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Se trouver dans une situation formelle pour viser un objectif utilitaire 2) Pouvoir recenser un représentant d’un système organisé qui propose le jeu

Si ces deux critères ne sont pas recensés, alors nous sommes dans une activité de type « Play ». Notons, avant de poursuivre, que nous employons dans le second critère le verbe « proposer » et non « obliger » pour tenir compte des propos de Duflo qui voit dans l’obligation la disparition du jeu. Ainsi, nous restons sensibles à l’idée que l’activité de « Serious Play » doit, malgré le fait de viser une finalité utilitaire, préserver le jeu. D’où l’idée que le représentant du système organisé doit faire en sorte de susciter chez l’utilisateur(rice) l’envie de jouer. Ce qui nous ramène à la dimension « Volontaire » de Fromberg.

Maintenant que nous pouvons entrevoir une pérennité pour le jeu sérieux au regard du jeu, tâchons à présent d’éprouver nos deux critères associés à l’activité de Serious Play. Pour cela, nous proposons de l’opérer au regard du continuum qui peut être recensé entre situations formelles et informelles.

3.4. Le continuum entre situations formelles et informelles

Gilles Brougère postule qu’établir une frontière entre situations formelles et informelles est une affaire vaine et préfère entrevoir un continuum : « Dès que l’on affine le regard, on perçoit une

situation complexe qui ne permet pas d’isoler aussi simplement apprentissages informels et formels. Il est sans doute impossible de mettre une frontière là où il s’agit d’un continuum (Brougère & Bézille, 2007), d’une variété de formes, d’une diversité dont la distinction maladroite entre formel, non-formel et informel essaie de rendre compte (Poizat, 2003) »

(Brougère, 2007).

Partant de ce postulat, Silva propose une figure où l’emploi du jeu pour l’enseignement de langues étrangères (Didactique des Langues et des Cultures (DLC)) vient s’inscrire dans un tel continuum (Silva, 2016, p.61). La Figure 8 illustre ce travail et nous montre que l’emploi du jeu peut se faire dans le cadre de la classe (situation formelle) et dans du « hors classe » (situation informelle).

Figure 8 : Le continuum formel/informel en DLC vu à la lumière du jeu selon Haydée Silva (2016)

Cependant, il est également fait mention de « médiathèque ». Positionné au centre de la Figure 8, entre les pôles « classe » et « hors classe », ce lieu culturel représente un entre-deux où les situations formelles et informelles peuvent se confondre. En effet, nous pouvons nous rendre dans une médiathèque aussi bien pour nous divertir que pour les besoins d’un travail. Ce constat permet d’en déduire que ce n’est pas le lieu qui va permettre de définir si nous nous inscrivons dans une situation formelle ou informelle. Un(e) enfant qui fait ses devoirs scolaires à la maison s’inscrit dans une situation formelle bien qu’il/elle soit en contexte familial. A l’inverse, un(e) enfant qui découvre de manière fortuite le principe de fonctionnement d’une fermeture éclair en jouant avec sa trousse durant un cours, est en situation d’apprentissage informel bien qu’il/elle soit en classe. En revanche, si nous interrogeons l’objectif assigné à la personne, nous retrouvons les critères de Blanchard, à savoir : « objectif interne » ou « objectif

externe ». Et plus exactement, nous pouvons questionner le fait de savoir si le jeu pratiqué dans

le cadre d’une médiathèque a été proposé par un représentant d’un groupe organisé ou non. Par exemple, s’agit-il d’un(e) enseignant(e) qui a demandé à ses élèves de jouer à un jeu pour des raisons éducatives au sein de la médiathèque ou non ? Si tel est le cas, alors les élèves s’inscrivent bien dans une activité de Serious Play.

Ce passage en revue permet de conforter notre hypothèse visant à distinguer les activités de « Play » et « Serious Play » avec nos deux critères : situation formelle avec objectif utilitaire visé et recensement d’un représentant issu d’un système organisé proposant le jeu. Il convient cependant de bien préciser que se trouver en situation formelle ou informelle est indépendant du lieu. C’est l’activité et l’objectif associés de nature interne ou externe qui fixent la chose.

Si nous avons à présent clarifiée et éprouvée la distinction entre l’activité de « Play » et de « Serious Play », il est à présent intéressant d’analyser un autre aspect de la Figure 8. C’est la pluralité des jeux recensés. Silva précise : « au cours des dernières décennies, aux jeux de

société classiques sont venus s’ajouter des jeux numériques : les applications ludiques mobiles, les jeux de rôles multi-joueurs, les jeux de simulation ou « métavers », les jeux dits sérieux (serious games), tout comme des jeux proposés sur des sites pour l’auto-apprentissage des langues ou sur des sites d’apprentissage mutuel et de réseautage » (ibid., pp.61-62). Si Silva

prend l’exemple des langues, nous pouvons élargir ses propos à toutes les matières enseignées de même qu’à d’autres applications utilitaires. Cette richesse de jeux employés à des fins utilitaires ne nous surprendra plus dans la mesure où nous avons abordé précédemment que les fonctions utilitaires n’étaient pas l’apanage des Serious Games ou des jouets sérieux (cf. 2.6.).

Cependant, cela vient nous questionner sur la manière de qualifier et concevoir ces différents jeux car nous pouvons recenser dans la Figure 8, d’une part, des jeux commerciaux qui font l’objet d’aménagements comme Taboo (MB, 1990) avec « règles adaptées et un corpus sélectif

de cartes » ou qui semblent être utilisés tels quels « jeu de l’oie pour systématiser un point de grammaire » ou encore « Jeu d’énigme à résoudre (par exemple Black Stories) suivi d’une mise au point langagière », et d’autre part ce qui s’apparente à un Serious Vidéo Game : « application ludolinguistique ». Dans la mesure où l’on transforme de la sorte un jeu existant

pour l’adapter à des besoins utilitaires, nous semblons entrevoir qu’il existe plusieurs manières de concevoir du Serious Game. Mais s’agit-il à proprement parler de Serious Game à chaque fois ? En outre, cette démarche nous renvoie à la question de Kellner abordée en introduction qui voit l’instrumentalisation du jeu comme une impossibilité. Pour explorer la chose, nous allons à présent explorer différentes approches pour concevoir du jeu sérieux.

3.5. Synthèse de cette troisième partie

La citation de Berry en introduction nous a amené à interroger la pérennité du jeu sérieux au regard du jeu. Cela nous a invité à nous positionner sur le pan de l’activité et à convoquer les play studies afin de distinguer le « Play » du « Serious Play ». Cette investigation nous a amené, via notamment le modèle de Blanchard et les écrits de Brougère, à appréhender l’emploi du jeu en situation formelle (Travail) et situation informelle (Loisir). Nous avons ainsi pu dégager deux conditions pour différencier le « Serious Play » du « Play » :

1) Se trouver dans une situation formelle pour viser un objectif utilitaire ; 2) Pouvoir recenser un représentant d’un système organisé qui propose le jeu.

Précisons cependant que se trouver en situation formelle ou informelle est indépendant du lieu. Ce sont l’activité et l’objectif associés de nature interne ou externe qui fixent la chose. Cela nous permet de ce fait d’entrevoir une pérennité pour le jeu sérieux car nous nous écartons du seul artefact pour nous inscrire également dans des activités spécifiques.

Enfin, les travaux de Silva et notamment la Figure 8, nous montre qu’il est possible de mobiliser des jeux existants pour l’adapter à des besoins utilitaires. Cela vient questionner la manière de concevoir du jeu sérieux ainsi que l’approche de Kellner abordée en introduction qui stipule qu’il ne serait pas possible d’instrumentaliser le jeu. C’est ce que nous allons étudier à présent.