• Aucun résultat trouvé

Des stages de formation à l’enseignement spécialisé aux stages de formation au travail (réel) des enseignants spécialisés ?

La formation au travail de l’enseignant spécialisé

2.5 Constats, enjeux et défis posés par les dispositifs de stage dans les formations initiales à l’enseignement spécialisé

2.5.1 Des stages de formation à l’enseignement spécialisé aux stages de formation au travail (réel) des enseignants spécialisés ?

Environnements de travail prescrits et environnements prescrits de formation au travail

Kilgore et Griffin (1998) déploraient, il y a une vingtaine d’années déjà, que durant leurs stages, les étudiants en formation en enseignement spécialisé avaient uniquement l’occasion d’enseigner durant certaines fenêtres temporelles et le plus souvent dans certains contextes limités, comme celui des classes ressource. Nous constatons toutefois au travers de la synthèse réalisée par Nagro et de Bettencourt (2017) en ce qui concerne les États-Unis, et à travers l’analyse des descriptifs des dispositifs de stages proposés en Suisse, que les structures scolaires envisagées pour la réalisation des stages ne se limitent à présent plus uniquement aux classes ressources. En effet, nous avons montré que certaines prescriptions57 contraignent expressément les filières de formation à l’enseignement spécialisé à prévoir l’organisation de stages dans des contextes d’enseignement spécialisé déterminés, et que celles-ci s’emparent de ces prescriptions dans leurs descriptifs de formation pratique. En Suisse, les stages des formations initiales à l’enseignement spécialisé doivent donc être réalisés d’une part en contexte de soutien à l’intégration scolaire en ordinaire et d’autre part en contexte d’école spécialisée séparée. Il

57 Notamment, l’art. 9 al. 2 du règlement concernant la reconnaissance des diplômes dans le domaine de la pédagogie spécialisée (orientation éducation précoce spécialisée et orientation enseignement spécialisé).(CDIP, 2008)

semblerait en outre, que stages et temps de terrain, se réalisent dans des contextes sociogéographiques distincts, auprès d’un public d’élèves émanant de catégories sociales variées (Nagro & deBettencourt, 2017). De plus, bien que les étudiants soient le plus souvent amenés à apprendre à enseigner à des élèves âgés de 4 à 12 ans (écoles élémentaire et primaire), ils sont également confrontés à des élèves du secondaire 1, voire même du secondaire 2.

Dès lors, lorsque nous mettons en perspective les environnements de formation pratique au travail d’enseignants spécialisés, avec les environnements de travail au sein desquels la tâche des enseignants devrait être déployée (chapitre 1), nous observons une forme de correspondance globale, qu’il est précisément intéressant d’interroger sur le plan du travail réel de formation et de la formation au travail réel.

En effet, considérant d’une part les prescriptions des dispositifs de stages et les fonctions que ceux-ci prétendent remplir au sein des programmes de formation avec, d’autre part, la variété des environnements de travail dans lesquels les enseignants spécialisés sont supposés travailler (du point de vue des trois catégories de structures de scolarisation des élèves de l’enseignement spécialisé, du point de vue de l’âge des élèves concernés, du point des locaux attribués au travail, du point de vue des enjeux de collaboration, et du point de vue, malgré tout présent des caractéristiques spécifiques des élèves appréhendées en termes de handicaps, troubles ou déficiences), force est de mettre en lumière, certaines nuances pointées timidement par la littérature concernant l’incapacité qu’auraient les dispositifs de formation, à couvrir l’intégralité des possibles en matière, notamment de diversité des contextes ainsi que de diversité des pratiques (Mamlin, 2012 ; Nagro & deBettencourt, 2017). Cette impossibilité vient d’ailleurs selon nous, confirmer la dimension des potentialités offertes par les stages, telle qu’envisagées à partir de la notion-même de dispositif58. Or, force est de constater la présence d’une telle potentialité, précisément à partir de l’implicite laissé au sein de la prescription concernant les lieux de réalisation des stages. Ainsi, si dans une logique de conformité avec les recommandations émanant de l’Accord intercantonal sur la collaboration dans le domaine de la pédagogie spécialisée, prônant autant que possible des solutions de scolarisations intégratives pour les élèves déclarés à besoins éducatifs particulier, il est à présent imposé aux établissements de formation initiale à l’enseignement spécialisé en Suisse, de contraindre à leur tour, les étudiants en formation à l’enseignement spécialisé à la réalisation d’un stage en classe régulière, de manière à exercer les tâches de soutien à l’intégration scolaire d’élèves déclarés à BEP en classe régulière, notamment dans leur dimension collaborative (CDIP, 2008 ; DIP, 2015), c’est toutefois à un nombre toujours plus croissant de structures scolaires diverses, de classes et de dispositifs d’enseignement régulier et/ou d’enseignement spécialisé, que les étudiants au sein d’une même volée risquent d’être confrontés. Or toutes ces structures contribuent-elles dans une mesure identique, à fournir des conditions de formation au travail répondant par ailleurs aux autres prescriptions de stage à honorer ?

De même, du point de vue temporel, les stages s’étendent généralement au-delà de quelques périodes scolaires durant la semaine, même si nous constatons encore une prédominance de stages certes prévus sur des périodes longues (un à deux semestres), mais le plus souvent réalisés à temps partiel. Si plusieurs auteurs mettent en évidence la nécessité d’une extension de la durée des stages, de manière à permettre une meilleure préparation des étudiants (p. ex., Brownell et al. 2005 ; Lovingfoss, Molloy, Harris &

Graham, 2001 ; Whitaker, 2001), d’autres nuancent cette recommandation, en pointant l’impossibilité effective à former les étudiants à l’ensemble des dimensions complexes du travail de l’enseignant spécialisé, et ce malgré une augmentation des durées de stage (Mamlin, 2012). Nous retrouvons donc bien ici le débat sur la durée des stages, également présent dans la littérature sur les stages dans l’enseignement régulier depuis de nombreuses années (Gervais & Desrosiers, 2005 pp. 109 à 111 ; Paquay & Wagner, 2012 ; Pelpel, 1999 ; Zeichner, 1984) sans pour autant que les recherches ne soient orientées spécifiquement sur la dimension temporelle de la formation pratique, ainsi que sur ses avantages et ses limites pour les apprentissages et le développement professionnel des étudiants en formation à l’enseignement spécialisé. En effet, bien qu’il ait été relevé la pertinence de stages bénéficiant d’un bon encadrement et d’une forte intensité, de manière globale et comparative avec des durées de stages légèrement inférieure, mais associant par ailleurs d’autres paramètres non négligeables pour entreprendre une quelconque comparaison (Lovingfoss, Molloy, Harris & Graham, 2001 ; Billinglsey, 2001), nous ignorons encore à l’heure actuelle quelles seraient les avantages ou les

58 Le dispositif étant, rappelons-le, appréhendé comme un espace-temps permettant aux « ouverts » de s’actualiser.

inconvénients à recourir à une durée de stage x plutôt qu’une durée de stage y et ce de manière générique aux formations à l’enseignement spécialisé, comme de manière plus spécifique, dans l’une des trois grandes catégorie de structures de l’enseignement spécialisé (soutien à l’intégration, classe spéciale ou institution spécialisée).

Dans le cas de stages réalisés de manière filée ou étalée dans les formations à l’enseignement régulier,

« l’intention pédagogique est de permettre aux stagiaires d’être témoins et acteurs de l’évolution, en cours de semestre ou d’année, des élèves, des apprentissages, de l’organisation de la classe, de la tâche. » (Gervais & Desrosiers, p. 123). Si les auteurs indiquent que ce dispositif peut permettre une présence moins envahissante des étudiants-stagiaires dans la classe et dans la vie de l’école, elles soulignent la difficulté rencontrée par l’ensemble des acteurs à s’appuyer sur une continuité des pratiques. Or, si cette absence de continuité est déjà soulignée à titre d’inconvénient majeur dans ce dispositif, que dire du risque encouru dans le cadre des contextes d’enseignement spécialisé, là où les bénéfices d’une stabilité de l’environnement pour les élèves est au contraire démontré (Pelgrims, Chlostova & Delorme, 2019/à soumettre) ?

La tâche prescrite des enseignants spécialisés en situation de travail et les tâches prescrites en situation de formation

À la fin des années 90, les étudiants-stagiaires s’exerçaient alors aux tâches de planification, de mise en œuvre et de régulation de l’enseignement, ainsi qu’à la maîtrise des savoirs à enseigner auprès d’enseignants chevronnés, ayant eux-mêmes mis au point des routines d’enseignement et un programme d’enseignement adapté à leur classe, et ce habituellement uniquement dans deux disciplines (Kilgore &

Griffin, 1998). À présent et comme montré précédemment, bien que ces tâches d’ordre didactiques et pédagogiques à exercer en stage demeurent le socle de base des tâches prescrites par les curricula des dispositifs de stages, les tâches collaboratives s’invitent à présent et gagnent de plus en plus de terrain et ce d’autant, qu’un à plusieurs stages se réalisent en contexte d’intégration scolaire, dans une classe d’enseignement régulier (Brownell, et al., 2005 ; Nagro & deBettencourt, 2017). En revanche, il n’est pas fréquent de constater un travail de formation consacré aux tâches administratives et organisationnelles, durant les stages. Nous questionnons dès lors ce constat en le mettant en relation, d’une part avec la diversité et la complexité de la tâche des enseignants spécialisés (voir chapitre 1) et d’autre part avec le réel des conditions de réalisation de la tâche de formation à ce travail (durée et lieux des dispositifs de stages, quelle que soit la typologie ; objectifs généraux et spécifiques des stages se déployant dans le cadre d’un accueil dans la classe d’un formateur de terrain). Des étudiants étant amenés à ne réaliser ponctuellement ou de manière discontinue, qu’une partie de la tâche des enseignants et qui plus est uniquement dans deux contextes, sont-ils suffisamment, adéquatement formés au travail réel des enseignants spécialisés ? Bénéficient-ils plutôt d’un aperçu partiel de la tâche à laquelle ils seront exposés le plus souvent à plein temps dès leur entrée dans le métier ? Les 600 heures de stages minimalement réalisées, articulées aux cours, séminaires, ateliers de formation mis en place dans les programmes de formation, leur fourniront-elles au contraire un lot d’outils d’action et de pensée, leur permettant d’accomplir des tâches qu’ils n’ont jamais eu l’occasion d’effectuer en situation de formation

? Le récit, le partage et l’analyse d’expériences décrites par leurs pairs en formation (Lussi-Borer &

Muller, 2014b ; Lussi-Borer & Muller, 2016 ; Leblanc, 2016), par leurs formateurs de terrain et mentor, les apports théoriques reçus autour des dimensions collaboratives du travail de l’enseignant spécialisé en institution spécialisée (Emery, 2015) suffisent-ils par exemple à l’acquisition et au développement de compétences professionnelles en matière de collaboration ? La préparation et la conduite d’entretiens avec des parents, la négociation avec les collègues de l’enseignement régulier de projets d’intégration d’élèves institutionnellement déclarés à besoins éducatifs particuliers, puis le soutien individuel et/ou collectif d’une équipe d’enseignants réguliers engagés dans un à plusieurs projets d’intégration, la rédaction de projets éducatifs individualisés, le co-enseignement avec un collègue enseignant spécialisé, le co-enseignement avec un collègue enseignant régulier ou encore la co-intervention avec un collègue éducateur social, la participation et l’intervention lors d’une réunion de réseau, ne sont que quelques exemples de tâches d’ordre collaboratif, étroitement articulées aux conditions de travail inhérentes à la structure d’enseignement spécialisé dans laquelle l’étudiant se trouve, et dès lors impossibles à réaliser pour un étudiant-stagiaire n’étant pas affecté à une structure offrant de telles potentialités en matière de tâches à réaliser.

Dès lors, outre l’occasion d’expériences multiples dans des contextes variés de l’enseignement spécialisé, les dispositifs de stages, offrent-ils des potentialités similaires selon que ceux-ci sont conçus en termes de formation à certaines situations de travail prescrit, de formation au travail réel, de formation à l’enseignement spécialisé au sens générique du terme ? Ces questions font simultanément écho, à un débat de longue date dans l’histoire de la formation des étudiants en enseignement régulier du primaire et du secondaire, et portant sur une conciliation possible des différents paradigmes de la formation des enseignants selon le modèle de Paquay (Paquay & Wagner, 2012). Il met en dialogue des logiques de formation parfois peu compatibles les unes avec les autres : formation à une pratique artisane, à une pratique technique, à une pratique réflexive, à une pratique instruite ou encore à une pratique personnelle de l’enseignement, force est de constater l’intérêt qu’il y aurait cependant à élargir ce débat à la formation en contextes d’enseignement spécialisé, dans un domaine encore peu exploré par la recherche.

Écart entre travail réel de formation et travail réel des enseignants débutants.

Il est intéressant de constater que les difficultés, problèmes et enjeux mis en évidence chez les enseignants débutants, diffèrent sensiblement de certains problèmes rencontrés durant les stages de formation initiale. Ainsi, quelques contraintes des contextes d’enseignement spécialisé demeurent opaques et peu significatives lors des expériences de formation pratique (Kilgore & Griffin, 1998, p.

161). En effet, il semblerait que les étudiants se montrent peu concernés par certaines dimensions du métier, comme le fonctionnement du système scolaire ou encore celui des dispositifs d’intégration et d’inclusion durant leurs stages, dimensions qui sont pourtant rapidement identifiées comme problématiques pour l’exercice du métier lors des premières années d’enseignement. Or, si ces dimensions demeurent opaques et peu significatives, c’est probablement, selon les auteurs, en raison du fait qu’il est rare que les dispositifs de stages eux-mêmes prévoient une sensibilisation des étudiants-stagiaires au fonctionnement de l’établissement scolaire, du système scolaire plus globalement, et donc à l’ensemble des procédures administratives et institutionnelles y afférant.

D’autres auteurs nords-américains (Busch, Pederson, Espin & Weissenburger, 2001 ; Mastropieri, 2001 ; McDonald & Speece, 2001) mentionnent également ce décalage important rapporté par les enseignants spécialisés débutants durant leur première année d’enseignement et les expériences vécues lors de la formation initiale. D’après eux, ce décalage semble suffisamment significatif pour qu’il amène certains de ces enseignants spécialisés à se réorienter ou à arrêter leur carrière dès la première année. Ils l’attribuent toutefois à la non-correspondance entre une formation d’enseignant spécialisé réalisée dans un domaine de spécialisation particulier (déficiences sensorielles, troubles émotionnels, retard de développement, troubles des apprentissages, troubles de comportements, etc.) ainsi que des degrés/niveaux d’enseignement particulier (degrés élémentaire et primaire ; degrés secondaire I et secondaire II) et un premier emploi exercé dans un autre domaine de spécialisation et ou de degré. Ainsi, l’origine des difficultés et défis rencontrés par les enseignants débutants en début de carrière, ne serait selon eux, pas uniquement imputable à une inadéquation de la formation initiale reçue. Au contraire, celle-ci serait plutôt due d’une part à un dysfonctionnement dans l’attribution des premiers postes aux nouveaux enseignants spécialisés (non considération de la formation effective reçue par l’employeur) et d’autre part dans le choix problématique effectué par ces nouveaux enseignants acceptant sans autre un premier emploi dans un domaine pour lequel ils ne sont pas suffisamment formés.

En effet, il semblerait qu’au regard de la synthèse de Nagro et deBettencourt (2017), tant les stages que les temps de terrain parviennent aux résultats escomptés en favorisant le développement des compétences professionnelles des étudiants et en offrant de riches occasions d’analyses de pratiques auto-centrées ou hétéro-centrées (Mamlin, 2012). Parmi les avantages des temps de terrain mis en évidence par les auteures, il ressort que ceux-ci sont effectivement perçus par les étudiants comme des expériences pratiques ayant été très bénéfiques pour leur propre formation, soutenant l’auto-réflexion et influençant positivement les connaissances et le développement des étudiants. De plus, celles-ci indiquent qu’après avoir participé aux modules articulant temps de terrain et cours au sein de l’établissement de formation, les étudiants produisaient davantage de séances d’enseignement dont les indices d’une planification et d’une mise en œuvre adéquates sont repérables à travers le recours des gestes suivants :

• « Obtention de l’attention des élèves avant d’enseigner

• Présentation des planifications anticipées

• Prévision de questions sur les connaissances antérieures

• Lien établi entre la leçon donnée et les leçons antérieures

• Présentation des contenus sous formes de séquences

• Utilisation des supports visuels, des exemples et des modèles

• Vérification de la compréhension des élèves

• Présentation des feedbacks qui permettent aux élèves de se corriger

• Présentation des consignes claires

• Synthèse de la leçon proposée en classe aux élèves

• Des dimensions spécifiques des expériences pratiques comme le vidéo-formation, montrent des promesses pour améliorer les pratiques de supervision et de mentorat » (Nagro & deBettencourt, 2017, p.24)

De nos jours, la relation entre une absence ou une insuffisance de formation pratique durant la période de formation initiale et les difficultés rencontrées par les enseignants spécialisés débutants ayant toutefois pu être démontrée à de nombreuses reprises (Brownell & Leko, 2011 ; Leko, Brownell, Sindelar & Murphy, 2012), il revient impérativement aux établissements de formation de développer encore davantage des modèles d’accompagnement, de formation et d’évaluation des étudiants renforçant les opportunités de formation pratique significatives et leur permettant de rencontrer des modèles experts qui puissent les accompagner dans l’acquisition de leurs compétences professionnelles (Mamlin, 2012).

2.5.2 Des conditions de réalisation de la tâche de formation parfois peu compatibles avec

Outline

Documents relatifs