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Des formations initiales poursuivant l’acquisition de compétences similaires, malgré la variété des contextes de formation la variété des contextes de formation

La formation au travail de l’enseignant spécialisé

2.2.3 Des formations initiales poursuivant l’acquisition de compétences similaires, malgré la variété des contextes de formation la variété des contextes de formation

Comme nous l’avons montré dans le premier chapitre et rapidement évoqué dans la section précédente, les enseignants spécialisés devraient prétendre à une formation couvrant l’ensemble des connaissances nécessaires et utiles à l’accomplissement des tâches d’enseignement à l’issue de leurs parcours de formation. Or, bien que les prescriptions nationales et internationales diffèrent entre-elles quant aux conditions d’admissibilité des candidats à ces différentes formations, quant aux filières de formations exigées pour prétendre accéder à une fonction professionnelle d’enseignant spécialisé, ou encore quant au volume d’études attendus et autres critères quantitatifs et qualitatifs établis, il est cependant intéressant de constater la proximité des objectifs généraux et spécifiques poursuivis, des compétences professionnelles dont l’acquisition et le développement sont visées par les différents programmes de formation dans les différentes régions évoquées. De plus, là où certaines traditions de formations affichent clairement une intention de former leurs étudiants compétents et susceptibles d’avoir davantage recours à des pratiques efficaces et légitimées par la recherche (Brownell, et al., 2010 ; Mamlin, 2012), d’autres cherchent à les orienter vers la formation de professionnels réflexifs et critiques (Drame, 2010) et capables d’ajuster leurs pratiques à des contextes d’enseignement spécialisé et régulier de plus en plus complexes (Pelgrims et al., 2010 ; Pelgrims, 2013 ; 2018), et ce en visant, paradoxalement, l’acquisition de compétences professionnelles similaires :

42 CDIP (2008b) Conditions d’admissions détaillées pour l’orientation enseignement spécialisé : https://edudoc.educa.ch/static/web/arbeiten/sonderpaed/folie_zulass_schul_f.pdf

Tableau 2.2 Objectifs visés par les instituts de formation au travail de l’ES en Suisse Romande

Objectifs visés par les établissements de formation en enseignement spécialisé Former aux fondements de l’enseignement spécialisé

Former (préparer) les étudiants au travail qu’ils vont effectuer et les informer sur le travail que cela va leur demander.

Former à la collaboration (familles, collègues)

Former les étudiants à propos des caractéristiques des élèves, des différents troubles, déficiences, handicaps Former à l’autorité naturelle et au leadership (être un enseignant ressource au sein d’un établissement scolaire) Former à l’évaluation, former à la rédaction, régulation des PEI

Former aux aspects législatifs, aux responsabilités légales Former aux contenus d’enseignement (savoirs à enseigner), Former aux différences individuelles dans l’apprentissage

Former aux stratégies d’enseignement et aux stratégies d’apprentissage Former à la planification et à la préparation de l’enseignement

Former les étudiants à la connaissance/recours aux ressources existantes Former à l’usage des nouvelles technologies informatiques et de communication Former aux interactions sociales et aux environnements d’apprentissages Former à la communication

Former aux pratiques réflexives

Former aux dimensions éthiques et sociales de la profession

Au niveau régional, les programmes de formation en enseignement spécialisé offerts par les établissements de formation romands, témoignent de cette proximité/distance qui existe entre les différents curricula proposés, notamment du point de vue des compétences à développer en cours de formation. Bien qu’ils insistent tous pareillement sur l’acquisition de compétences professionnelles, les compétences à acquérir sur le plan scientifique et académique sont soulignées avec plus ou moins d’emphase selon les programmes. Nous notons à cet égard, une grande différence selon si les programmes de formation sont proposés dans le cadre d’une HEP ou d’une université. Nous pouvons, de même induire la conception théorique sous-jacente au programme d’étude à travers la structure de la formation et le plan d’étude annoncés.

Ainsi, alors que le master offert par l’université de Fribourg, semble fortement empreint d’une approche curative de l’enseignement, elle-même ancrée dans une approche catégorielle de la difficulté, de la déficience et du handicap, celui de l’institut universitaire de formation des enseignants à Genève43, est quant à lui davantage orienté par une approche interactionniste guidant les pratiques pédagogiques et didactiques de l’enseignement (Pelgrims, 2013, 2018) et faisant des enseignants spécialisés des

« spécialistes de la difficulté scolaire, de l’évaluation des besoins scolaires des élèves, des connaissances à leur enseigner en priorité, des pratiques pédagogiques et didactiques les plus adaptées » (Pelgrims et al., 2010, p.40).

De même, après comparaison des plans d’études des hautes écoles pédagogiques de BEJUNE et de Vaud, d’une part, ceux des universités de Fribourg et de Genève d’autre part, nous remarquons une répartition différente de l’importance accordée aux orientations thématiques privilégiées dans les cursus, à la formation pratique ainsi qu’à la formation à la recherche, avec une proximité strictement apparente des orientations thématiques privilégiées de la formation entre les établissements de Genève, Vaud et BEJUNE, si l’on se fie à l’intitulé des domaines et non pas aux approches fondant la conception des formations.

43 Nous présentons plus spécifiquement les postulats théoriques sous-jacents à la conception de cette formation dans le chapitre 3.

Tableau 2.3 : Répartition des contenus traités par les plans d’études dans les programmes de formation initiale à l’enseignement spécialisé romands

Université de Fribourg44 Université de Genève HEP VAUD HEP BEJUNE

Domaine ECTS Domaine ECTS Domaine ECTS Domaine ECTS

Si nous comparons l’état actuel de l’offre des formations en enseignement spécialisé et des exigences relatives à leur cursus et plans d’études, avec les constats et recommandations établis à l’échelle nord-américaine par Brownell et al. 2005, nous remarquons finalement la permanence de nombreux éléments déjà signalés par les auteurs, il y a 14 ans. Ceux-ci avaient en effet mis en évidence cinq caractéristiques majeures des offres à disposition sur le marché de la formation nord-américain, dans la synthèse d’une comparaison de 38 programmes spécifiquement dédiés à l’enseignement spécialisé, et d’une revue de la littérature sur la formation des enseignants réalisée à partir de travaux publiés entre 1992 et 2005. Nous les retrouvons pour l’essentiel dans les travaux plus récents, ainsi que dans les descriptions des filières de formation à l’enseignement spécialisé.

Brownell et al. (2005) évoquent ainsi tout d’abord l’importance de la formation pratique à travers

44 Le plan d’étude du Master of Arts spécialisé en pédagogie spécialisée : orientation enseignement spécialisé, comprend 60 crédits accordés aux compléments « Fondement de la pédagogie spécialisée » (30 ECTS) et « Fondements de l’enseignement en classe ordinaires » (30 ECTS).

une expérience élargie des expériences de terrain dans les programmes de formation analysés. Les auteurs indiquent que dans 84% des programmes consultés, les facultés décrivent des expériences élargies de terrain ayant été élaborées, supervisées avec attention et reliées aux contenus pratiques acquis durant les cours. Ils constatent également que les programmes de formation comportant les composantes de formation pratique les plus importantes répartissent cette dernière de la manière suivante : premières expériences sur le terrain (types stages d’observation et de sensibilisation), une à deux expériences de stages (types stages en responsabilité accompagnés), et finalement un semestre ou une année de stage d’enseignement en fin de formation. Dans la revue de littérature réalisée par les auteurs, il est également mentionné l’importance accordée dans ces programmes à la supervision et à l’évaluation des stages, et montré à cet égard que les dispositifs d’intégration des compétences et connaissances acquises lors des cours universitaires et lors des stages, varient selon les programmes. Certains programmes exigent que les étudiants mettent en place, des tâches d’enseignement et des évaluations basées sur les connaissances théoriques vues en cours lors de leurs stages, tandis que d’autres programmes réalisent cette intégration entre théorie et pratique, en proposant des cours sous forme de modules-blocs intégrés aux stages, en ayant recours à des séminaires hebdomadaires, ou encore aux deux. Par ailleurs, d’après les auteurs, beaucoup de programmes ont recours aux approches par analyses de cas, portfolios et séminaires hebdomadaires pour aider les étudiants à réfléchir à leurs apprentissages effectués durant les cours et les expériences pratiques.

La seconde caractéristique majeure correspond à la thématique de la collaboration, sur laquelle l’ensemble des programmes insistent déjà à l’époque, tout ne s’accordant pas pour autant sur les différentes composantes du programme de formation dans lesquelles celle-ci aurait pu être intéressante à développer : connaissances théoriques sur la collaboration, collaboration entre facultés, collaborations entre les établissements de formation et les établissements scolaires. Selon Brownell et al., 72 % des publications (46) consultées, décrivent des contenus de cours insistant sur les compétences de collaboration et de consultation pour travailler avec les autres professionnels et les familles. Ils ne mentionnent en revanche que rarement les modalités de formation mises en œuvre pour développer de telles compétences. La collaboration avec les établissements scolaires est quant à elle mentionnée dans 47 descriptions de programmes (73%) et ce sous différentes formes, dont certaines plus sophistiquées que d’autres. D’après les auteurs et programmes référencés, les formes les plus sophistiquées de collaboration impliquent, que les facultés collaborent avec les membres du personnel scolaire de la circonscription au sujet des points suivants :

la planification et l’élaboration des plans d’étude, l’identification de structures de stages de qualité, la procédure d’admission des étudiants au programme de formation, l’accompagnement et le suivi des étudiants, l’évaluation des progrès des étudiants durant les stages, des modules de formation réalisés sous forme de co-enseignement (formateur universitaire et enseignant spécialisé titulaire de classe), participation des enseignants spécialisés à une formation de praticiens formateurs de terrains (Brownell et al. 2005, p. 24645).

D’autres formes de collaborations internes au programme de formation (52%) consistent à construire des dispositifs de collaboration entre étudiants pour les former à ces pratiques (Ibid.).

Comme troisième caractéristique commune des programmes de formation universitaire en enseignement spécialisé, les auteurs mentionnent le recours à diverses évaluations de l’impact du programme sur les performances des futurs enseignants lorsqu’ils sont en stage. Nous retrouvons avec cette caractéristique, l’intention d’obtenir des résultats probants à partir de la corrélation directement établie entre la qualité de la formation et la qualité des enseignants issus de la formation. Les moyens rapportés sont variés et s’ils ressemblent sur certains points aux modalités d’évaluation des stagiaires mentionnées dans la littérature sur les stages de formation, ils s’en écartent sur de nombreux autres : observations directes des étudiants lorsqu’ils enseignent, répertoire des notes obtenues par les étudiants certifiés durant le programme de formation, évaluations des compétences des candidats à la certification d’État par des superviseurs, enquêtes comparatives menées par le personnel de supervision comparant les étudiants diplômés du programme à d’autres enseignants débutants, données d’évaluation des

45 Traduction personnelle: “a) planning the teacher education program, (b) identifying quality placements for teacher education stu- dents, (c) selecting students for the program, (d) mentoring students, (e) evaluating students’ progress in the classroom, (f) co-teaching courses in the teacher education program, and (g) participating in training to become a mentor teacher”, in Brownell et al. 2005.

performances des enseignants débutants, données des rapports d’évaluation du programme suivi, réalisée par les étudiants.

54 programmes (84%) de l’échantillon d’étude décrivent par ailleurs l’importance de l’accent qu’ils donnent aux thématiques de l’inclusion et de la diversité culturelle. Il s’agit de la quatrième caractéristique majeure. Il est intéressant de constater que contrairement à ce que nous vérifions dans les filières de formation européennes, 50% des programmes analysés par les auteurs en 2005, articulent les deux thématiques en associant les besoins particuliers d’élèves présentant des troubles ou des déficiences à la thématique de la formation à la diversité. À nouveau, il semblerait que la plupart des programmes d’études européens, et l’ensemble des programmes de formation suisses, s’écartent de cette conception, en n’incluant pas la thématique de la diversité culturelle aux filières de formation à l’enseignement spécialisé.

Bien qu’ils apparaissent dans quelques rares programmes de formation à l’enseignement, déjà intégrés à l’enseignement spécialisé et aux pratiques en classe, Brownell et al., 2005 relèvent également, la faible présence de caractéristiques relatives à la formation à l’enseignement de contenus disciplinaires (ce qui chez nous pourrait correspondre aux unités de formation ou modules didactiques), dans les programmes de formation à l’enseignement spécialisé. L’accent étant généralement plutôt placé sur les stratégies générales liées à la pédagogie (ce qui chez nous pourrait être associé à une approche transversale), comme les modalités d’enseignement, l’évaluation, les PEI.

Finalement la dernière des caractéristiques ressortant avec régularité de la synthèse réalisée par Brownell et al. 2005 concerne ce qu’ils ont nommé l’orientation positiviste et constructiviste des connaissances des enseignants. Pour ces auteurs, le lourd héritage du modèle behaviouriste, demeure encore fortement présent à la lecture des descriptions de ces différents programmes. Cette orientation contribue à drainer une conception souvent trop simpliste et relativement applicationniste de la formation, dans la mesure où il est essentiellement question de la mobilisation par les étudiants, des

« bonnes pratiques » acquises lors des cours et séminaires universitaires. L’idée qu’une fois les connaissances issues de la recherche transmises en cours n’ont plus qu’à être reproduites et mise en pratique en classe, est alors encore bien présente et visible dans les programmes de formation, ainsi que dans les travaux de recherche les sous-tendant (voir également Brownell et al., 2010 à ce sujet).

Par ailleurs, l’émergence d’une approche constructiviste contribue en lame de fond, depuis une vingtaine d’années déjà selon les auteurs, à imposer un modèle de formation basé sur la notion de compétence, incitant davantage les établissements de formation à décrire en termes de référentiel de compétences, les acquis supposés être certifiés à l’issue de la formation. Brownell et al., (2005) relèvent par ailleurs qu’alors que 31% des programmes de formation des enseignants spécialisés considèrent encore l’apprentissage du métier comme une accumulation par les étudiants en formation de connaissances émanant d’experts, une petite majorité d’autres programmes (55%) sont tout de même orientés par une perspective constructiviste de la formation, amenant les étudiants à interroger leurs conceptions initiales de l’enseignement, de l’enseignement spécialisé, des élèves et de l’apprentissage, tout en les amenant à intégrer ces conceptions aux nouvelles connaissances acquises en formation.

Sans entrer plus avant dans un développement de ces différents modèles épistémologiques de la formation des enseignants, qui ont par ailleurs également contribué à façonner l’histoire récente de la formation des enseignants réguliers et spécialisés en Europe, nous constatons que si une entrée dans la conception des formations par une approche orientée « compétences » demeure effectivement encore fortement présente dans les descriptifs des différentes filières de formation consultés (notamment ceux du Québec et de la Suisse Romande), certains plans d’études, à l’instar de celui de la maîtrise universitaire en enseignement spécialisé de Genève (MESP), sans l’exclure, ni s’en écarter, s’appuient néanmoins sur une approche interactionniste et située des faits de formation, centrée sur la notion d’activité : celle des enseignants spécialisés et ainsi que celle des étudiants en formation (Pelgrims et al.

2010, 2013 ; Pelgrims, 2018). Une telle conception de la formation place l’activité professionnelle des futurs enseignants spécialisés au cœur du dispositif de formation appréhendé selon une perspective articulant tant des intentions de professionnalisation des enseignants que des intentions de formation à la recherche.

Figure 2.1 : Structure de la formation en quatre domaines de connaissances et de compétences (Pelgrims, 2011, 2018)

Trois domaines de connaissances et de compétences professionnelles contribuent à fournir aux étudiants des outils de pensée et d’action, soutenant la construction de connaissances et de compétences relatives à un quatrième domaine, qui concerne l’activité professionnelle. Le premier domaine, porté par des approches essentiellement socio-historique, socio-psychologique et socio-politique, comporte des apports relatifs au contexte de la pédagogie spécialisée (Pelgrims, 2018, chapitre 2). Le second domaine, propose aux étudiants d’acquérir des connaissances sur les déficiences les plus fréquentes, les situations de handicap, les besoins éducatifs particuliers, et leurs implications éducatives, à partir d’approches en pédagogie spécialisée, en psychologie développementale, en psychologie clinique, et en psychopathologie (ibid.). Le troisième domaine du plan d’étude, contribue à l’affirmation et au maintien d’une identité professionnelle d’enseignant spécialisé dans un contexte de travail fait de réseaux et collaborations institutionnelles avec des professionnels aux cultures distinctes, ainsi qu’avec les parents d’élèves (ibid.). Quant au quatrième domaine, il « est centré sur les connaissances relatives aux apprentissages des élèves déclarés à besoins éducatifs particuliers dans différents contextes et situations d’enseignement spécialisé et d’intégration ; aux connaissances et compétences d’enseignement ; ainsi qu’aux outils et compétences d’analyse et de régulation de l’activité professionnelle » (ibid.). Le plan d’étude de la formation initiale prévoit également des dispositifs de formation particuliers, nommés

« dispositifs polyphoniques ». Ceux-ci convoquent « explicitement plusieurs voix professionnelles et théoriques » permettant aux étudiants de se confronter à la multidisciplinarité et multiprofessionalité caractéristique de l’enseignement spécialisé et de se forger une posture d’enseignement (ibid.)

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