élèves ne doivent pas ressentir que tout le monde fait la même chose au même moment pour éviter la démotivation.

- Permettre d'interagir et de collaborer : l’activité doit privilégier la coopération et la recherche

d’un but commun au détriment de la compétition qui ne motivera que « les plus forts,

c’est-à-dire ceux qui ont des chances de gagner ».

- Caractère interdisciplinaire : lier une étude à d’autres domaines d’études. Par exemple, proposer une activité d’apprentissage du français en lien avec la philosophie, l’histoire ou les mathématiques.

- Consignes claires : pour réduire l’anxiété et le doute de l’élève quant à ce que l’enseignant(e) attend de lui, il faut fournir des consignes compréhensibles.

- Période de temps suffisante : le temps proposé doit correspondre à une durée adaptée à l’élève pour ne pas précipiter ses actions en fin d’activité. Cela serait source d’insatisfaction et conduirait l’élève « à hésiter à s’investir dans une autre activité, de peur de ne pas la terminer

à temps » (ibid.).

Précisons que Viau a étudié ces différentes conditions dans le cadre de cours de français, mais qu’elles semblent tout à fait applicables à d’autres enseignements.

7.8.3. Correspondances avec les conditions de Viau et les stratégies en lien avec le jeu

En ce qui concerne l’analyse des dix conditions proposées par le chercheur, nous allons à présent tenter d’établir des correspondances avec les stratégies ou concepts que nous avons recensés jusqu’à présent dans le cadre du jeu.

Pour la première correspondance, nous retrouvons tout d’abord des recoupements avec le modèle de Malone. Il y a par exemple l’idée de « Contrôle » qui sous-tend la notion de « contingence ». Ainsi, tant pour une activité de jeu que d’apprentissage, il convient de pouvoir s’inscrire dans une tâche qui semble réalisable avec la possibilité d’opérer des choix. Nous serons prudents sur le fait de ne pas confondre l’approche « Contrôle » de Malone avec celle de Stolovitch et Thiagarajan que nous avons évoqué précédemment (cf. 5.1.2.). En effet pour ces deux derniers, il s’agit d’opérer un contrôle sur les joueur(se)s via les règles du jeu (Stolovitch et Thiagarajan, 1980, pp.10-11). De ce fait, nous comprenons que si l’élève a besoin de contrôler ses apprentissages en opérant des choix, il en est de même pour l’enseignant(e) qui a proposé l’activité d’apprentissage. A son niveau il est également nécessaire de pouvoir contrôler la situation. Ainsi le jeu par ses règles peut permettre à l’enseignant(e) d’opérer un contrôle sur élèves également. Ce qui nous renvoie aux écrits d’Agamben (cf. 1.4.).

Puis, pour la seconde correspondance, nous retrouvons le critère de « Challenge » à travers l’item « défi ». Celui-ci semble constituer un point commun à l’ensemble des autres modèles de la motivation que nous avons abordée jusqu’à présent. Avec l’idée d’une tâche réalisable, ne devant pas être ni trop facile, ni trop difficile, cela nous renvoie à la théorie du flow. Cette dernière implique d’ailleurs d’éviter l’ennui et l’anxiété en fixant des challenges

La condition « Période de temps suffisante » constitue un paramètre sur lequel il est possible de jouer pour régler la difficulté d’un jeu afin de permettre tant aux joueur(se)s qu’aux élèves de s’inscrire dans le flow durant l’activité. Ce qui nous permet d’établir une troisième correspondance. Notons que cette notion de jouer contre le temps représente pour Stolovitch et Thiagarajan un moyen d’instaurer de la compétition dans le jeu et représente une alternative au fait de jouer contre des adversaires (joueur(se)s individuel(le)s ou en équipe). Ce qui peut favoriser la collaboration entre participant(e)s si l’on pense aux Serious Escape Games (SEG)81 par exemple où l’on doit s’entraider pour sortir d’une pièce dans un temps donné en résolvant un ensemble d’énigmes (Taly et Alvarez, 2019). L’emploi d’un temps limité mais suffisant pour ménager à la fois la compétition suscitée par le jeu tout en permettant aux élèves d’opérer leurs apprentissages constitue de ce fait un équilibre à trouver. Si l’on souhaite éviter de jouer avec le temps tout en évitant la compétition entre élèves, les deux auteurs précisent que l’adversaire peut aussi être le game designer ou la personne qui gère le jeu (Maître du jeu) (Stolovitch et Thiagarajan, 1980, pp.9-10). Ainsi, surpasser la stratégie mise en place par l’enseignant(e) peut notamment constituer la base d’une épreuve à relever par les élèves. Jouer contre le temps ou le Maître du jeu constituent des techniques permettant aux élèves «

d'interagir et de collaborer » ce qui constitue selon nous une quatrième correspondance.

Pour la cinquième correspondance, c’est du côté de Koster que nous pouvons la rechercher avec la notion de « consignes claires ». Cette dernière nous renvoie à l’idée qu’un jeu doit également présenter des schémas (patterns) identifiables par le cerveau, faute de quoi, le jeu peut paraître confus, anxiogène et donc rompre le flow. Paradoxalement, Fenouillet, Kaplan et Yennek, nous ont précisé, avec l’item « Le positionnement de l’objectif », que dans le cadre d’un jeu vidéo l’objectif ne doit pas toujours être explicité. Le plaisir de comprendre par soi-même les règles et objectifs font précisément parties du principe de la plupart des titres vidéoludiques. Il faut donc considérer les « consignes claires » comme devant expliciter les principales consignes tout en préservant certains objectifs inhérents au jeu. C’est exactement ce que fait un(e) Maître du jeu lorsqu’un Serious Escape Game est introduit aux participant(e)s. Il y a des consignes concernant les grands principes du jeu : devoir sortir d’une pièce dans un temps donné en résolvant des énigmes tout en respectant certaines règles de base et de sécurité (Taly et Alvarez, 2019). Cependant, la nature des énigmes que l’on va rencontrer n’est pas dévoilée.

81

La sixième correspondance peut être recensée autour de l’idée que l’activité doit faire sens. Nous avons abordé cette approche avec les écrits de Bonenfant qui s’appuyait sur Henriot précédemment (cf.1.5.). Ainsi, tant pour une activité de jeu que d’apprentissage, nous recensons l’importance du sens que l’on doit accorder à ce que l’on fait. Pour sa part Dewey explique « il

n’est pas possible de faire la part, dans une expérience vitale, de la pratique, de l’émotion et de l’intellect et de faire ressortir les propriétés d’une de ces composantes aux dépens des caractéristiques des autres. La phase émotionnelle relie les différentes parties et en fait un tout ; le terme "intellect" signifie simplement que l’expérience a un sens ; le terme "pratique" indique que l’organisme dialogue avec les événements et des objets qui l’entourent » (Dewey,

2005/1934, p.111). De fait, nous comprenons que lorsque « l’expérience a un sens », elle constitue « l’intellect » qui vient se relier à la « pratique » par l’intermédiaire des « émotions ». Autrement dit, sans le « sens », il n’y a pas d’expérience possible. Il est donc logique de retrouver la nécessité de convoquer du « sens » tant pour les activités de jeu que d’apprentissage. Nous devons cependant rappeler les écrits de Leleu-Merviel abordés précédemment en précisant que « le sens ne peut être conçu que contextuellement et

culturellement. Ces acquis antérieurs, appris, mémorisés et engrangés en mémoire, vont contribuer à moduler un point de vue strictement individuel et chaque fois différent » (cf. 1.3.).

Ainsi, lorsque nous pensons au fait que le jeu est une approche subjective et que nous sommes tous pluriels, il paraît logique de considérer que chaque élève ne pourra donner le même sens à l’activité proposée et que des divergences entre apprenants peuvent, de ce fait, apparaître. De ce fait, proposer des leviers motivationnels adaptés à chaque participant(e) paraît une solution à envisager. C’est précisément ce que propose Viau avec les conditions « Signifiante ». Précisons enfin que pour Stolovitch et Thiagarajan les jeux cadres à caractère éducatif doivent fournir du sens lorsqu’il s’agit de conclure (Closure) la partie. Cela peut s’exprimer sous la forme d’un score, d’une élimination de joueur(se)s, d’une conclusion explicative… Les joueurs doivent comprendre également pourquoi ils ont gagné ou perdu avec des critères explicites (Stolovitch et Thiagarajan, 1980, pp.11).

La septième correspondance peut selon nous être recensée avec la stratégie motivationnelle « essais et erreurs » abordée avec les Advergames. Celle-ci peut selon nous être rapprochée de la condition « Exiger un engagement cognitif » de Viau. Le chercheur explicite cette dernière : « Un élève est motivé à accomplir une activité si celle-ci exige de sa part un engagement

comprendre, à faire des liens avec des notions déjà apprises, à réorganiser à sa façon l'information présentée, à formuler des propositions, etc. » (Viau, 2000). Pour cela, comme

dirait Genvo, l’artefact de type jeu présente un certain ethos ludique subjectif pour tenter d’induire chez le joueur une certaine manière de jouer. A condition que la personne mise en présence soit bien entendu en mesure de vouloir-faire, savoir-faire et pouvoir-faire. Bien entendu, si la personne est en mesure de faire, il convient de préserver une issue incertaine du jeu, ce que Fenouillet, Kaplan et Yennek ont évoqué dans le cadre de « La prédiction

difficile ». En parallèle, nous pouvons également établir un rapprochement avec cette condition

et la facette B du système ESAR qui voit dans certains jeux et jouets la possibilité de faire travailler les habiletés cognitives (cf. 2.4.2.).

La huitième correspondance concerne la condition « Authentique ». Elle vient interroger frontalement si le jeu peut être source de productivité ou non. En effet, si l’on se réfère à Stolovitch et Thiagarajan, ils perçoivent le jeu comme une activité « artificielle » ce qui rejoint le critère 8 du Tableau 2 de Salen et Zimmerman. Pour notre part, nous avons questionné précédemment le 4e

critère que Caillois associe au jeu, à savoir l’aspect « improductif » (cf. 2.5.5.). Avec le Datagame, il semble possible dans le cadre du jeu sérieux de relativiser ce 4e critère avec la fonction utilitaire permettre la collecte de données (cf. 2.2.). Il est par exemple possible d’alimenter une base de données tout en jouant avec le cas de Google Image Labeler (cf. 2.5.5.). Nous avons également établi qu’il est possible de recenser des bénéfices pour le compte du ou des joueurs. De ce fait, nous voyons ici une mise en correspondance possible entre les Datagames et la condition « Authentique » de Viau.

Avec ces huit correspondances, comme l’illustre le Tableau 8, nous disposons à ce stade de passerelles entre les différentes approches motivationnelles recensées tant côté jeu que côté apprentissage, ce qui nous offre pour le cadre du jeu sérieux une panoplie d’approches stratégiques qui peuvent être déployées tant du côté du design de l’artefact (Serious Game design) que du côté de l’activité (Serious Play design).

7.8.4. Correspondances trouvées à ce stade

Le Tableau 8 met en lumière que sur les dix conditions de Viau, nous en identifions encore deux qui, à ce stade, ne semblent pas trouver de correspondance avec des stratégies ou des

concepts que nous avons abordés jusqu’à présent : « Diversifiée » ainsi que « Caractère

interdisciplinaire ».

Numéro de correspondance

Stratégies et concepts en lien avec le jeu (sérieux)

Conditions de Viau

1e Contrôle (Malone) ; Contingence (Peterson).

Responsabiliser en permettant de faire des choix.

2e Challenge (Malone). Défi.

3e Flow (Csikszentmihalyi). Période de temps suffisante.

4e Patterns (Koster) ;

Le positionnement de l’objectif (Fenouillet, Kaplan et Yennek).

Consignes claires.

5e Faire sens (Bonenfant, Dewey, Henriot, Leleu-Merviel) ; Conclure la partie (attribution de scores…) en expliquant la victoire ou la défaite (Stolovitch et Thiagarajan).

Signifiant.

6e Stratégie « essais et erreurs » ; Prédiction difficile (Fenouillet, Kaplan et Yennek) ;

Modèle sémiotique du Gameplay (Genvo) ;

Ethos Ludique (Genvo) ;

Système ESAR - Facette B (Garon).

Exiger un engagement cognitif.

7e Datagame (Alvarez). Authentique.

8e ? Diversifiée.

9e Jouer contre le temps ou contre le game designer ou l’organisateur du jeu (Stolovitch et Thiagarajan).

Permettre d'interagir et de collaborer.

10e ?

(Non applicable en l’état)

Caractère interdisciplinaire.

Autres correspondances

Stratégies et concepts en lien avec le jeu (sérieux)

Stratégies et concepts en lien avec la pédagogie

A La curiosité (Malone). Conflit Cognitif (Raucent).

B La fantaisie (ou le fantasmé) (Malone).

? C Effet-V (Alvarez, Djaouti et

Rampnoux) ; Métalepses (Allain).

Distanciation (Alvarez, Djaouti et Rampnoux) ; Signifiant (Viau).

Tableau 8 : Correspondance entre les stratégies motivationnelles en pédagogie et les stratégies et concepts en lien avec le jeu (sérieux) à ce stade de notre exploration

Pour « Caractère interdisciplinaire », il s’agit pour Viau de mettre en avant l’avantage de la pluridisciplinarité. Cependant, si sur le plan pédagogique l’approche semble pertinente, l’aspect motivationnel pour l’élève n’est en revanche pas réellement explicité par le chercheur. Dans le

doute, pour éviter toute interprétation erronée, nous ne rechercherons pas à établir de correspondances pour cette condition.

Notons à l’inverse que nous avons recensé des concepts côté jeu qui n’ont pas trouvé de correspondances dans les dix conditions de Viau. Il s’agit des critères « Curiosité » et

« Fantaisie (ou le fantasmé) » proposés par Malone qui sont également consignés dans le

Tableau 8 (Correspondances A et B). Pour la Curiosité avons abordé l’approche du conflit

cognitif expliqué par Raucent. Et nous proposons de les mettre en correspondance. Enfin, nous

notons une dernière correspondance notée C, qui met en lien l’effet-V et le concept de Métalepse que nous proposons de mettre en relation avec l’approche pédagogique de distanciation. Cette dernière permettant à l’apprentant(e) de prendre du recul sur ses apprentissages, cela peut également être mis en relation avec la condition « Signifiant » de Viau.

Reste donc à ce stade les éléments « diversifié » (conditions de Viau) et « Imagination » (critère de Malone) qui pour l’instant n’ont pas de correspondance. Pour tâcher de recenser d’éventuelles mises en correspondances avec ces trois éléments, nous proposons de poursuivre à présent notre exploration en étudiant des stratégies et modèles orientés vers les utilisateur(rice)s de jeux.