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Des savoirs liés au ludique ?

8. MODELES EN LIEN AVEC LES UTILISATEUR(RICE)S DE JEUX

8.4. Des savoirs liés au ludique ?

L’aspect « savoir antérieur des conventions narratives, de son répertoire de connaissances de

joueur » nous questionne lorsque nous convoquons les notions de « savoir » et de

« connaissances » selon Conne (cf. 5.5.2.). Rappelons que pour Conne, les savoirs peuvent être appréhendés comme « décontextualisés ou encore pour des signifiants vides » (Conne, 1992, p.239). Cela nous amène à nous interroger quant à la notion de « savoir antérieur des

conventions narratives ». Si un savoir est décontextualisé, pourquoi l’associer de la sorte à un

domaine précis ? Si un savoir est décontextualisé pour Conne, c’est probablement qu’il est compliqué de définir une origine.

Prenons un exemple pour se représenter la chose en imaginant un savoir-faire que l’on voudrait positionner dans le périmètre du jeu. Jouons à Pac-man. Pour cela il est demandé de diriger Pacman vers le haut, le bas, la gauche et la droite pour se déplacer dans le labyrinthe, manger les différentes pac-gommes et éviter les fantômes. Le savoir-faire que possède le(a) joueur(se) pour se déplacer dans le labyrinthe du jeu a-t-il été acquis par l’intermédiaire de pratiques vidéoludiques uniquement ? On peut penser que le(a) joueur(se) a développé son savoir-faire en se déplaçant dans le monde réel depuis qu’il ou elle est né(e). Ce que la pratique du jeu

Pac-man permettrait de faire selon nous c’est plutôt d’enrichir, de transformer son savoir-faire en

intégrant le fait que dans un environnement virtuel comme celui de Pac-man, le déplacement va s’effectuer en mode plan et en 2D. Cependant ce déplacement en environnement virtuel n’est pas l’apanage du jeu. Il aurait également pu être développé en utilisant une application utilitaire comme par exemple Google Map (Google, 2004) pour trouver une adresse sur un plan. En outre, il est possible d’activer le mode « Street View » qui permet alors de se déplacer via une

succession de photographies en 360°. C’est encore une nouvelle expérience de déplacement interactif que l’on va assimiler dans son savoir-faire par un lot de nouvelles connaissances. Bien entendu le déplacement par photographies peut se retrouver dans des jeux vidéo comme notamment l’Affaire Morlov (Titus Interactive/CPIO, 1996). Ainsi, il est tout à fait possible pour une personne d’avoir uniquement utilisé Google Map sans avoir jamais joué à un jeu vidéo et acquérir un savoir faire pour se déplacer dans un environnement virtuel. Il est également possible de recenser des personnes ayant utilisé à la fois des jeux vidéo et des applications utilitaires. Dans ce cas, il est tout à fait possible d’imaginer des transpositions dans les savoir-faire entre les deux types d’applications. Pour effectuer les déplacements dans Google Map, il est possible que cela corresponde pour certaines personnes à mobiliser des savoir-faire développés dans l’utilisation du jeu Pac-man qui ont été mobilisés durant l’utilisation de

Google Map. De son côté, Google Map peut apporter des améliorations dans de tels savoir-faire

en terme de représentations et de modalités qui pourront ensuite s’avérer utiles pour utiliser le jeu Pokemon Go (Niantic, 2016) par exemple. Précisons qu’il est possible de recenser des œuvres numériques qui ne sont ni qualifiées d’applications utilitaires, ni de jeux vidéo et qui apportent également leurs lots d’apprentissages auprès des utilisateur(rice)s : « Le spectateur

d’une œuvre numérique n’est ni l’usager qui cherche les horaires de son train ni le joueur de video game » (Beyaert-Geslin, 2013, p.74).

Par conséquent, nous voyons que les savoir-faire se nourrissent de différentes expériences. L’origine purement ludique semble donc très peu probable. Bien entendu, le fait d’avoir joué à des jeux numériques ou non, nous a sans doute été utile pour développer certains savoirs ou savoir-faire si l’on se réfère aux travaux de Piaget par exemple (cf. 1.2.). Mais cela semble plutôt constituer des maillons dans un processus plus global. Cette approche nous permet de mieux comprendre les arguments de Tricot sur l’utilité du jeu dans le cadre de l’évolution (cf. 6.5.). Le jeu permettrait de ce fait de contribuer aux développements de savoirs et de savoir-faire qui peuvent être utiles voire parfois vitaux dans d’autres contextes.

Pour ce qui concerne la notion de « savoir antérieur des conventions narratives », nous sommes très certainement dans le même cas de figure. De même que nous avons appréhendé dans notre exemple qu’il n’est pas évident de cantonner un savoir au périmètre du ludique, il est fort probable qu’il en soit de même pour les conventions narratives.

serait intéressant de connaître l’origine de cette connaissance. S’agit-il d’une expérience vécue dans le cadre d’un autre jeu ? ou bien d’une séquence de film qui a été visionnée ? ou bien encore d’une action réalisée concrètement dans le cadre d’une activité de bricolage ? Sans avoir à répondre à cette question, nous pouvons supposer que les trois réponses sont possibles et que cela dépendra toujours du vécu des personnes mises en présence. De ce fait, cela met en lumière que les connaissances mobilisées dans le cadre d’une activité de jeu ne sont pas nécessairement d’origine ludique, mais peuvent aussi être d’origine fictionnelle ou encore issues d’une expérience de terrain. Si l’utilisation d’un pied de biche pour ouvrir une porte reste peu conventionnelle, nombreux sont en revanche les jeux d’aventure à proposer d’ouvrir une porte avec une clé tout simplement. Dans ce cas, il paraît encore moins évident de relier cette connaissance au seul fait d’avoir joué, sachant qu’insérer une clé dans une serrure est un geste banal et quotidien dans le monde réel. A l’inverse, des titres comme Detroit Become Human (Quantic Dream, 2018) propose des séquences interactives pour faire faire la vaisselle ou du rangement à leurs avatars. Même si les modalités pour faire la vaisselle dans ce jeu d’aventure diffèrent de celles liées à l’activité d’origine82

, nous conviendrons que la connaissance initiale ne provient pas de l’univers du jeu sachant que l’introduction de telles expériences ont suscité le rejet de certain(e)s joueur(se)s 83

. Cela démontre bien que des connaissances non reliées à du ludique peuvent être convoquées lors d’une activité de jeu.

Au regard de cette analyse, il semble donc que nous puissions questionner fortement ce concept de « répertoire de connaissances de joueur ». Pour solutionner des énigmes ou épreuves de jeu, les savoirs peuvent convoquer toutes sortes de connaissances. C’est ce qui fait l’essence même du processus de créativité que de se nourrir de choses diverses et variées comme nous l’explique Crawford (Crawford, 2003). Bien entendu, connaître les règles d’un jeu pour en appréhender un nouveau reste une possibilité. Mais cela ne peut se prétendre être exclusif à notre avis.

Si la notion de jouabilité tient aux critères de « savoir antérieur des conventions narratives » et de « répertoire de connaissances de joueur » alors cela semble finalement tenir d’une approche subjective au même titre que l’appréhension du jeu lui-même (cf. 1.3.). De son côté, Genvo

82

Dans ce jeu, il est demandé aux joueur(se)s de faire des gestes précis avec la manette de jeu. Par exemple décrire un cercle avec le joystick gauche de la manette pour simuler un coup d’éponge sur une assiette. Précisons que si un tel geste doit être exécuté dans un temps donné, nous sommes en présence de QTE (Quick Time Event).

83

https://www.ecranlarge.com/jeux-video/test/1023196-detroit-become-human-critique-intelligence-vraiment-artificielle (consulté le 29 Août 2019).

précise que : « la jouabilité n’est pas exclusive aux jeux » (Genvo, 2014, p.114). Ce qui conforte cette dimension subjective. In fine, nous retrouvons finalement l’idée d’une expérience qui dépend « de la situation d’utilisation, des connaissances procédurales et de la culture visuelle

de l’utilisateur » que nous évoquent Bonfils, Collet et Durampart pour désigner l’approche de

Norman concernant l’Expérience Utilisateur. Cette expérience pouvant être vécu comme ludique ou non selon les utilisateur(rice)s si l’on se réfère au Tableau 4.

Avec ce constat, nous pouvons donc appréhender le cycle de l’interaction illustré en Figure 17 comme étant assimilable à de la jouabilité en fonction des individus et des contextes mis en présence. Ce constat nous renvoie au lien étroit entre la notion de jouet et de simulateur qui dépendait également du contexte (cf. 2.7.4.). Il convient cependant d’appréhender la partie « l’utilisateur réfléchit » au sein de la Figure 17 comme étant plus large qu’une simple prise de décision, car nous pouvons y recenser d’autres éléments comme des « réactions » évoquées par Perron et Arsenault. Ces dernières pouvant éventuellement nous renvoyer au concept d’Aesthetics que nous avons abordé précédemment (cf. 5.4.4.).

Avant de poursuivre notre recherche de stratégies et chercher une neuvième correspondance avec les conditions de Viau, nous devons cependant nous attarder sur la notion de « compétence » qui a été convoquée par Perron et Arsenault au travers de « compétences

d’implémentation ». En effet, cela suscite d’autres questionnements qu’il nous semble

important de préciser pour la suite de notre exploration.